Terralaboris asbl

Cumul de l’indemnité de protection avec l’indemnité de sécurité d’emploi dans le secteur des assurances

Commentaire de Cass., 20 février 2012, S.10.0048.F

Mis en ligne le mardi 2 octobre 2012


Cour de cassation, 20 février 2012, S.10.0048.F

Terra Laboris asbl

Par arrêt du 20 février 2012, la Cour de cassation décide que l’indemnité accordée par la loi du 19 mars 1991 aux (candidats) délégués du personnel au conseil d’entreprise et au comité pour la prévention et la protection du travail peut être cumulée avec l’indemnité de stabilité d’emploi prévue par la CCT du 9 novembre 1987 relative à la sécurité d’emploi dans le secteur des assurances.

Les faits et antécédents de la cause

M. C., délégué effectif au conseil d’entreprise de la sa Generali Belgium, a été licencié en juin 2006. Il a perçu l’indemnité de protection prévue par la loi du 19 mars 1991.

Il a cité son ex-employeur devant le Tribunal du travail de Liège en paiement, notamment, de l’indemnité de stabilité d’emploi prévue par la CCT du 9 novembre 1987. Rappelons que l’article 4 de cette CCT rendue obligatoire par arrêté royal impose aux employeurs d’informer les travailleurs des éléments susceptibles de leur être reprochés en raison de leur comportement et d’informer également la délégation syndicale de l’existence de ces reproches.

En cas de licenciement effectué sans avoir respecté les procédures, l’employeur est tenu, en vertu de l’article 15 de la CCT, de payer au travailleur une indemnité forfaitaire qui varie selon l’ancienneté : 6 mois pour les membres du personnel ayant une ancienneté comprise entre 1 et 5 ans, 9 mois pour les membres du personnel ayant une ancienneté supérieure à 5 ans et ce sans préjudice des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

M. C. a été débouté de cette demande par un jugement du 9 octobre 2008. Il a interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt du 20 novembre 2009 (R.G. n° 03.6137/2009), la sixième chambre de la Cour du travail de Liège réforme le jugement sur l’indemnité de stabilité d’emploi et condamne l’employeur au paiement de celle-ci.

Cet arrêt rappelle que le cumul de deux indemnités prévues par des sources de droit différentes est la règle et qu’il convient de vérifier si, soit la loi (de 1991) soit la CCT (du 9 novembre 1987) ont expressément prévu cette interdiction de cumul, ou si, bien que non expressément interdit, pareil cumul irait à l’encontre de l’objectif même poursuivi par le législateur.

Il relève que la loi de 1991 ne proscrit pas tout cumul entre l’indemnité de protection et une autre indemnité due en vertu d’une CCT, quelle que soit sa nature et son objet. La CCT du 9 novembre 1987 n’a pas plus prévu cette interdiction.

L’indemnité de sécurité d’emploi ne trouve pas sa cause dans la rupture du contrat de travail mais dans le non-respect des formalités qui auraient dû être respectées avant même qu’une décision de rupture soit adoptée alors que l’article 14 de la loi de 1991 pose un principe général d’interdiction de licenciement d’un travailleur délégué. Les deux indemnités obéissent à des finalités distinctes et réparent des dommages distincts. L’indemnité de stabilité d’emploi a pour objet de prévenir la rupture du contrat de travail ; elle a un caractère purement indemnitaire et protège des intérêts privés. L’indemnité prévue par la loi de 1991 « revêt un caractère de sanction civile à l’égard de l’employeur qui, par ce licenciement en violation de la protection légale d’ordre public, porte atteinte au bon fonctionnement des organes de concertation sociale ». Le cumul des deux indemnités n’aboutit pas à consentir un privilège aux délégués et au conseil d’entreprise.

La cour du travail en conclut que M. C. peut cumuler les deux indemnités pour autant qu’il démontre réunir les conditions d’octroi de l’indemnité prévue par la CCT du 9 novembre 1987.

La cour du travail examine dès lors si le motif invoqué par l’employeur pour justifier le licenciement – à savoir la qualité de production insuffisante du sieur C et sa non-conformité à la stratégie de vente de la société – requérait la mise en œuvre de la procédure visée par l’article 4 de la CCT qui vise le licenciement n’étant pas lié à des causes d’ordre économique ou technique. Elle décide que « la notion de comportement du travailleur visée par l’article 4 de la convention collective de travail du 9 novembre 1987 renvoie (...) à une attitude – positive ou négative – caractérisée par des éléments susceptibles de lui être reprochés sans que cette disposition de la convention collective requière que ceux-ci revêtent un caractère fautif. Tel est bien le cas en l’espèce ».

La procédure devant la Cour de cassation

Le pourvoi de la société Generali Belgium proposait deux moyens.

Le premier moyen portait sur le cumul des deux indemnités. À titre principal, la demanderesse soutenait qu’il résultait des termes mêmes de l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 et de l’article 15 de la CCT relative à la sécurité d’emploi que les deux indemnités ne pouvaient être cumulées. À titre subsidiaire, le premier moyen soutenait que l’indemnité de protection et l’indemnité de stabilité avaient la même cause et réparaient de façon forfaitaire le même dommage, en sorte qu’elles ne pouvaient être cumulées. Le premier moyen proposait également d’autres griefs que nous n’exposerons pas dès lors pas que la Cour de cassation les a déclarés irrecevables.

Pour rejeter le premier moyen, la Cour de cassation décide que :

  • il ne ressort pas des termes des articles 14, 16 et 17, § 1er, de la loi du 19 mars 1991 que ces dispositions excluent le cumul de l’indemnité de protection avec toute indemnité due en vertu d’une CCT ;
  • il ne résulte pas des articles 4 et 15 de la CCT du 9 novembre 1987 que ces dispositions interdiraient le cumul de l’indemnité qu’elle vise avec toute indemnité autre que celles qui sont prévues par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
  • l’indemnité de sécurité de l’emploi est octroyée en raison du non-respect des procédures prévues aux articles 4 et 5 de la CCT, qui ont pour but la sécurité de l’emploi dans les entreprises d’assurances. Elle tend à indemniser le dommage causé par le licenciement et protège ainsi des intérêts privés ;
  • l’indemnité visée à l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 sanctionne le non-respect de la procédure spéciale destinée à assurer que le licenciement du délégué ou du candidat délégué du personnel est justifié et à garantir ainsi, dans l’intérêt général, la liberté de ces travailleurs d’exercer leur mission ou de se porter candidats, partant, le bon fonctionnement des organes de concertation sociale.
    Elle décide que « ces deux indemnités peuvent être cumulées lorsque les conditions d’octroi de chacune d’elles sont réunies, et leur cumul ne constitue pas un avantage prohibé par l’article 2, § 4, de la loi du 19 mars 1991 ».

Le second moyen portait sur les conditions d’octroi de l’indemnité de stabilité d’emploi. La demanderesse soutenait en substance que l’article 4 de la CCT visait le comportement du travailleur, soit une conduite, et non pas l’aptitude du travailleur et que le licenciement motivé par l’aptitude du travailleur n’était pas une situation visée par les articles 4 et 15 de la CCT.

Pour rejeter ce moyen, la Cour de cassation rappelle que le but de l’article 4 est que les travailleurs soient informés par les employeurs des éléments susceptibles de leur être reprochés en raison de leur comportement, de manière à éviter que ces éléments ne soient invoqués pour la première fois, regroupés, après un délai excessif au-delà de leur survenance. En règle, dans les cas de licenciement fondé sur un comportement individuel, l’employeur doit informer l’intéressé et la délégation syndicale de la décision de licenciement préalablement à la notification formelle de celle-ci, dans un délai suffisant pour permettre une possibilité pratique d’intervention de cette délégation.

L’arrêt attaqué, qui constate que le licenciement du sieur C. a été décidé en fonction d’éléments susceptibles de lui être reprochés : la qualité insuffisante de sa production et la non-conformité de celle-ci à la stratégie de vente de la société, a pu en déduire légalement que ledit licenciement était « fondé sur son comportement, entendu au sens d’une attitude positive ou négative susceptible de lui être reprochée, sans qu’il soit requis qu’elle puisse être qualifiée de fautive ».

Intérêt de la décision

Le rejet du premier moyen permet de dégager des règles essentielles. D’une part, ce n’est pas parce que l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 prévoit que l’indemnité de protection est due sans préjudice d’une indemnité plus élevée due en vertu du contrat individuel, d’une CCT ou des usages ou à tous autres dommages et intérêts pour préjudice matériel ou moral que le cumul serait exclu entre l’indemnité de protection et toute indemnité due en vertu d’une convention collective de travail. D’autre part, il ne ressort pas des articles 4 et 15 de la CCT du 9 novembre 1987 que ces dispositions interdisent le cumul de l’indemnité qu’elles visent avec toute indemnité autre que l’indemnité compensatoire de préavis visée dans la loi du 3 juillet 1978 relative au contrat de travail et plus particulièrement avec l’indemnité de préavis dont le cumul avec l’indemnité de stabilité d’emploi est expressément prévu.

La Cour de cassation dégage également le but différent de ces deux indemnités pour conclure au cumul (contra, voy. C. trav. Bruxelles du 29 juillet 2011, R.G. n° 2010/AB/292).

Par le rejet du second moyen, la Cour de cassation tranche une controverse doctrinale. F. Lagasse et M. Milde (« Les clauses de stabilité d’emploi dans le secteur des entreprises d’assurances », Orientations, 1992, p. 79) ont soutenu que l’article 4 ne vise que le licenciement disciplinaire, en d’autres termes ne concerne que des comportements imputables à faute au travailleur.

D. Aguilar Cruz (« La sécurité d’emploi dans les entreprises ressortissant à la commission paritaire des entreprises d’assurances », J.T.T., 2005, p. 51) a par contre soutenu que ce serait ajouter au texte de la CCT une condition que son article 4 ne comporte pas que d’exiger que le comportement du travailleur soit fautif.

Se fondant sur cette contribution doctrinale, la cour du travail, par l’arrêt attaqué, avait retenu que les éléments susceptibles d’être reprochés au travailleur ne devaient pas revêtir un caractère fautif. Cette analyse est donc validée par la Cour de cassation.


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