Terralaboris asbl

Poursuite d’une activité après la pension et absence de déclaration : délai de récupération de l’indu

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 mai 2012, R.G. 2008/AB/51.167

Mis en ligne le vendredi 17 août 2012


Cour du travail de Bruxelles, 16 mai 2012, R.G. n° 2008/AB/51.167

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les délais de prescription applicables en matière de récupération d’indu de pension, suite à la poursuite d’une activité exercée en l’absence de déclaration.

Les faits

Un bénéficiaire de pension dans le secteur des travailleurs salariés et dans le secteur des travailleurs indépendants poursuit une activité professionnelle d’indépendant (mandat d’administrateur rémunéré de société commerciale). Il a cependant complété un formulaire de cessation de toute activité professionnelle à une date antérieure. Des décisions de suspension sont prises par l’ONP (à l’époque ONPTS) et l’INASTI. Une contestation surgit à propos d’une décision tendant à la récupération d’un montant de l’ordre de 12.500€ (soit environ 500.000 BEF à l’époque), montant correspondant à un indu dans les deux régimes.

Un jugement intervient et l’intéressé est autorisé à s’acquitter de sa dette par mensualités. Appel est cependant interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles. L’intéressé décède le 30 janvier 1987. Une citation est alors signifiée à sa veuve devant le tribunal de première instance, le 20 octobre 1992. Dans le cadre de l’instance pendante devant la cour du travail, l’ONP cite l’intéressée en reprise d’instance, par citation du 29 septembre 2010.

Position de parties en appel

La veuve du pensionné demande à la cour de déclarer prescrite l’action en reprise d’instance mue contre elle, faisant valoir que cette action est intervenue en-dehors du délai de prescription de 10 ans (en application de l’article 2262bis du Code civil). Elle signale également avoir renoncé à la succession de son époux et conteste qu’il puisse s’agir d’une dette du ménage, vu le régime matrimonial (régime de séparation de biens).

Quant à l’ONP, il considère que l’acte de reprise d’instance n’est pas soumis à un délai de prescription et, au demeurant, fait valoir que la procédure introduite devant le tribunal de première instance est un acte interruptif. Il plaide que l’intéressée a encaissé le seul actif laissé par son époux et que, la pension étant accordée au taux ménage, la dette d’indu est une dette contractée pour les besoins de celui-ci. Il en résulte qu’il y a solidarité. Sur le fond, l’ONP rappelle que l’exercice d’un mandat d’administrateur de société malgré la déclaration indiquant la cessation de l’activité professionnelle. Cette circonstance doit influer sur le délai de prescription, qui doit être de cinq ans, délai applicable en cas de fraude ou de mauvaise foi.

Avis du Ministère public

Le Ministère public considère qu’il y a lieu d’appliquer le délai de prescription de six mois, les circonstances de l’espèce ne pouvant impliquer mauvaise foi ou fraude.

Décision de la cour du travail

Pour la cour, l’indu n’est pas discutable et le débat tourne autour du délai de prescription applicable à l’action en récupération. La cour va dès lors examiner l’évolution de la législation à cet égard dans les deux secteurs.

Dans le secteur des salariés, la loi du 13 juin 1966 règle la question du délai en son article 21, § 3. Initialement le délai était de deux ans mais il a été porté à cinq ans par une loi du 5 juin 1970 pour couvrir les hypothèses de dol ou de fraude dans le chef du débiteur. Il a ensuite été réduit à six mois en l’absence de dol ou fraude. La cour signale cependant que ces notions ont été jugées trop restrictives, particulièrement en cas de cumul avec une activité professionnelle, chose relevée dans le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 205 du 29 août 1983, qui va de nouveau modifier les règles, ajoutant à l’hypothèse des manœuvres frauduleuses, déclarations fausses ou sciemment incomplètes, celle de l’abstention de produire une déclaration que le bénéficiaire était tenu de faire.

Passant à l’examen de la question dans le secteur des indépendants, la cour reprend l’évolution des textes, évolution similaire.

Or, à l’époque des faits, l’extension du délai de prescription de cinq ans à l’hypothèse de l’absence de déclaration n’existait pas. Il faut dès lors se reporter au seul délai applicable, étant le délai de six mois, hors dol ou fraude. La cour rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1985 (Cass., 4 février 1985, Pas., 1985, n° 328), selon lequel le dol ou la fraude naissent uniquement dans un contexte de tromperie, ce qui n’est pas le cas du non-respect d’une obligation à laquelle l’assuré social s’est engagé. L’intéressé n’avait aucun esprit de fraude, ayant à l’époque été assujetti au statut social des travailleurs indépendants, ayant déclaré les revenus à l’administration des contributions et étant, ainsi, lui-même à l’origine de la découverte du dépassement par l’ONP. La cour rappelle encore que les notions de fraude et de dol doivent être appréciées au moment des paiements indus et non eu égard à un comportement ultérieur.

Enfin, en ce qui concerne l’interruption de la prescription, la cour relève deux actes datant de l’année 1980, qui permettent d’apprécier le montant de l’indu à ce moment, montant largement inférieur à ce qui est réclamé et à ce qui a, par ailleurs, été récupéré par le biais de saisies.

Elle déclare dès lors la demande de l’ONP non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en de termes clairs, l’évolution des règles dans les deux secteurs de pensions (travailleurs salariés et travailleurs indépendants) avec les règles applicables. L’arrêt renvoie ici à la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation en ce qui concerne le dol et la fraude, notions d’interprétation restrictive, qui ont amené à un changement des textes, élargissant les hypothèses d’application du délai de prescription de cinq ans à des manquements spécifiques de l’assuré social eu égard à ses obligations en matière de déclaration préalable.


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