Terralaboris asbl

ONSS : conséquences d’une décision de désassujettissement d’office

Commentaire de C. trav. Mons, 21 décembre 2011, R.G. 2009/AM/21.474

Mis en ligne le mardi 26 juin 2012


Cour du travail de Mons, 21 décembre 2011, R.G. n° 2009/AM/21.474

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 décembre 2011, la Cour du travail de Mons rappelle, dans un arrêt particulièrement fouillé, les conséquences d’une décision de désassujettissement prise par l’ONSS et, particulièrement, sur le plan de la preuve du lien de subordination.

Les faits

Plusieurs membres d’une famille travaillent dans une entreprise familiale constituée sous forme de SPRL. Le père est gérant et ses deux fils prestent comme ouvriers depuis le début de leur carrière professionnelle, entamée pour l’un en 1955 et pour l’autre en 1963. Suite au décès du père, intervenu en 1994, les deux fils sont nommés gérants. Les parts de la société sont redistribuées, chacun détenant, eux-mêmes et leur épouse, pratiquement la moitié. Leur démission en tant que gérant est actée quelques mois plus tard et l’épouse de l’un d’entre eux est nommée gérante, le mandat étant exercé à titre gratuit. Les parts en possession des deux fils sont ultérieurement cédées par chacun à sa belle-sœur respective. Un des deux frères est admis à la pension de retraite en 2001 et l’autre est licencié en 2002.

Suite à une enquête des services de l’ONEm en 1995, l’ONSS décide en 1996 de désassujettir les deux frères pour la période (6 mois) pendant laquelle ils ont été gérants de la société. Une longue procédure va opposer les parties sur la période postérieure, qui porte sur plusieurs années.

Rétroactes de la procédure

Le Tribunal du travail de Bruxelles fit droit à la demande et annula les décisions de refus d’assujettissement, au motif qu’il y avait prestations dans le cadre d’un contrat de travail pour la période consécutive à la démission en qualité de gérant.

Cette décision fut confirmée par un arrêt du 5 septembre 2007 de la Cour du travail de Bruxelles, arrêt cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 15 septembre 2008, au motif de vice de procédure (absence d’avis du Ministère public conformément à l’article 764, alinéa 1er, 10° du Code judiciaire).

La Cour du travail de Mons fut alors saisie.

Arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 mai 2010

La cour rappelle, dans cet arrêt, que l’ONSS dispose du privilège du préalable, par application du principe général du droit de la continuité du service public et que, ainsi, à la différence des particuliers, il peut prendre lui-même des décisions exécutoires, étant des décisions dont la mise en œuvre ne requiert pas l’intervention préalable du juge. La décision administrative ainsi prise bénéficie d’une présomption de légalité. L’ONSS peut ainsi décider d’office de l’existence d’un contrat de travail (conditions de l’assujettissement d’un employeur ou d’un travailleur) ou de l’inexistence de celui-ci. La décision prise doit cependant être motivée, puisqu’elle emporte des effets juridiques immédiats et est de caractère exécutoire.

La cour ordonne la réouverture des débats notamment sur les effets de la cession des parts aux épouses, cession qui apparaît intervenue sans contrepartie financière. La cour se demande en conséquence si une telle donation, intervenue par inscription dans le registre des associés, peut produire des effets juridiques, alors que les parts d’une SPRL sont obligatoirement nominatives. L’absence de paiement amène également la cour à se poser la question de savoir s’il n’y aurait pas gestion concurrente des deux conjoints.

Arrêt de la Cour du travail de Mons du 21 décembre 2011

Dans cet arrêt, la cour rappelle de manière très détaillée les principes en matière d’existence de contrat de travail, étant les critères de la subordination juridique. Elle revient longuement sur de nombreux arrêts de la Cour de cassation sur la question et reprend l’ensemble des éléments qui ont été considérés par celle-ci comme n’étant pas inconciliables avec la qualification du contrat d’entreprise.

La cour du travail constate en l’espèce que, après la démission des deux frères de leur mandat de gérant, les parties ont omis de donner une qualification précise à leurs relations professionnelles, dès lors qu’il y a eu prestations sur la base d’un contrat verbal. Il faut, en conséquence, rechercher la volonté des parties mais également la réalité des faits. La cour rappelle particulièrement que, dans le cadre d’un recours contre une décision de refus d’assujettissement ou de désassujettissement, c’est le travailleur (ou même l’employeur) qui se prévaut de l’existence du contrat de travail qui doit justifier le maintien de l’assujettissement.

Constatant qu’il n’y a pas de contestation pour la courte période relative à l’exécution du mandat de gérant, la cour examine les conditions dans lesquelles les prestations sont intervenues ultérieurement, et ce jusqu’à la fin de l’exécution du contrat de travail, pour chacun des deux frères.

Elle recherche dès lors si les intéressés apportent la preuve de la qualification qui a été donnée verbalement à leurs relations, considérant qu’ils ne peuvent se cantonner à adopter une attitude passive à cet égard. La cour s’attache dès lors à examiner si l’une des deux épouses, qui s’est vue confier la qualité de gérante avait un pouvoir d’autorité réel sur les deux intéressés.

La cour reprend l’ensemble des déclarations qui ont été reprises dans les procès-verbaux d’audition et s’attache plus particulièrement aux premières, dans la mesure où elles ont été établies in tempore non suspecto. Elle en retient que la gestion administrative (facturations, déclarations fiscales, comptabilité, …) a été faite par l’épouse en question, soit seule, soit avec l’aide de son mari ou de tiers à l’entreprise selon les époques, mais que cette gestion a un caractère purement administratif et n’implique par l’autorité nécessaire pour qu’existe un lien de subordination vis-à-vis des deux intéressés. Aucun élément matériel n’existe, dans le dossier, démontrant dans le chef de la gérante l’existence de prérogatives patronales lui permettant d’être en mesure d’exercer un lien d’autorité, c’est-à-dire d’être en mesure de commander et de donner des ordres aux deux travailleurs pour l’exécution du travail convenu. En conséquence, la cour retient que les « maîtres de fait » de la société étaient les deux frères et qu’il faut confirmer les décisions notifiées par l’ONSS.

Enfin, la cour va répondre à un argument soulevé par les deux frères, qui considèrent qu’il y a eu une faute dans le chef de l’Office, faute susceptible d’engager sa responsabilité. La cour rappelle qu’il peut y avoir faute dans deux hypothèses : celle où l’administration a méconnu une règle de droit lui imposant de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée et celle intervenue dans le cadre général de l’activité de l’autorité administrative, sur la base du critère de la personne normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes circonstances.

En l’espèce, si un certain délai doit être constaté entre des étapes de la procédure administrative, il n’y a pas, pour la cour, de faute quasi délictuelle, vu que la première des décisions intervenues remonte à 1996. Pour la cour il n’y a pas de faute pouvant être assimilée à une erreur de conduite.

Intérêt de la décision

L’enseignement essentiel de cet arrêt porte sur les effets d’une décision de désassujettissement d’office prise par l’ONSS : la décision insiste sur l’obligation pour le travailleur d’établir la réalité de la subordination juridique, dans le cadre des prestations de travail contestées.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be