Terralaboris asbl

Nomenclature INAMI et maladie rare

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 décembre 2010 et 15 mars 2012, R.G. 2008/AB/51.642

Mis en ligne le lundi 2 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 mars 2012, R.G. n° 2008/AB/51.642

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à propos d’une maladie rare (reconnue au plan européen) que les patients qui en sont atteints doivent avoir un accès équitable aux soins.

Les faits

Une assurée sociale demande à son organisme assureur l’intervention majorée pour pathologie lourde. Elle souffre de mucopolysaccharidose. Celle-ci n’est pas reprise parmi les affections ouvrant le droit à cette intervention au titre de pathologie lourde.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 12 novembre 2007, le tribunal du travail ordonne une expertise, aux fins de déterminer si la maladie en cause peut être reconnue comme pathologie lourde, visée à la nomenclature. Après avoir confirmé le diagnostic, l’expert constate que stricto sensu cette affection n’est pas reprise dans les pathologies lourdes indemnisées mais qu’elle pourrait y être assimilée par analogie.

Le tribunal du travail déclare le recours fondé par jugement du 14 novembre 2008.

Les décisions de la cour du travail

L’arrêt du 16 décembre 2010

La cour rend un premier arrêt en date du 16 décembre 2010. Elle y constate que diverses décisions sont intervenues successivement et que, en fin de compte, la période litigieuse (refus d’intervention) concerne la période du 1er octobre 2003 au 19 septembre 2006. Dans les décisions intervenues, que ce soient celles d’autorisation ou de refus, la cour relève qu’elles comportent la même référence légale et que, pour justifier le revirement de sa position, l’organisme assureur invoque une modification de la liste E de l’arrêté royal du 23 mars 1982 par un autre en date du 15 mai 2003. La cour constate que cet arrêté a été annulé et que les conséquences de cette annulation justifient une réouverture des débats.

Elle précise cependant qu’il n’est pas de la compétence du juge de se prononcer de manière générale sur l’opportunité d’intégrer une prestation dans la nomenclature mais de vérifier si, en appliquant celle-ci à un cas particulier, l’autorité administrative n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ou d’interprétation et ne viole pas une norme qui s’impose à elle.

Elle relève déjà que pourrait être heurté le principe de non discrimination et que le caractère d’ordre public de la matière ne peut pas faire obstacle au respect du principe d’égalité. La cour signale mettre d’ores et déjà en doute que la différence constatée soit en l’espèce raisonnablement justifiée vu que l’esprit de la nomenclature ne se limite pas à une liste limitative de pathologies permettant le remboursement de soins. Elle renvoie à un arrêt rendu le 4 juin 2009 (C. trav. Bruxelles, 4 juin 2009, R.G. 48.270), dont elle reprend de larges extraits. Elle soumet dès lors à la contradiction des débats la question de l’éventualité d’une discrimination, s’agissant d’une maladie moins connue, pour laquelle doit cependant être respectée l’égalité d’accès aux soins et à des soins de qualité, sur la base de l’équité et de la solidarité.

L’arrêt du 15 mars 2012

Dans cet arrêt, la cour constate que, malgré ses demandes pressantes, elle n’a obtenu aucune précision valable sur le motif justifiant en fait et en droit l’octroi de l’intervention majorée pour certaines périodes.

En ce qui concerne l’arrêté royal du 15 mars 2003 invoqué par l’organisme assureur, la cour rappelle qu’il a été annulé et ne peut fonder la décision de refus.

En ce qui concerne le fait que ladite maladie ne figure pas dans la liste, la cour rappelle l’enseignement de son arrêt du 16 décembre 2010 et cite également une question parlementaire portant sur les listes des pathologies lourdes « à vie » (Question n° 2225 du 19 juillet 2002, Bull. 2-61, ses. 2002-2003). Il ressort de celle-ci que l’adaptation de la liste est nécessaire.

La cour relève encore que la maladie en cause est reprise comme une maladie rare reconnue au plan européen et que la question posée est celle de l’égalité d’accès aux soins et à des soins de qualité sur la base de l’équité et de la solidarité. Vu la rareté de la maladie, le patient est dans une position difficile, s’agissant pour lui de faire reconnaître celle-ci dans le cadre de l’accès aux soins de santé. Cette problématique a été examinée dans le cadre du deuxième programme d’action communautaire dans le domaine de la santé (2008-2013) et le Conseil a pris le 8 juin 2009 une Recommandation 2009/C 151/02 et le Parlement une résolution le 23 avril 2009 sur la question.

La gravité des lésions et pathologies en cause ne pouvant être niée et présentant des analogies avec d’autres pathologies lourdes reprises dans la nomenclature, la cour considère que l’autorité administrative a commis une erreur manifeste d’appréciation de celle-ci, erreur qui repose sur une interprétation limitative, puisqu’elle reprend littéralement les pathologies lourdes qui y sont reprises de manière stricte sans avoir égard aux maladies rares qui présentent les mêmes caractéristiques.

La cour relève encore que raisonner autrement serait source de discrimination : l’intéressée serait en effet exclue au seul motif que la pathologie dont elle souffre n’est pas reprise dans la nomenclature. Il y aurait ainsi violation du principe d’égalité entre les personnes qui souffrent d’une pathologie lourde relevant d’une maladie rare et celles dont la pathologie (similaire) est reconnue dans la nomenclature. Pour la cour, le fait que cette pathologie ne soit pas reprise nommément est une différence objective mais aucune justification raisonnable n’est avancée par l’organisme assureur permettant de la justifier.

L’équilibre financier ne peut être invoqué lorsqu’il s’agit de traiter différemment des catégories comparables de bénéficiaires, et ce sans justification raisonnable. La cour relève encore que, précisément, s’agissant d’une maladie rare, elle ne va toucher que peu de personnes et n’est donc pas susceptible de mettre en péril l’équilibre financier du secteur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans l’hypothèse d’une mucopolysaccharidose, confirme la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles. Ainsi, dans un arrêt du 4 juin 2009 (précédemment commenté), la cour du travail avait déjà examiné la question sous l’angle d’une discrimination injustifiée, dans la mesure où il s’agissait d’une maladie répondant au même degré de gravité que d’autres pathologies lourdes reprises dans la nomenclature.


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