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Personnel de station-service : nature de la relation de travail

Commentaire de C. trav. Liège, 20 janvier 2012, R.G. 2011/AL/84

Mis en ligne le mardi 29 mai 2012


Cour du travail de Liège, 20 janvier 2012, R.G. n° 2011/AL/84

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 janvier 2012, la Cour du travail de Liège fait partiellement droit à une demande de requalification de relations de travail, sollicitée par l’ONSS, concernant du personnel prestant dans une station-service. Elle rappelle également les règles de prescription applicables au recouvrement des cotisations correspondantes.

Les faits

Suite à une enquête effectuée dans une station-service, l’ONSS considère que la situation de deux travailleurs est une relation de travail salarié et il introduit une action en régularisation.

Le premier est le gérant, qui preste sous statut d’indépendant. Il explique qu’aucun contrat n’a été signé, qu’il s’occupe de l’ouverture de la station (dont il a décidé des heures), il est également chargé de l’entretien de celle-ci. La société, qui loue les installations, envoie régulièrement un contrôleur aux fins de vérifier la bonne marche des affaires, le stock, etc. Le gérant déclare ne pas occuper de personnel et de ne pas avoir d’autres clients que cette société. Il perçoit un fixe mensuel et établit un relevé quotidien des ventes, dont le produit est déposé en banque. Il précise souhaiter garder son statut d’indépendant.

La deuxième personne est une vendeuse-réassortisseuse, qui expose la nature de son travail et signale que les tâches qu’elle effectuait lui étaient imposées, qu’elle recevait des directives et qu’une surveillance était exercée sur sa façon de travailler. Elle signale ne pas avoir le droit de s’absenter pendant les heures de prestations et explique qu’à partir d’une date déterminée, elle est devenue salariée sans qu’elle n’ait d’ailleurs pu intervenir dans ce choix.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Liège statue par jugement du 9 novembre 2010. Le ministère public considérait, dans son avis, que le gérant était un indépendant, contrairement à la vendeuse-réassortisseuse, qui se trouvait dans un lien de subordination caractéristique du contrat de travail. Le tribunal s’est écarté de la position du ministère public et a considéré que les deux travailleurs avaient le statut de travailleur salarié, et ce vu l’absence de liberté dans l’organisation du temps de travail, l’absence d’autonomie dans l’exercice des activités et les instructions données, instructions précises notamment quant à la manière de gérer les recettes (dans le chef du gérant).

Décision de la cour du travail

La cour est saisie d’un appel de la société, qui rappelle la prééminence de la volonté contractuelle, ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la question. Pour la cour du travail, qui pointe les dispositions applicables au litige (loi du 27 juin 1969 et loi du 3 juillet 1978), la frontière entre le travail subordonné et le travail indépendant est difficile à tracer, de manière générale, vu qu’un indépendant est de plus en plus souvent amené à recevoir des directives de son cocontractant et que doit être appréciée l’existence d’un pouvoir d’autorité, qui va déterminer la nature de la relation de travail.

La cour rappelle ensuite les principes relatifs à la notion de subordination. Son examen circonscrit celui-ci dans les règles applicables avant la loi du 27 décembre 2006, les faits datant de la fin des années ’90. La cour rappelle de manière très circonstanciée l’étendue du pouvoir du juge face à la qualification de la convention, et ce dans le droit fil des arrêts rendus par la cour de Cassation, selon lesquels lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention conclue, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente. L’exécution donnée par les parties à la convention peut, par contre, permettre d’exclure la qualification conventionnelle et dans cette hypothèse le juge peut y substituer une qualification différente, la cour du travail rappelant que c’est à la partie qui demande la requalification de prouver l’existence d’un lien de subordination et non l’inverse. La qualification donnée par les parties s’impose à elles de même qu’aux tiers, dont l’ONSS.

Renvoyant à sa propre jurisprudence, la cour insiste sur l’importance de l’intention commune des parties, intention qui se révèle par le vécu contractuel, c’est-à-dire la manière dont le contrat de travail est exécuté. En conséquence, si la convention a été qualifiée, il y a présomption réfragable de ce que cette qualification correspond à l’intention commune des parties et ce n’est qu’en cas d’incompatibilité avec le vécu contractuel qu’il peut y avoir requalification, ce vécu primant la qualification elle-même. Dans l’hypothèse contraire, où il n’y a pas de convention, le juge va rechercher le statut du travailleur sur la base d’indices, qu’il trouvera dans le vécu contractuel.

Appliquant ces principes, la cour aboutit à la conclusion que le gérant avait un statut qui correspondait à la réalité de l’exécution des fonctions : même s’il devait se plier à des directives générales en vue d’assurer le fonctionnement de la station-service, il conservait une certaine autonomie dans la gestion de celle-ci et il n’y avait pas incompatibilité entre l’organisation de la prestation de travail et un contrat d’entreprise.

Par contre, la cour confirme la qualité de salariée dans le chef de la vendeuse sur la base de précisions apportées quant au contrôle exercé par des représentants de la société, contrôle étroit sur le contenu de la prestation de travail et de la manière dont elle l’accomplissait. La cour relève plus particulièrement que la transformation du contrat, étant l’engagement en tant qu’employée pour effectuer exactement les mêmes prestations de travail confirme à suffisance l’incompatibilité avec la qualification de travail indépendant.

La cour va encore examiner la question de la prescription de l’action en recouvrement des cotisations, rappelant qu’il faut distinguer le régime de prescription gouvernant l’action civile et l’action pénale. Il faut lui appliquer l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 et l’article 34 de l’arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969, étant que la prescription prend cours le jour suivant l’expiration du mois qui suit le trimestre pour lequel les cotisations sont dues, le délai de prescription étant de cinq ans. En l’espèce il y a eu un acte interruptif, étant une lettre recommandée de l’ONSS mais celle-ci ne permet de déclarer non prescrit qu’un seul trimestre, soit le dernier.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle, à propos de personnel de stations-service (dont le statut a à diverses reprises donné lieu à jurisprudence), que l’autonomie dans la prestation de travail reste le critère essentiel permettant de qualifier la relation de travail, avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 2006. La cour y souligne le caractère fluctuant de la distinction à opérer dans la pratique.

La loi du 27 décembre 2006 est certes venue clarifier la situation, puisqu’elle fixe quatre critères étant

  • la volonté des parties telle qu’exprimée dans leur convention pour autant que l’exécution effective du contrat soit en concordance avec la nature de la relation de travail ;
  • la liberté d’organisation du temps de travail ;
  • la liberté d’organisation du travail ;
  • la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

La loi précise actuellement, en ce qui concerne la volonté exprimée dans la convention, que la priorité est à donner à la qualification qui se révèle de l’exercice effectif si celle-ci exclut la qualification juridique choisie par les parties.


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