Terralaboris asbl

Comment s’apprécie le besoin en aide de tierce personne ?

Commentaire de C. trav. Mons, 20 février 2006, R.G. JS61876

Mis en ligne le jeudi 21 février 2008


Cour du travail de Mons, 20 février 2006, R.G. JS61876

Terra Laboris asbl – Mireille Jourdan

Dans un arrêt très motivé du 20 février 2006, la cour du travail de Mons a rappelé les principes : le degré de nécessité ne peut être confondu avec une nécessité absolue, une impossibilité d’accomplir tel ou tel geste de la vie courante. Pour son évaluation, le législateur invite à adopter la méthode dite « du coût », mais celle-ci est indépendante des frais réellement exposés par la victime. Enfin, la cour pose la question suivante : quid de l’aide de tiers pendant l’incapacité temporaire ?

Les faits

Un accident du travail entraîna chez un ouvrier de très importantes séquelles, essentiellement des fractures au niveau des membres inférieurs, d’importantes contusions cervicales et dorsolombaires ainsi que diverses plaies.

Après une période de coma et une longue hospitalisation, le travailleur subit une rééducation à la marche pendant deux ans et son état nécessita à l’époque la présence d’une aide familiale à son domicile à raison de deux heures par jour.

Il garda, de l’accident, de grosses séquelles au niveau de l’usage des membres inférieurs.

L’entreprise d’assurances proposa de consolider, environ cinq ans après l’accident, avec un taux d’incapacité permanente partielle de 55%, sans aide de tiers. Le Fonds des accidents du travail refusa l’entérinement de l’accord indemnité, essentiellement tant au motif de l’évaluation insuffisante que de la question de l’aide de tiers.

La procédure judiciaire fut alors introduite. Dans les années qui suivirent, l’intéressé, d’une part fut réhospitalisé à plusieurs reprises en relation directe avec l’accident, et d’autre part, fut exclu du régime des allocations de chômage pour inaptitude médicale totale au travail.

L’objet du litige

Le litige porte à la fois sur la fixation du taux d’incapacité permanente d’un travailleur qui estime ne plus pouvoir exercer aucune activité professionnelle, au motif que, vu la gravité de son handicap, sa valeur économique serait réduite à néant sur le marché de l’emploi. Il porte également sur la question de l’évaluation du degré d’aide de tiers, dans l’hypothèse d’un handicap important grevant fortement la possibilité pour la victime d’exécuter seule de nombreuses tâches ménagères ainsi que d’autres gestes de la vie courante.

La décision du tribunal

Le tribunal a, en l’espèce, entériné le rapport de l’expert désigné, au motif qu’aucune contestation sérieuse n’était opposée quant aux conclusions de celui-ci concernant le taux d’incapacité permanente et la date de consolidation. Pour apprécier le besoin en aide de tiers, le premier juge énumère les gestes de la vie courante encore possibles et conclut qu’une telle aide ne se justifie pas. Il fixe l’incapacité permanente partielle à 55% et refuse l’aide de tiers.

La position des parties

La victime soutient

  1. en ce qui concerne le taux d’incapacité permanente, qu’il doit être fixé à 100% (à supposer que son cas puisse être considéré comme consolidé), au motif qu’il ne peut plus exercer une quelconque activité professionnelle, et ce eu égard à l’annihilation de ses chances d’embauche, vu son peu de qualification. Elle relève que, en début de procédure, le Fonds des accidents du travail avait refusé l’entérinement de l’accord indemnité sur la base de ce taux. La position du Fonds des accidents du travail était, à l’époque, que celui-ci ne couvre pas l’incapacité économique réelle d’un travailleur manuel totalement privé de l’usage effectif des membres inférieurs ;
  1. sur l’aide de tiers, que celle-ci a été admise pendant une période déterminée et que sa suppression ne se justifie pas : la victime fait état de l’impossibilité d’exécuter seule (étant célibataire) de très nombreuses tâches ménagères, ainsi que d’autres gestes de la vie courante. Elle relève que le mécanisme légal de l’octroi d’une aide de tierce personne vise la situation de la victime qui exige absolument et normalement l’assistance d’une autre personne pour certains actes de la vie courante. Il n’y a pas lieu de restreindre l’aide de tiers au cas où il y a impossibilité d’exécuter ces gestes. Il faut qu’il y ait difficulté et pénibilité à ce point importantes qu’ils ne peuvent plus être accomplis normalement sans l’aide de tiers.

L’entreprise d’assurances soutient pour sa part

  1. sur la date de consolidation, qu’il s’agit d’une notion purement médicale correspondant au moment où les médecins considèrent qu’en raison de l’évolution de la science le cas n’est plus susceptible d’évolution. Une consolidation ne s’oppose pas à l’existence de rechutes ultérieures ;
  1. sur le taux d’incapacité permanente partielle, qu’il y a lieu de se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui dans son arrêt du 10 mars 1980, a rappelé les paramètres à prendre en compte. En l’occurrence il a été fait appel à un ergologue, qui a tenu compte des capacités d’apprentissage, de réorientation et de reclassement de la victime et qui a évalué la perte de capacité économique et de concurrence sur ces bases. Dans l’évaluation de cette perte de capacité, il a été tenu compte du fait que la victime avait pu suivre des cours de formation en traitement de texte et qu’elle avait obtenu un diplôme en perfectionnement (chauffage et régulation). En outre, étant appareillée, la victime voit son autonomie et sa locomotion accrue.
  1. en ce qui concerne l’aide de tiers, que celle-ci ne se justifierait pas, au motif que l’article 24, alinéa 4 de la loi ne prévoit aucun critère ni aucune méthode d’évaluation de celle-ci mais qu’il s’en déduit qu’une telle aide n’est nécessaire que lorsque l’état de la victime l’exige absolument et normalement ; ceci implique non un besoin normal mais un besoin absolu d’assistance, ce qui ne serait pas le cas, la situation de l’intéressé ne répondant pas à l’impérieuse nécessité découlant du texte légal. Une simple pénibilité pour accomplir les gestes essentiels de la vie courante ne suffit pas, l’entreprise d’assurances estimant qu’il y a ici une notion ressortissant du dommage moral, non indemnisé dans le régime d’accidents du travail.

En ce qui concerne le Fonds des accidents du travail (qui était intervenu volontairement à la cause), il admet suite aux travaux d’expertise que,

  1. le taux d’incapacité permanente partielle est correctement apprécié eu égard au handicap ;
  1. par contre, l’aide de tiers doit être accordée. Pour apprécier celle-ci, l’on ne peut se borner à reprendre dans le rapport d’expertise l’énumération des gestes de la vie courante que la victime peut encore réaliser seule et à retenir uniquement certaines réserves (relatives au ménage et à la conduite d’un véhicule) pour conclure que l’aide ne se justifierait pas.

Le Fonds des accidents du travail fait en outre ici grief au tribunal de ne pas avoir correctement lu les conclusions de l’expert, celui-ci relevant que des tâches restaient impossibles à exécuter (grand nettoyage et courses pondéreuses notamment).

La décision de la cour

Sur la date de consolidation, la cour rappelle que celle-ci est le moment où le cas n’est plus susceptible d’évolution. Les hospitalisations ultérieures sont sans incidence, la loi prévoyant d’ailleurs leur indemnisation.

Pour apprécier la réduction de la valeur économique de la victime, la cour – tout en relevant que les séquelles de l’accident de travail sont effectivement très importantes – se réfère non seulement aux séquelles elles-mêmes, mais également aux capacités d’apprentissage, de réorientation et de reclassement de la victime, telles que déterminées dans l’étude ergonomique confiée à un sapiteur.

Enfin, la cour est très explicite sur les critères à retenir pour l’évaluation de l’aide de tiers. Elle considère qu’il ne faut pas confondre les hypothèses d’impossibilité ou plutôt de difficulté à caractère social découlant d’un choix volontaire (ménages qui travaillent ou qui ont des enfants à charge) avec l’impossibilité médicale qui ne découle pas d’un libre choix mais est complètement extérieure à la volonté de la personne. Le degré déterminant au regard de l’article 24 alinéa 4 de la loi est exclusivement le degré de nécessité de l’assistance, ce degré ne pouvant être confondu avec une nécessité absolue c’est-à-dire non quantifiable ou non évaluable. Cette évaluation doit être faite en équité en tenant compte, bien au-delà de l’incapacité de travailler, de l’assistance normalement nécessaire pour accomplir certains gestes de la vie. Cette aide ne se limite pas aux hypothèses où la victime se trouve dans l’impossibilité d’accomplir tel ou tel geste indispensable à la vie courante. Pour l’évaluation de l’aide de tiers, la cour relève que la circonstance que la loi elle-même impose de fixer l’indemnité en fonction du revenu minimum mensuel moyen garanti déterminé pour un travail à temps plein invite à adopter la méthode dite du coût. Il faut donc se référer au nombre d’heures de travail par mois, semaine, ... que nécessite une telle assistance, et ce indépendamment des frais réels encourus. Enfin, cette aide de tiers, conçue comme allocation complémentaire, est généralement comprise comme due dès que l’incapacité présente le caractère de permanence. La cour relève toutefois qu’il s’agirait bien là d’une lacune de la loi car, dans bien des cas, l’assistance d’une tierce personne est nécessaire, pendant la période d’incapacité temporaire de travail.

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté reprend deux principes en matière d’évaluation d’aide de tiers :

  1. Les gestes et activités pour lesquels l’aide est demandée ne doivent pas être impossibles à effectuer. Il faut apprécier l’assistance normalement nécessaire pour les accomplir. Que les même problèmes soient rencontrés par d’autres personnes (ainsi, les problèmes ménagers pour les personnes qui travaillent) est sans intérêt puisqu’il y a ici impossibilité médicale complètement extérieure à la volonté de l’individu.
  1. La méthode dite « du coût » est conforme à la volonté du législateur. L’estimation du nombre d’heures de travail nécessaires peut être faite en équité, et ce sans devoir retenir les frais réellement exposés par la victime.

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