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Le dommage réparable d’un accident de travail inclut les troubles subjectifs engendrant des efforts accrus dans l’accomplissement des tâches professionnelles normales

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 juin 2006, R.G. 43.699

Mis en ligne le jeudi 21 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 26 juin 2006, R.G. n° 43.699

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 26 juin 2006, la cour du travail de Bruxelles se prononce sur l’indemnisation à réserver à des troubles subjectifs présentés par une victime d’un accident du travail et qui la contraignent à fournir des efforts supplémentaires dans l’exécution de son travail. La Cour rappelle le caractère indemnisable des troubles subjectifs entraînant des efforts accrus et fixe l’incapacité permanente de travail en tenant compte de ceux-ci.

Les faits

Madame R. est victime d’un accident du travail en date du 27 février 1997, alors qu’elle prestait en qualité d’aide-soignante dans une maison de repos et de soins exploitée par un CPAS. Deux expertises médicales successives sont ordonnées par le tribunal du travail aux fins de déterminer les séquelles conservées par la travailleuse ensuite de l’accident. Celles-ci révèlent des plaintes douloureuses subjectives au niveau de l’épaule droite et du muscle trapèze droit (irradiant vers le muscle deltoà¯de, vers la nuque et jusqu’au milieu du dos), plaintes exacerbées lors des mouvements du bras droit et lors du port de charges.

Ces troubles sont dits subjectifs dans la mesure où ils n’ont pu être confirmés par les examens médicaux et paramédicaux effectués dans le cadre des expertises.

Alors que le second expert avait conclu à une incapacité permanente de 6%, l’employeur estimait qu’il n’y avait pas d’incapacité permanente et sollicitait en conséquence la réformation du jugement ayant fixé, sur la base du second rapport d’expertise, l’incapacité permanente à 6%.

La décision de la Cour

Après avoir rejeté divers arguments soulevés par l’employeur sur le plan de la régularité des expertises, la Cour examine les séquelles subsistant ensuite de l’accident, conformément aux deux rapports déposés au dossier. La Cour note qu’il s’agit de plaintes subjectives, dans la mesure où les examens objectifs sont restés normaux (absence d’anomalies détectées expliquant les plaintes). La Cour relève cependant que ces troubles subjectifs ont justifié une incapacité de travail, un traitement de mésothérapie, des infiltrations, un traitement médicamenteux ainsi que de la kinésithérapie.

La Cour relève que les experts médecins qui se sont prononcés ont reconnu, avec un haut degré de certitude médicale, que ces troubles douloureux existaient, quoique les examens objectifs soient restés normaux. Elle note que lesdits examens objectifs ne sont pas toujours en mesure de révéler l’ensemble des aspects du fonctionnement du corps humain, de sorte qu’ils ne sont pas la seule mesure des séquelles d’un accident du travail et que les médecins, confrontés à des troubles subjectifs, peuvent, afin d’en reconnaître la réalité, se fonder sur leur expérience et sur la littérature médicale, en tenant compte de la vraisemblance et de la cohérence des plaintes.

Constatant en l’espèce que la matérialité des troubles subjectifs dont la travailleuse se plaint résulte des avis convergents des deux experts judiciaires, la Cour les retient.

Elle examine ensuite le marché général du travail de la travailleuse, pour conclure qu’une partie importante de celui-ci est la fonction d’aide sanitaire.

Se référant au second rapport d’expertise, décrivant la journée normale du travail, la cour constate que cette fonction, dans une maison de repos et de soins, peut être qualifiée de travail lourd et semi-lourd de façon intermittente, ne contenant que peu de prestations légères. Sur la base de la description effectuée par l’expert, la Cour constate que les tâches professionnelles normales imposent l’accomplissement de gestes sollicitant la mobilisation de l’épaule et du bras droit, ainsi que de la nuque, soit des mouvements qui, en raison des troubles douloureux subjectifs, rendent plus pénible l’exécution du travail par la travailleuse et l’obligent à fournir des efforts accrus pour l’accomplissement de ses prestations.

La cour rappelle ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle le dommage matériel subi par la victime en raison d’une réduction permanente de son aptitude au travail consiste en la diminution de la valeur de la victime sur le marché du travail mais également en la nécessité pour celle-ci de fournir des efforts accrus dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales. Tel étant effectivement le cas dans le présent cas d’espèce, la Cour estime qu’il y a bien incapacité permanente indemnisable dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Enfin, la cour examine le taux proposé par l’expert et l’estime, eu égard à la justification apportée par celui-ci, fondé. Elle rejette en conséquence l’appel de l’employeur.

Intérêt de la décision

La décision notifiée ci-dessus est exemplative de la méthode que doivent suivre les juridictions du travail saisies d’une demande d’indemnisation d’un accident du travail en ce qui concerne la détermination du taux d’incapacité permanente de travail, qui suppose à la fois l’examen du marché général du travail et celui des conséquences des séquelles sur les gestes professionnels nécessaires à l’accomplissement du travail.

L’arrêt est par ailleurs intéressant à au moins deux titres :

  1. en ce qu’il se prononce sur les conditions de prise en compte et de reconnaissance des troubles subjectifs, c’est-à-dire les troubles et plaintes douloureuses présentés par le travailleur qui ne trouvent aucune traduction dans les différents examens médicaux et paramédicaux effectués. Pour la Cour, ces troubles peuvent être reconnus comme établis, quoique les examens objectifs restent normaux, si le médecin se fonde sur son expérience ainsi que sur la littérature médicale mais également sur la vraisemblance des plaintes et leur cohérence ;
  2. l’application de la jurisprudence de la Cour de cassation, en vertu de laquelle les efforts accrus que doit fournir la victime dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales constituent une partie du dommage réparable en loi. Cette question des efforts accrus présente une importance particulière pour ce qui concerne les douleurs. Il est en effet fréquent que les séquelles de l’accident consistent, pour le travailleur, en des douleurs à différents organes. Quoique celles-ci n’empêchent pas l’accomplissement de gestes, elles entravent cependant sa capacité de travail, l’obligeant à fournir des efforts accrus afin de pouvoir néanmoins continuer de poser les gestes professionnels nécessités par les emplois accessibles.

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