Terralaboris asbl

Défaut d’assurance contre les accidents du travail : nature de la sanction de la cotisation d’affiliation d’office

Commentaire de C. trav. Liège, 18 mai 2012, R.G. 2011/AL/490

Mis en ligne le jeudi 19 juillet 2012


Cour du travail de Liège, 18 mai 2012, R.G. n° 2011/AL/490

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 mai 2012, la Cour du travail de Liège examine la question de la nature de la sanction légale en cas de défaut d’assurance contre les accidents du travail : sanction de nature civile ou pénale ?

Les faits

Suite à l’intervention du Fonds des accidents du travail, une société en défaut d’assurance est affiliée d’office et se voit infliger une cotisation de l’ordre de 22.750€ en application de l’article 50 de la loi du 10 avril 1971 prévoyant la cotisation d’affiliation d’office et de l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971. Vu le non paiement, la cotisation est majorée de 10%. Un plan d’apurement échelonné est alors arrêté mais ne sera que partiellement exécuté, laissant subsister un solde de l’ordre de 10.000€ (plus majorations).

La société saisit, en fin de compte, le tribunal du travail aux fins d’obtenir le sursis pour le solde de la sanction (plus majorations et intérêts de retard), faisant état du caractère pénal de celle-ci, eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à celle de la Cour constitutionnelle.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 9 juin 2011, le Tribunal du travail de Liège admet le caractère pénal de la sanction que constitue la cotisation d’affiliation d’office : il s’agit de l’application d’une règle générale qui concerne la population dans son ensemble et qui poursuit un objectif principalement répressif et dissuasif. Pour le tribunal, l’aspect indemnitaire (que le FAT demandait de retenir) ne revêt qu’un caractère subsidiaire. Le tribunal renvoie à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (dont C. trav. Mons, 8 décembre 2010, Chron. D.S., 2011, p. 471), jurisprudence qui a posé la question de l’octroi du sursis pour les sanctions édictées en cas de manquements à des obligations découlant de la législation en matière de sécurité sociale.

Le tribunal a confirmé la décision administrative.

Décision de la cour du travail

Sur appel de la société, la cour est ainsi saisie de la question de savoir si cette cotisation d’affiliation d’office peut avoir le caractère de sanction pénale et si, notamment, l’on peut lui appliquer le sursis.

Elle reprend, en premier lieu, les dispositions spécifiques de la loi du 10 avril 1971 sur la question, ainsi que le mode de calcul de la cotisation repris dans l’arrêté royal d’exécution du 21 décembre 1971.

Elle vise également les dispositions du Code pénal autorisant à réduire la peine ou l’amende en-dessous du seuil fixé par le texte qui édicte la sanction (existence de circonstances atténuantes) et rappelle qu’existent également des mesures relatives aux modalités d’exécution de la peine, mesures prévues par la loi du 29 juin 1964 sur la suspension, le sursis et la probation. Cette loi n’est, en règle, pas applicable aux sanctions administratives réprimant les infractions en matière de sécurité sociale et la cour souligne que ceci est un élément important au présent débat, au cas où le caractère pénal de la sanction serait reconnu.

C’est en effet la nature civile ou pénale de la sanction qu’il faut trancher et la cour examine en premier lieu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a dégagé trois critères alternatifs permettant de déterminer si une mesure peut être qualifiée de sanction de nature pénale : (i) la qualification donnée en droit interne, étant que si elle a la nature de sanction pénale sur le plan national, il en va de même sur le plan européen mais non l’inverse, (ii) la nature de la norme et du comportement réprimé : règle qui concerne la population dans son ensemble et qui poursuit à la foi un objectif dissuasif et répressif et (iii) la nature et la gravité de la sanction : en l’occurrence sanction financière élevée dépendant de trois facteurs dont les effets sont cumulatifs (nombre de travailleurs concernés, calcul de l’assiette de la cotisation d’office et taux progressif eu égard à la durée de l’infraction).

La cour procède ensuite à un long examen d’une vaste jurisprudence des cours supérieures belges, constatant qu’une controverse a longtemps opposé la Cour d’arbitrage à la Cour de cassation en ce qui concerne la nature des sanctions administratives, la première optant pour la nature pénale prédominante et la seconde retenant son caractère purement indemnitaire.

Elle fait ensuite sien le raisonnement de la Cour du travail de Mons dans l’arrêt cité ci-dessus, arrêt qui a retenu le caractère pénal du type de sanction au motif que la cotisation a un caractère répressif prédominant. Il en découle que le juge a un pouvoir quant au quantum de la sanction étant qu’il peut appliquer les principes généraux du droit pénal et ici également la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation ont tracé les limites de l’application de ces principes d’individualisation des sanctions.

Par ailleurs, le juge a un pouvoir de pleine juridiction mais son pouvoir est limité à celui que détient l’administration et en l’espèce il découle des articles 50 de la loi du 10 avril 1971 et de l’article 59 de l’arrêté royal d’exécution que l’administration doit infliger la cotisation d’affiliation d’office et n’a aucunement la possibilité d’en moduler le montant. Celui-ci est déterminé de manière fixe et forfaitaire sur la base des trois critères vus ci-dessus. La cour n’a dès lors pas le pouvoir de réduire la cotisation imposée à la société.

A coté de la question du quantum se pose celle du sursis à l’exécution et la cour revient ici également à de longues considérations tirées de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution du fait du caractère inéluctable des amendes administratives, et ce eu égard à la situation du même contrevenant s’il avait été poursuivi devant les juridictions pénales - hypothèse dans laquelle il aurait pu bénéficier d’une mesure d’individualisation de la peine en application de la loi du 29 juin 1964.

La cour s’écarte ici de la jurisprudence de la Cour du travail de Mons qui, vu cette lacune, avait fait bénéficier l’intéressé de la mesure d’individualisation de la peine. Pour la Cour du travail de Liège, l’on peut s’interroger sur l’étendue des pouvoirs des juridictions du travail pour assortir ladite cotisation d’un sursis, s’agissant d’une lacune législative (ou réglementaire).

Elle relève que, s’agissant d’une lacune intrinsèque, étant qu’elle se trouve dans le texte même de la disposition qui fait l’objet du constat d’inconstitutionnalité, il est admis que le juge peut – voire doive – combler cette lacune à la condition de rendre celle-ci conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution. Il ne peut cependant se substituer au législateur si la lacune est telle qu’elle exige nécessairement une nouvelle règle devant faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux ou si son comblement requiert une modification d’autres dispositions.

La cour passe alors en revue l’ensemble des textes de sécurité sociale qui autorisent le sursis dans les sanctions administratives (soins de santé et indemnités, chômage). Elle ne va cependant pas plus loin dans le règlement du litige à ce stade, ordonnant une réouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure sur l’étendue du pouvoir du juge d’octroyer un sursis à l’exécution de la récupération de la cotisation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle à très juste titre que la Cour du travail de Mons a déjà été saisie de la question et qu’elle a conclu, pour sa part, à la possibilité pour les juridictions du travail d’accorder le sursis à l’exécution de la récupération de la cotisation d’affiliation d’office.

La Cour du travail de Liège s’interroge cependant sur la compétence du juge, eu égard au principe de la séparation des pouvoirs. Affaire à suivre donc.


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