Terralaboris asbl

Travail à temps partiel et cotisations de sécurité sociale : portée de la présomption d’occupation à temps plein

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 28 février 2012, R.G. 2011/AN/56

Mis en ligne le mardi 15 mai 2012


Cour du travail de Liège (section de Namur), 28 février 2012, R.G. n° 2011/AN/56

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 février 2012, la Cour du travail de Liège, sect. Namur, aborde la problématique de la présomption d’occupation à temps plein visée à l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969, au regard de l’accord-cadre sur le temps partiel annexé à la Directive 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997.

Les faits

Une serveuse est engagée à temps partiel dans un restaurant, à raison de 19 heures par semaine, selon un horaire non précisé, seuls étant exclus deux jours de la semaine.

Il ressort de l’audition de l’employeur que l’intéressée travaille selon des plages horaires déterminées (midi et soir). Une visite sur place fait cependant apparaître qu’elle est présente dans l’établissement dans le courant de l’après-midi. Il sera expliqué que, les deniers clients étant ses parents, la serveuse s’est attardée.

Suite à une seconde visite, il est encore constaté qu’elle est présente en début d’après-midi. Dans le cours d’une audition, l’employeur déclare qu’il y a affichage de l’horaire quinze jours en avance (mais non le jour du contrôle) et qu’il n’y a pas de feuille de dérogations. Le règlement de travail ne comporte par ailleurs pas les horaires des travailleurs à temps partiel – alors que l’inspection des lois sociales a demandé que ces mentions soient remplies.

En conséquence, l’ONSS annonce la rectification des déclarations trimestrielles, au motif d’occupation en-dehors des plages horaires de travail à temps partiel, d’absence d’affichage des horaires de travail ainsi que d’absence d’enregistrement du règlement de travail au SPF Emploi. L’ONSS signale également qu’il n’a pas été constaté d’impossibilité matérielle d’effectuer les prestations à temps plein, d’où application de la présomption légale.

Une procédure est introduite par le restaurateur, contre la décision de régularisation, d’un montant supérieur à 22.000€.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 23 décembre 2010, le Tribunal du travail de Namur rejette le recours, considérant que la présomption n’est pas renversée par le fait que l’employeur établit qu’il était impossible d’occuper la serveuse à temps plein.

Moyens des parties devant la cour

L’appelant considère que c’est suite à deux contrôles que la décision a été prise et que le résultat de ceux-ci n’est pas déterminant (explications relatives à la présence des parents, manquements concernant l’affichage et autres dus à son inexpérience). Il signale également que la sanction lui parait disproportionnée.

L’ONSS demande la confirmation de la décision dont appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle longuement les dispositions applicables. Il s’agit de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969, tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2005. La cour renvoie également aux articles 157 et suivants de la loi-programme du 22 décembre 1989 qui règlent le contrôle des prestations des travailleurs occupés à temps partiel.

Elle donne ensuite son interprétation de ces dispositions. L’article 22ter (dans sa mouture actuelle) concerne les travailleurs dont l’horaire est variable ou non. Pour les premiers, l’employeur doit être en mesure de montrer un contrat écrit, à défaut de quoi le cycle de travail doit être déterminable. A défaut, l’employeur est lié par les dispositions de l’article 159 de la loi-programme (qui concerne les travailleurs à temps partiel et à horaire variable).

En ce qui concerne la présomption d’occupation à temps plein, elle est distincte dans la réglementation ONSS de celle contenue dans la loi-programme (article 171) ; celle-ci prévoit qu’à défaut d’inscription dans les documents ad hoc (ou d’utilisation des appareils indiqués par la loi), le travailleur à temps partiel est présumé avoir effectué des prestations conformément aux horaires ayant fait l’objet des mesures de publicité requises. A défaut de publicité, il y a présomption de prestations à temps plein. La preuve contraire peut être rapportée par l’employeur. Il s’agit d’une présomption réfragable d’assujettissement introduite par la loi-programme au cas où les formalités en matière de documents sociaux n’ont pas été respectées.

La cour relève que l’évolution récente de la jurisprudence a abouti à réduire à néant l’objectif fixé par le législateur, dans la mesure où en cas de non-respect d’obligation en matière de publicité des horaires, il est admis que, si l’employeur rapporte un début de preuve d’occupation à temps partiel, c’est à l’inspection d’établir la réalité du temps plein. La cour retient que ceci rend le travail des services d’inspection impossible. Elle relève que c’est suite à cette situation que l’on a tenté de donner à cette présomption un caractère irréfragable, afin d’assurer la perception correcte des cotisations.

La présomption en vigueur depuis le 1er janvier 2005 a cependant un caractère réfragable et la cour rappelle qu’elle a été amenée à juger que celle-ci ne peut plus être renversée que par la preuve que le personnel ne peut matériellement pas travailler à temps plein (elle renvoie à l’arrêt rendu le 21 décembre 2010, R.G. n° 2010/AN/17). Le caractère réfragable de la présomption est ainsi limité. Vu, cependant, la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass., 7 février 2011, J.T.T., 2012, p.24) et de la Cour constitutionnelle (C. const., 17 novembre 2011, n° 178/2011), la cour constate qu’il faut examiner s’il existe matériellement une impossibilité d’effectuer les prestations à temps plein (la présomption ne pouvant alors être invoquée et la charge de la preuve reposant sur l’ONSS) et, par ailleurs, si l’employeur parvient à renverser la présomption.

La cour examine ensuite les conséquences du défaut d’affichage de l’horaire et l’étendue de la preuve contraire à apporter par l’employeur. Elle souligne encore qu’avant sa modification par la loi-programme du 27 décembre 2004, la disposition légale (article 22ter) avait fait l’objet d’une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union européenne, à propos de sa conformité avec l’accord-cadre sur le travail à temps partiel. La Cour y avait répondu que l’article 4 de l’accord-cadre ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui met à la charge des employeurs des obligations de conservation et de publicité des contrats et des horaires des travailleurs à temps partiel s’il est établi que cette réglementation n’aboutit pas à traiter ceux-ci de manière moins favorable que les travailleurs à temps plein dans une situation comparable. Si une telle différence de traitement existe, elle est admissible si elle est justifiée par des raisons objectives et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs ainsi poursuivis. La Cour de Justice a confirmé qu’il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications requises au regard du droit national applicable.

La cour va dès lors appliquer ces principes et se pencher sur la question de l’impossibilité matérielle, en l’espèce, de prester dans le cadre d’une occupation à temps plein et conclure que celle-ci existe. Du fait que l’impossibilité est constatée, elle conclut que la charge de la preuve repose sur l’ONSS et que celui-ci n’apporte aucun élément probant à cet égard.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège s’inscrit dans le débat relatif à la portée de la présomption d’occupation à temps plein pour les travailleurs à temps partiel ne faisant pas l’objet, de la part de leur employeur, des mesures de publicité et de contrôle prévues à l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 et de la loi-programme du 22 décembre 1989. La cour renvoie aux arrêts rendus sur la question par la Cour de cassation le 7 février 2011 et par la Cour constitutionnelle le 17novembre 2011.


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