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Revenu d’intégration sociale : qu’en est-il en cas de revenus mobiliers ou immobiliers ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 27 mars 2012, R.G. 2012/AN/11

Mis en ligne le mardi 29 mai 2012


Cour du travail de Liège (section de Namur), 27 mars 2012, R.G. n° 2012/AN/11

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour du travail de Liège (sect. Namur) rappelle la distinction à faire lorsqu’un assuré social, qui sollicite le bénéfice d’intégration sociale, dispose d’un capital mobilier ou de revenus dus à la vente d’un immeuble.

Les faits

Madame B., propriétaire d’un immeuble, pour lequel elle a fait un emprunt lors de l’achat, vend celui-ci en 2008. Début 2011, elle déménage et sollicite dans la commune où elle s’installe un revenu d’intégration, revenu qu’elle percevait dans son ancienne commune. Celui-ci lui est accordé mais après déduction d’un montant de l’ordre de 7.000€ annuels, représentant le revenu fictif lié au produit de la vente de l’immeuble. Elle sollicite quelques mois plus tard la revision de son dossier et signale qu’elle avait accordé à son compagnon de l’époque la moitié du prix de vente et que le solde avait été distribué entre leurs six enfants. Le CPAS prend alors une décision confirmant l’octroi du revenu d’intégration sous déduction de la contrevaleur d’un revenu fictif lié à la vente.

Par jugement du 13 décembre 2011, le Tribunal du travail de Dinant confirme la décision du CPAS en ce qu’il a retenu le produit de la vente de l’immeuble, auquel il a appliqué les abattements requis (un abattement unique et des abattements annuels). Le tribunal constate également que l’intéressée n’établit pas avoir apuré des dettes antérieures grâce au produit de la vente et rejette une attestation déposée par l’intéressée, émanant de son ancien compagnon.

Elle interjette appel de la décision.

Décision de la cour du travail

La cour constate que la question litigieuse porte sur la détermination des ressources du demandeur du revenu d’intégration sociale en cas de cession à titre onéreux, d’un immeuble en l’occurrence, ainsi que sur la possibilité de déroger en équité aux dispositions légales.

La cour va reprendre les articles 14, §2 et 16 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale ainsi que les dispositions de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 portant règlement général, étant les articles 27 à 31, qui règlent la question des ressources à prendre en considération pour les capitaux mobiliers (placés ou non) et pour le produit d’une cession (à titre onéreux ou gratuit).

En cas de cession de biens immobiliers à titre onéreux, il faut tenir compte du capital obtenu après déduction des dettes personnelles éteintes à l’aide du produit de la cession et deux abattements (un abattement unique et un autre annuel). En outre, même si la chose n’est pas prévue dans l’arrêté royal, la cour estime qu’il faut également déduire le produit de la réaffectation (en l’occurrence l’intéressée ayant consacré 10.000€ en 2010 à l’achat d’une caravane où elle réside).

Il faut donc tenir compte à la fois du bien immeuble acheté à l’aide du produit de la cession et du capital mobilier fictif découlant de celle-ci. Pour la cour, même si cette façon de voir n’est pas autorisée par le texte légal, à tout le moins elle pourrait se justifier par l’équité.

Elle précise également que peu importe que l’assurée sociale dispose encore du capital, puisque est même visée ici la cession à titre gratuit. Dans cette seconde hypothèse, la cour relève que les abattements ne viennent évidemment pas en déduction.

Cette situation est distincte de celle où un assuré social bénéficie de revenus de capitaux (d’une autre origine qu’une cession dite de biens immobiliers). Ceux-ci interviennent sur le plan des ressources à prendre en considération pour l’octroi du revenu d’intégration et doivent dès lors être perçus au moment où celui-ci est sollicité ou pendant son octroi. S’il y a eu dépenses inconsidérées ou même dilapidation antérieurement à la demande d’octroi, cette circonstance est indifférente, puisqu’elles sont, certes, à l’origine de l’état de besoins, mais ne constituent pas une condition d’octroi, les personnes responsables de leur misère n’étant pas stigmatisées par le législateur à cet égard. En conséquence, si un capital – perçu – a disparu, sans fraude dans le chef de l’assuré social, il n’y a pas lieu de le prendre en compte au titre de revenus, et ce même si l’assuré social est responsable de sa disparition.

En l’espèce, l’intéressée était seule propriétaire de l’immeuble cédé. De ce prix de vente, le CPAS a déduit l’abattement unique ainsi que l’abattement annuel et a encore pris en compte la contrevaleur de l’immeuble acquis ultérieurement (caravane). La cour confirme que ce calcul est conforme à la loi.

Elle examine, cependant, ensuite les raisons d’équité telles que prévues à l’article 31 de l’arrêté royal, raisons qui pourraient être invoquées en l’espèce et permettraient de ne pas appliquer les modalités de calcul ci-dessus. Le texte prévoit, dans cette hypothèse, une obligation de motivation de la décision du CPAS, étant que la décision ne peut ici avoir un caractère discrétionnaire. Il y a un droit dans le chef de l’assuré social à ce que l’examen de certains éléments permettant de justifier une dérogation soit effectué. La cour rappelle que l’objectif de cette dérogation est de prendre en cas des situations exceptionnelles et que, s’agissant de l’examen d’une condition d’octroi, le juge dispose du même droit que le CPAS à cet égard.

En l’occurrence, la cour constate que les explications de l’intéressée sont plausibles, lorsqu’elle fait valoir que, si elle était propriétaire de l’immeuble, d’importants travaux d’aménagement ont été effectués par son ex-compagnon, qui ont abouti à une plus-value de celui-ci. Les parties n’ayant, par ailleurs, pas de compte bancaire, elle admet que la moitié du prix de la cession a pu être donnée en liquide. En conséquence, la cour estime que l’équité commande que la somme ainsi versée soit soustraite du produit de la cession.

Telle n’est cependant pas la conclusion qu’elle retient pour le don fait aux enfants, qui est une largesse et ne peut aboutir à faire prendre en charge par le CPAS les effets de la privation de cette somme d’argent.

La cour décide dès lors d’allouer le revenu d’intégration au taux isolé en procédant aux calculs correspondants, tenant compte de la réduction du capital à la part étant restée dans le patrimoine de l’intéressée avant la distribution à ses enfants.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (sect. Namur) aborde plusieurs questions essentielles eu égard à la possibilité pour un demandeur de revenu d’intégration d’être en possession de revenus financiers. La cour y distingue très justement le sort à réserver aux revenus mobiliers et à ceux produits suite à la cession d’un immeuble. Elle fait par ailleurs usage du motif d’équité figurant à l’article 31 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002, dont elle rappelle le but mais également les limites : il s’agit de tenir compte de situations exceptionnelles et celles-ci seules peuvent permettre de déroger au mécanisme légal.


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