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Expertise judiciaire en sécurité sociale et droits de l’homme : droit d’avoir un conseil médical

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.182 et 2009/AB/52.335

Mis en ligne le mardi 25 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 12 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.182 et 2009/AB/52.335

Dans un arrêt du 12 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles a considéré que les frais de conseil technique dans le cadre d’une expertise ordonnée par le tribunal, dans le cadre de la fixation des séquelles d’un accident du travail, doivent être pris en charge par l’entreprise d’assurances.

Rétroactes

Le litige dont la cour est saisie porte sur les conséquences d’un accident du travail dans lequel un accord-indemnité est intervenu, accord entériné par le Fonds des Accidents du Travail en 2004.

L’intéressée fait, ultérieurement, valoir l’aggravation de son état de santé et une seconde procédure est introduite. Dans le cadre de celle-ci, le tribunal du travail ordonne une expertise médicale. Les conclusions de celle-ci sont entérinées par jugement du tribunal, jugement dont l’entreprise d’assurances interjette appel.

Position des parties devant la cour

Dans le cadre de l’appel principal, l’entreprise d’assurances conteste essentiellement les conclusions du tribunal en ce qui concerne son obligation de prise en charge de l’aggravation. L’assureur se réfère également à l’arrêté royal du 26 octobre 2007 (M.B., 9 novembre 2007) fixant le tarif des indemnités de procédure visé à l’article 1022 du Code judiciaire. Pour lui, les indemnités ont été augmentées pour permettre aux justiciables d’obtenir un dédommagement pour leurs frais de défense.

Dans le cadre d’un appel incident, l’intéressée fait en effet valoir que c’est à tort que le premier juge avait refusé la prise en charge par l’entreprise d’assurances des frais et honoraires de son conseil technique, le premier juge ayant considéré que ceux-ci devaient être assurés par l’intéressée elle-même. Celle-ci fait valoir, dans son appel incident, que les frais de conseil technique ne sont pas des frais et dépens au sens des articles 1017 et suivants du Code judiciaire. Elle renvoie à la jurisprudence en matière de répétibilité en dehors de l’hypothèse de responsabilité civile pour faute. Dans deux arrêts (Cass., 2 septembre 2004, J.T., 2004, p. 684 et Cass., 5 mai 2006, J.T., 2006, p. 339), la Cour de cassation est en effet intervenue et a admis que les frais de conseil technique peuvent faire partie de l’indemnité due pour autant que le juge du fond vérifie le caractère de nécessité du lien de cause à effet entre le dommage et les frais de conseil technique. Pour l’intéressée, il suffit de vérifier le caractère de nécessité du lien de cause à effet entre la thèse que soutient en l’espèce l’entreprise d’assurances relativement à l’accident avec ses conséquences et les frais qui ont dû être exposés en vue d’assurer sa défense.

Elle fait également valoir l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Position de la cour

En ce qui concerne l’article 1022 du Code judiciaire, la cour rappelle tout d’abord que cette disposition, telle que modifiée par la loi du 21 avril 2007, vise une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause. Il ne s’agit que des frais de défense juridique et non d’autres frais nécessaires à la défense du justiciable.

La cour constate ensuite que, étant sans compétence médicale particulière, l’intéressée a dû recourir à un conseil technique, aux fins de faire valoir ses droits. L’assureur, en l’espèce, admettait une incapacité permanente de 3% et celle-ci a pu être portée à 14%.

Le litige opposant les parties étant essentiellement d’ordre médical, la cour conclut qu’il était nécessaire que l’intéressée s’adjoigne un conseil technique, docteur en médecine, afin de s’assurer une juste défense sur le plan médical.

Elle reprend à cet égard les principes dégagés par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans plusieurs arrêts (DOMBO c. Pays-Bas, 22 septembre 1993 ; à–à‡ALAN c. Turquie, 12 mars 2003 ; YVON c. France, 24 avril 2003). Dans ces arrêts, la Cour a dégagé le principe selon lequel le droit d’accès à un juge et le principe de l’égalité des armes implique également l’obligation de garantir un équilibre entre les parties au procès. Chaque partie doit avoir la possibilité de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse.

La cour renvoie aux conclusions de l’avocat général HENKES précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2006 ci-dessus, où celui-ci a considéré que l’appui technique constitue pour le justiciable une condition indispensable à la jouissance effective de son droit. Pour l’avocat général, ce coût trouve sa cause dans le besoin de mettre en œuvre le droit querellé.

La cour reprend encore la doctrine consécutive à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, qui – si elle n’invoque pas l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme – est néanmoins pertinente dans les hypothèses de responsabilité sans faute.

Les frais de conseil technique exposés par l’intéressée trouvent leur cause dans l’accident du travail et la victime a dû, dans le cadre de l’expertise ordonnée par le tribunal, recourir à un expert médical afin de permettre au juge d’évaluer justement et correctement les séquelles de l’accident. La prise en charge par l’assureur a dès lors un double fondement, étant d’une part l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, mais également le lien de causalité entre la nécessité d’exposer des frais de conseil technique et l’accident du travail.

La cour fait dès lors droit à la demande et condamne, dans son dispositif, l’entreprise d’assurances à prendre en charge les frais de conseil exposés par l’intéressée dans le cadre de l’expertise judiciaire ordonnée par le tribunal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est certes capital pour la défense des victimes d’accident du travail, qui doivent toujours veiller à recourir à un conseil médical dans le cadre de la procédure judiciaire, dès lors que leur droit à une indemnisation est contesté. Le principe de l’égalité des armes impose la conclusion dégagée par la cour, puisque l’entreprise d’assurances dispose, pour sa part, d’un médecin-conseil.

L’enseignement de cet arrêt paraît, par ailleurs, transposable aux autres expertises médicales ordonnées en sécurité sociale.


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