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Etat psychique consécutif à un accident du travail et limitations de tous les aspects de l’activité professionnelle : évaluation de l’incapacité permanente

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2012, R.G. 2010/AB/739

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2012, R.G. n° 2010/AB/739

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles conclut que, en présence d’un état psychique limitant une victime d’un accident du travail dans tous les aspects de son activité professionnelle, il y a lieu d’apprécier la capacité de travail restante eu égard aux travaux que celle-ci peut encore exercer, travaux en l’occurrence inexistants.

Les faits

Une ouvrière travaille en qualité de repasseuse dans un nettoyage à sec. Elle est victime d’un accident du travail alors qu’elle emballait un vêtement. Sa main droite est coincée dans une presse servant à sceller les emballages et elle est blessée à la face dorsale de la main. La blessure ne guérit pas et une rupture du tendon de l’extenseur de l’annulaire est détectée un mois plus tard. Malgré une intervention chirurgicale, la main continue à gonfler et à être douloureuse.

Une tentative de reprise du travail avorte après quatre jours, l’intéressée se plaignant de douleurs de plus en plus importantes. Cinq mois après l’accident, des troubles psychologiques (décompensation psychique) sont constatés et ceux-ci prennent le pas sur les questions orthopédiques. Un psychiatre est consulté. Un syndrome algoneurodystrophique est alors évoqué et divers traitements sont suivis.

Le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances voit l’intéressée régulièrement. Il fait procéder à un examen psychiatrique, dont les conclusions confirment l’existence de troubles anxio-dépressifs.

L’entreprise d’assurances propose de fixer le taux d’incapacité permanente à 18%. Ceci n’est pas accepté par l’intéressée et une procédure est introduite devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal du travail

Après avoir désigné un expert, le tribunal du travail a statué provisoirement sur les séquelles de l’accident par jugement du 22 juin 2010, dans lequel il a entériné le rapport de l’expert judiciaire, qui a fixé à 20% le taux d’incapacité permanente constatant l’existence d’un état dépressif d’intensité moyenne. L’expert a relevé l’existence d’une « paralysie psychique » de l’avant-bras droit et a constaté que l’intéressée n’utiliserait plus celui-ci, ce qui lui paraissait avoir un impact important sur ses capacités de travail (eu égard à sa formation, ses antécédents professionnels, ainsi qu’à son profil de travail, qui ne comprend que des postes d’ouvriers et du travail manuel). Il a fait référence à un état de paralysie organique et considéré qu’il y avait lieu d’évaluer l’incapacité de la même manière.

Devant le premier juge, l’intéressée avait déjà considéré que ce taux ne reflétait en rien la perte de capacité de travail subie en conséquence de l’accident. La réalité du tableau de régression mis en évidence par les travaux d’expertise n’avait en effet pas été contesté par l’expert et ce tableau n’était, pour elle, nullement reflété par le taux proposé, en vertu duquel elle conserverait 80% de sa capacité économique, soit pratiquement les possibilités qu’elle avait avant l’accident de gagner sa vie par le fruit de son travail.

Tout en retenant déjà ce taux de 20%, le tribunal a dès lors, dans son jugement provisoire, chargé l’expert d’une mission complémentaire sur l’évaluation définitive de l’incapacité de travail.

L’intéressée a interjeté appel de ce jugement, considérant que l’incapacité permanente devait être fixée à 100%.

Décision de la Cour

La cour rappelle les principes en matière de lien de causalité entre l’accident et des séquelles d’ordre psychologique. La présomption de causalité de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 ne peut être écartée au motif que la lésion invoquée est postérieure à la lésion constatée au moment de l’accident. La relation causale peut être indirecte, c’est-à-dire passer par un intermédiaire qui a lui-même un lien causal tant avec l’accident qu’avec la lésion. Dès lors que l’accident est la cause, même partielle ou indirecte, des suites dommageables manifestées postérieurement à l’accident, il y a lieu à réparation.

En l’espèce, la cour rappelle que les lésions initiales étaient d’ordre orthopédique et que les plaintes d’algoneurodystrophie ont en fin de compte été considérées comme purement subjectives. Cependant, tel n’est pas le cas pour les problèmes d’ordre psychologique, vu la confirmation d’un état chronique de décompensation narcissique de type asthéno-dépresssivo-anxieux. Il y a état dépressif chronique et paralysie psychique de l’avant-bras droit : la capacité de gain de l’intéressée doit dès lors être évaluée en tenant compte de ces séquelles.

Sur les principes en matière d’évaluation de l’incapacité permanente, la cour rappelle qu’il faut rechercher les activités professionnelles que la victime pourra encore exercer et grâce auxquelles elle pourra gagner régulièrement sa vie. Elle rappelle les critères habituels du marché de l’emploi et relève que celui-ci ne doit pas être utopique : l’atteinte définitive au potentiel économique de la victime justifiant une incapacité permanente totale doit être admise dès lors que la victime est privée de la possibilité de se procurer encore normalement des revenus réguliers par son travail. La cour rappelle également que la répercussion des lésions sur le potentiel économique de la victime est appréciée souverainement par le juge et que celui-ci n’est pas lié par l’avis de l’expert qu’il a désigné.

Reprenant les appréciations du rapport d’expertise, la cour conclut que, au vu du tableau présenté, l’intéressée n’est plus capable de travailler, vu la limitation dans tous les aspects de l’activité professionnelle : elle ne peut plus exercer son travail, elle ne peut plus exécuter les instructions reçues dans le cadre du travail et ne peut plus avoir de contact avec ses collègues.

La cour conclut qu’il faut tenir compte d’un principe de réalité et que, en proposant un taux de 20%, l’expert a négligé les conclusions du sapiteur psychiatre qui avait pourtant insisté sur l’impact de la paralysie psychique sur les capacités de travail de la victime.

La cour rejette, enfin, l’argument de l’assureur-loi selon lequel le médecin-conseil de l’intéressée aurait marqué accord sur un taux de 20%, et ce eu égard au caractère d’ordre public de la loi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles fait une application très stricte des principes en matière de réparation d’un accident du travail dans le cadre de l’incapacité permanente de travail. Il fait également une analyse réaliste et concrète du marché de l’emploi, dans l’hypothèse envisagée. En l’espèce, la personne souffrait de troubles psychiques invalidants depuis près de dix ans (l’accident datant de 2002). La cour du travail s’écarte, en sus, considérablement de l’appréciation de l’expert judiciaire, rappelant que le juge apprécie souverainement, dans chaque cas d’espèce, les répercussions des lésions sur le potentiel économique de la victime.


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