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Prime contractuelle : légalité de la condition de présence dans l’entreprise au jour de son octroi ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 mai 2012, R.G. 2011/AB/163

Mis en ligne le vendredi 31 août 2012


Cour du travail de Bruxelles, 30 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/163

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine la validité d’une clause contractuelle soumettant son octroi à une condition de présence dans l’entreprise le jour du paiement.

Les faits

Un organisme bancaire engage un cadre le 1er mai 2007 dans un contrat à durée indéterminée. Un an après, le contrat est rompu moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de trois mois.

L’employée considère que l’indemnité doit être de cinq mois au lieu de trois et, surtout, avoir droit à un bonus de l’ordre de 15.000€.

Les parties ne tombant pas d’accord, une action est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement de sommes.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 8 mars 2010, il est partiellement fait droit à la demande de l’employée, sur un complément d’indemnité de préavis et le tribunal admet également la débition de la prime étant la rémunération variable, calculée sur l’année précédant la rupture, année de l’engagement.

En ce qui concerne la condition de présence dans l’entreprise, le tribunal considère qu’il s’agit d’une condition suspensive purement potestative et qu’elle devait être écartée, l’obligation de payer la prime devant être considérée comme pure et simple.

Position des parties en appel

L’employée considère avoir droit à la prime globale de 15.000€, au motif qu’elle correspond à des prestations de 2007. Cette prime exceptionnelle (garantie par contrat) trouve son explication dans un débauchage auprès d’un employeur précédent, au recours d’un chasseur de tête, … L’intéressée considère en outre que, s’agissant d’une rémunération due pour les prestations de l’année antérieure, la condition de présence dans l’entreprise au jour du paiement aggrave sa situation. Elle est dès lors contraire à l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail ainsi qu’à l’ordre public. L’employée analyse encore la condition de présence au sens des dispositions du Code civil relatives à la condition suspensive et y voit une condition purement potestative. Celle-ci est dès lors nulle en vertu de l’article 1174 du Code civil ou, subsidiairement, réputée accomplie en application de l’article 1178 du même code dans la mesure où c’est le débiteur qui en a empêché l’accomplissement.

Quant à l’employeur, il donne comme explication que la rémunération variable telle que prévue pour l’exécution normale du contrat n’est pas applicable la première année, puisqu’elle devrait se fonder sur les prestations de l’année précédente. Il a dès lors été convenu qu’au moment où celle-ci serait payée aux autres employés, l’intéressée perçoive cette prime exceptionnelle et forfaitaire, à la condition cependant d’être présente dans l’entreprise à ce moment. Ceci n’a pas été le cas et la société expose également les conditions de la rupture, étant qu’elle a décidé de rompre moyennant paiement d’une indemnité vu un manquement de l’intéressée, manquement qui aurait pu entraîner un licenciement sur le champ pour motif grave, licenciement qu’elle n’a cependant pas voulu.

L’employeur fait encore grief au premier juge d’avoir considéré que le droit au paiement du variable garanti était conditionnel. Pour l’employeur il s’agissait au contraire d’un droit éventuel et, s’il fallait retenir le caractère conditionnel de ce droit, la société est d’avis que la modalité de paiement est néanmoins valable, vu l’objectif de la prime - qui est de récompenser la fidélité de l’intéressée. Elle conteste avoir commis de faute ayant empêché l’accomplissement de la condition et fait enfin valoir que, si la condition elle-même devait être considérée comme contraire à l’ordre public ou prohibée par la loi, ceci rendrait également nulle la convention qui en dépend (article 1172 du Code civil).

Décision de la cour du travail

La cour est essentiellement saisie de la validité des conditions d’octroi mises au paiement de la rémunération variable, par contrat.

Celui-ci prévoit, en effet, que le variable sera seulement octroyé si l’employé est toujours en service au moment du paiement. Il détermine également la composition de ce variable, étant les critères en déterminant le montant. Un score est en effet fixé pour chacune des composantes (compartiment) et le mode de calcul global fait l’objet de règles bien précises. Le contrat prévoit également le paiement des cotisations de sécurité sociale et du précompte professionnel sur celui-ci.

Une disposition spécifique prévoit cependant que le paiement de cette rémunération variable est garanti une seule fois, et ce en 2008 (étant en l’occurrence l’année du licenciement). Elle est fonction des prestations de 2007 et l’article du contrat précise que ce montant s’élèvera à un forfait de 15.000€ brut, pécule de vacances y compris. La condition de présence au moment du paiement est également rappelée.

La cour doit dès lors examiner la validité de la clause.

En ce qui concerne le droit conditionnel ou éventuel, elle rejette le critère avancé par l’employeur, étant qu’il s’agirait d’une prime de fidélité, cet élément n’étant confirmé par aucun élément du dossier. La cour considère que le fait d’être en service au moment de l’octroi de la rémunération variable ou de la prime est une condition au droit à cette rémunération (relevant cependant un arrêt de la Cour de cassation en sens contraire pour une prime de fin d’année due en vertu d’une convention collective de travail rendue obligatoire – Cass., 30 avril 1990, Pas., 1990, I, 1001).

En ce qui concerne le caractère purement potestatif de la condition, la cour constate que la date du paiement de la prime est tout à fait déterminable et que la société n’a pas la faculté de retarder à sa convenance le paiement de celle-ci, et ce d’autant moins qu’elle est payable à de nombreux travailleurs et qu’elle l’a toujours été à une époque fixe.

Quant à la question de savoir si cette condition de présence dans l’entreprise a un caractère purement potestatif, la cour considère que non, le maintien du contrat de travail ou plutôt sa dissolution n’étant pas un événement qu’il est du pouvoir du seul employeur de faire arriver ou d’empêcher. Le contrat de travail ne peut être rompu du seul fait de l’employeur, d’autres circonstances pouvant être à l’origine d’une telle rupture.

Se pose cependant la question de savoir si la condition ainsi posée est contraire à l’ordre public ou prohibée par la loi.

La cour estime que le fait de soumettre le paiement d’une rémunération variable ou d’une prime à la condition d’être en service à une date déterminée ou déterminable est une condition en principe valable.

Reste encore à examiner la conformité de celle-ci avec l’article 1178 du Code civil, qui considère qu’une condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous condition, qui a en a empêché l’accomplissement. Ceci implique, comme le rappelle très justement la cour, que le débiteur ait commis une faute (Cass., 18 mai 1998, Pas., 1998, I, 259). En l’occurrence, l’intention d’échapper au paiement constitue une telle faute et celle-ci peut être déduite des circonstances concrètes de la cause. S’il était dès lors établi que la société avait voulu échapper au paiement de la prime, la condition serait réputée accomplie.

La cour va dès lors examiner les circonstances de la rupture, intervenue moyennant paiement d’une indemnité. Relevant que, si un préavis avait été presté, l’intéressée aurait été en service au moment du paiement, il faut dès lors voir s’il existe une circonstance faisant présumer un comportement fautif dans le chef de l’employeur.

S’est posée à l’origine du licenciement, une question de manquement de l’employée, étant qu’elle aurait indûment pris de vacances – l’employeur ayant d’ailleurs introduit une demande reconventionnelle de remboursement d’un pécule indûment perçu. En conséquence, la cour se penche sur les circonstances du licenciement. Celles-ci n’ayant cependant pas été exposées dans le détail et avec les précisions jugées ainsi nécessaires, une réouverture des débats est ordonnée sur cette question.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles admet, par contrôles successifs eu égard aux principes généraux de référence, la validité d’une prime – certes qualifiée d’unique, donc dérogatoire au mécanisme général d’octroi – soumise à une condition de présence dans l’entreprise à la date du paiement. C’est en fin de compte la conformité de celle-ci à l’article 1178 du Code civil qui permettra de trancher.

Affaire à suivre …


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