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Instructions précises données dans l’exécution du travail : critère déterminant pour l’existence d’un contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 mai 2012, R.G. 2011/AB/270

Mis en ligne le mercredi 5 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 24 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/270

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 mai 2012, statuant après l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’existence d’un lien de subordination : le pouvoir de donner des instructions précises sur l’organisation du travail est un critère déterminant de la relation de travail subordonnée.

Les faits

Un indépendant effectuant des travaux de bâtiment s’adjoint pendant une période de cinq mois les services d’un tiers pour l’exécution de prestations de travail. Les faits se situent en 2002.

L’inspection sociale du SPF Sécurité Sociale effectue une enquête et conclut à la débition de cotisations, au motif de l’existence d’un contrat de travail.

Vu le refus de l’intéressé de payer celles-ci, citation est lancée devant le Tribunal du travail de Malines en date du 3 mai 2004.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 1er mars 2006, le tribunal du travail déclare l’action non fondée, au motif que les éléments produits par l’ONSS en vue de faire admettre l’existence de l’autorité patronale sur les prestations du collaborateur étaient insuffisants.

L’ONSS interjette appel.

L’arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 17 octobre 2008

La Cour du travail d’Anvers rend un arrêt le 17 octobre 2008, déboutant l’ONSS de son appel, au motif que les éléments avancés pour faire admettre l’existence de l’autorité devaient être rejetés sauf un, consistant dans l’organisation du travail. Pour la cour cependant cet élément n’était pas suffisant pour exclure l’existence d’une collaboration entre les deux travailleurs, dans le cadre d’un contrat d’entreprise.

L’ONSS forme un pourvoi contre cet arrêt de la Cour du travail d’Anvers, exposant dans celui-ci que, sans instructions de l’indépendant qui avait fait appel à lui, l’intéressé n’était pas en mesure d’exécuter ses tâches, de manière indépendante. L’arrêt ne pouvait dès lors considérer qu’il n’y avait pas d’éléments de nature à faire admettre l’exercice d’un lien hiérarchique d’autorité, le contrôle exercé ne pouvant être limité à un contrôle de la qualité du travail.

L’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2010

La Cour de cassation accueille le pourvoi de l’ONSS, considérant que le juge doit examiner si les éléments invoqués à l’appui de l’existence d’un lien d’autorité laissent apparaître un exercice d’autorité ou la possibilité de cet exercice sur l’exécution du travail relevant d’un contrat de travail qui serait incompatible avec le simple exercice d’un contrôle ou la simple communication de directive dans le cadre d’une convention de travail à caractère indépendant.

Sur l’élément retenu par la cour du travail qui serait susceptible de constituer un lien d’autorité, à savoir l’organisation du travail, qu’il ressort en l’espèce que le fournisseur d’ouvrage avait « appris le métier » au travailleur, celui-ci étant totalement inexpérimenté en la matière, que par ailleurs il ne pouvait choisir ses tâches sur chantier et était obligé d’exécuter ce qui lui était demandé. Sur ce critère d’absence d’expérience professionnelle, la Cour de cassation retient que le travailleur n’était opérationnel que lorsque des instructions précises quant à l’organisation du travail lui étaient données, ce qui impliquait l’exercice d’un contrôle dépassant le simple contrôle qualitatif du travail effectué. En conséquence, ce contrôle apparaît incompatible avec celui qui doit se retrouver dans le cadre d’une collaboration indépendante. Pour la Cour de cassation, le défaut d’expérience professionnelle, combiné avec le défaut de liberté d’organisation du travail, est incompatible avec un contrat d’entreprise.

La cour du travail ne pouvait dès lors constater que le travailleur n’était pas en mesure de fournir des prestations de manière autonome et sans instructions de la part de son cocontractant et qu’il n’y avait cependant pas de lien hiérarchique, seul un contrôle qualitatif étant effectué.

L’affaire est ainsi renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 24 mai 2012

Statuant après cassation, la Cour du travail de Bruxelles réexamine s’il y avait existence d’un contrat de travail pendant la période des cinq mois litigieux, en 2002.

La cour rappelle les critères caractérisant le lien de subordination et reprend de très nombreux arrêts rendus par la Cour de cassation sur la question, dont ceux relatifs à la possibilité pour l’employeur de donner des ordres en ce qui concerne l’organisation et l’exécution du travail et le pouvoir d’appréciation souverain du juge du fond sur l’existence du lien de subordination, à partir des éléments de fait constatés.

Ce pouvoir d’examen des éléments de fait autorise le juge à rejeter la qualification conventionnelle dès lors que celle-ci est incompatible avec la réalité. La cour reprend plus particulièrement les critères mis en exergue par l’Avocat général LENAERTS avant l’arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 1978 (Cass., 16 janvier 1978, Arr. Cass., 1977-78, 577) permettant de distinguer la subordination du contrat d’entreprise (dépendance dans l’organisation du travail, surveillance de l’employeur, organisation financière et économique, …).

En l’espèce, la cour constate qu’il résulte des éléments qui lui sont soumis que vu, son manque de connaissance professionnelle, l’intéressé ne pouvait travailler que lorsque l’indépendant lui donnait des instructions précises concernant l’organisation du travail. La cour retient, ainsi que l’avait épinglé l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2010, que l’indépendant pouvait exercer un contrôle sur les prestations de son collaborateur, contrôle qui dépasse largement le contrôle de qualité du travail fourni. Un tel contrôle est incompatible avec l’exercice du contrôle effectué dans le cadre d’un contrat d’entreprise et la cour conclut que le manque de connaissances professionnelles, combiné à l’absence de liberté dans l’organisation du travail n’est pas compatible avec un contrat d’entreprise.

Les éléments de fait de la collaboration ne peuvent dès lors coïncider avec la qualification donnée par les parties à la convention et la cour peut, dès lors, écarter celle-ci pour considérer que les parties étaient liées par un contrat de travail.

Elle fait dès lors droit à la demande de l’ONSS.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu après l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2010 et confirmant les principes dégagés par la Cour suprême, rappelle un des critères énoncés par la loi du 27 décembre 2006, en ce qui concerne l’existence d’un lien de subordination entre parties : l’absence de liberté dans l’organisation du travail caractérisé par le manque de connaissances professionnelles.

Rappelons que les critères de la loi du 27 décembre 2006 (critères généraux) peuvent, vu l’arrêt de la Cour de cassation lui-même, être invoqués pour la période antérieure à son entrée en vigueur.


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