Terralaboris asbl

Chômage : notion d’inaptitude permanente de 33% au moins

Commentaire de C. trav. Liège, 25 novembre 2011, R.G. 2011/AL/111

Mis en ligne le lundi 23 avril 2012


Cour du travail de Liège, 25 novembre 2011, R.G. n° 2011/AL/111

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 25 novembre 2011, la Cour du travail de Liège examine les notions d’inaptitude au travail et de marché général du travail dans la règlementation chômage, s’agissant d’un travailleur atteint d’un handicap.

Le litige

L’ONEm notifie une décision à un demandeur d’emploi, en juin 2007, lui refusant la dispense sollicitée en matière d’obligations de suivre les mesures d’activation prévues par l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Il introduit un recours, faisant valoir une inaptitude permanente au travail de 33% au moins. Les détails de la pathologie dont il souffre sont donnés dans une attestation médicale circonstanciée. Il s’agit d’oligophrénie, soit une lenteur de compréhension et d’exécution, des difficultés d’élocution et des troubles de l’expression.

L’ONEm se fonde, pour sa part, sur un taux de 20% d’inaptitude permanente au travail, d’où la décision litigieuse.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 16 novembre 2007, le Tribunal du travail de Huy désigne un expert, aux fins d’être éclairé quant au seuil d’inaptitude permanente en l’espèce.

L’expert conclura, dans un rapport du 22 février 2010, à l’absence d’une telle inaptitude, si l’on tient compte de la notion d’atelier protégé dans le marché général du travail. Par contre, dans l’hypothèse inverse, il y a bien inaptitude de 33%, et ce depuis la fin des études secondaires, date à laquelle l’intéressé est devenu demandeur d’emploi.

Dans son jugement – dont appel – du 4 février 2011, le Tribunal du travail de Huy entérine les conclusions de l’expert, dans la seconde hypothèse visée, étant qu’il y a lieu d’exclure le travail en atelier protégé de la référence du marché général du travail à retenir en l’espèce. Pour le tribunal, il n’y a pas lieu d’apprécier l’inaptitude au travail en tenant compte de la notion d’atelier protégé, l’intéressé n’ayant jamais travaillé dans un tel établissement mais ayant au contraire été actif sur le marché général du travail (homme à tout faire, ouvrier de production saisonnier). Le marché du travail à retenir est le marché normal, comme pour tout travailleur.

Position des parties en appel

L’ONEm considère que le secteur des ateliers protégés fait intégralement partie du marché général du travail pour tout chômeur avec une formation correspondante. Il n’est pas réservé aux travailleurs qui n’ont travaillé que dans un tel milieu protégé. Les critères d’évaluation de l’inaptitude du travailleur sont le marché général du travail ainsi que les activités que celui-ci pourrait exercer vu sa formation ou ses aptitudes professionnelles. En l’espèce, l’intéressé ayant un diplôme de l’enseignement spécial (horticulture) reconnu par l’AWIPH, le travail en atelier protégé fait partie de son marché du travail même s’il n’a jamais été occupé dans ce secteur. L’ONEm renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 3 septembre 2008, R.G. 19.738), qui a suivi cette thèse.

L’intimé invoque pour sa part que l’emploi protégé ne peut être assimilé à un ’groupe de professions’ même s’il peut constituer une possibilité de reclassement professionnel pour un travailleur atteint d’un handicap et n’ayant pas travaillé dans ce secteur précédemment. Il considère que c’est par rapport au marché général de l’emploi qu’il faut évaluer son inaptitude, sans prendre en compte la possibilité d’occupation en ETA.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que, selon la réglementation (article 56, § 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage), il faut entendre par marché de l’emploi l’ensemble des emplois qui, compte tenu des critères de l’emploi convenable, sont convenables pour le chômeur. L’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 prévoit dans son article 23 que pendant les six premiers mois de chômage l’emploi est non convenable s’il ne correspond ni à la profession à laquelle le chômeur est préparé par ses études ou son apprentissage, ni à sa profession habituelle, ni encore à une profession apparentée. Après ce délai, le critère est élargi et englobe toute autre profession ou tout autre emploi, tenant compte des aptitudes et de la formation du chômeur.

En ce qui concerne les dispositions en matière de recherche active d’emploi, la cour les rappelle et souligne que c’est l’article 59bis, § 1er, 5°, qui est en cause puisque parmi, les conditions cumulatives à remplir par le chômeur, celui-ci sera dispensé pour motif médical des mesures en matière de contrôle du comportement de recherche active d’emploi s’il justifie d’une inaptitude permanente au travail d’au moins 33%. Celle-ci doit être constatée par le médecin de l’ONEm.

C’est dès lors sur la notion d’inaptitude permanente que la cour se penche, rappelant qu’existent diverses appréciations dans la jurisprudence, cette inaptitude étant parfois considérée comme une incapacité purement physiologique ou par contre comme socio-économique. La cour cite diverses décisions et considère que la cohérence interne de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 requiert que l’inaptitude soit évaluée par rapport à la réglementation chômage, même si l’article 60 de l’arrêté royal définit l’aptitude au travail au sens de la législation AMI.

La cour constate que, dans le cas d’espèce, l’on est la croisée de trois régimes de sécurité sociale. Le travailleur souffre d’un handicap congénital, qui entraîne une inaptitude permanente au travail inférieure à 66% et qui lui permet de bénéficier d’allocations dans le régime de l’assurance chômage (pouvant cependant dans certaines conditions être dispensé des mesures d’activation).

La cour constate qu’il faut adopter une interprétation cohérente de la notion d’aptitude au travail dans les différents aspects de la réglementation applicable dans une telle situation. Faisant référence à la doctrine (P. PALSTERMAN, « L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale : approche transversale » Chron. D.S., 2004, p.313), elle précise que c’est de la perte de chance sur le marché de l’emploi qu’il faut tenir compte, les dispositions relatives à l’inaptitude de 33% dans le secteur chômage tendant à aménager un « statut » d’indemnisation particulier pour les travailleurs qui en sont atteints. Sur la question de savoir s’il existe une différence entre l’inaptitude au travail et l’incapacité de travail, la cour répond, avec la même doctrine, que cette différence est dépourvue de sens en fonction de la ratio legis des dispositions concernées. Il s’agit dès lors de la même notion que la réduction de capacité de gain telle qu’elle est visée dans le régime AMI. La cour opte dès lors pour la position jurisprudentielle selon laquelle l’inaptitude au travail n’est pas une incapacité purement physiologique et qu’elle doit être appréciée par rapport au marché général du travail ouvert au chômeur, vu sa formation, son passé professionnel, son âge, ses capacités de travail et son handicap physique ou mental. Elle renvoie à diverses décisions de jurisprudence ayant également jugé en ce sens.

Appliquant ces éléments au cas d’espèce, la cour considère que le raisonnement binaire de l’expert ne peut être suivi, vu que l’inaptitude permanente doit être appréciée à la fois par rapport au secteur du travail protégé dans lequel l’intéressé pourrait trouver un emploi et par rapport au marché général du travail qui a été le sien par le passé. Constatant, cependant, la formation limitée de l’intéressé, son passé professionnel réduit et les limitations induites par ses facultés mentales ainsi que ses très faibles possibilités d’adaptation, la cour considère que l’inaptitude au travail, évaluée par rapport à une personne de même condition et de même formation, atteint les 33% requis.

Le jugement est dès lors confirmé, pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle le débat sur la question de l’inaptitude permanente de 33% au sens de la réglementation chômage. Il adopte pour une conclusion cohérente avec les autres régimes de sécurité sociale.

Relevons que, sur la même problématique, la cour du travail de Bruxelles a rappelé dans un arrêt du 24 novembre 2011 (R.G., n° 2010/AB/513) la ratio legis, telle que commentée en doctrine (P. WATRIN, « Analyse de la notion d’inaptitude permanente au travail de 33 % au moins dans la réglementation chômage », Chron. Dr. Soc., 2005, 509 et Ch.-E.CLESSE, « L’expertise en droit social », dans X., Expertise, commentaire pratique, 2008, IV.2-50 à 54, n° 360 et s.), qui est de considérer que cette catégorie de chômeurs (avec une capacité de travail suffisante mais réduite) va souvent être prise en charge par l’ONEm pour une durée longue. Il faut dès lors tenir compte de la perte de chance encourue sur le marché de l’emploi. Pour la cour du travail de Bruxelles, il s’agit fondamentalement de la même notion que l’incapacité de travail (en risque professionnel) ou la réduction de la capacité de gain (en AMI), mais tenant en compte d’autres critères également. Il s’agit de l’incapacité qui limite les possibilités du chômeur de trouver un emploi dans son aire professionnelle, en fonction de sa formation, de son profil et de son expérience professionnelle.


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