Terralaboris asbl

Récupération de cotisations ONSS par voie de contrainte : petit rappel des règles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. 2010/AB/675

Mis en ligne le lundi 16 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. n° 2010/AB/675

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de légalité d’une contrainte en matière de recouvrement de cotisations ONSS.

Les faits

L’ONSS enrôle à charge d’une personne physique une dette de l’ordre de 925.000 €, au titre de cotisations, majorations et intérêts. Une contrainte est délivrée en vue du paiement de cette somme et est signifiée par exploit d’huissier avec commandement à payer. L’intéressé forme opposition à cette contrainte, par citation, plus de 5 mois plus tard.

La décision du tribunal du travail

Par jugement du 25 février 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles déclare l’opposition irrecevable, au motif qu’elle a été formée plus de 5 mois après la contrainte, alors que le délai légal est de 15 jours. L’article 43quater de l’arrêté royal du 23 novembre 1999 exécutant la loi du 27 juin 1969 fixe en effet le mode d’opposition (exploit d’huissier) et le délai (15 jours de la signification de la contrainte).

Position des parties devant la cour

L’intéressé interjette appel, faisant valoir divers arguments, essentiellement tirés du délai d’opposition ainsi que de l’absence de motivation de la contrainte.

En ce qui concerne le délai de 15 jours pour former opposition à la contrainte, il considère que celui-ci ne lui permet pas de préparer correctement sa défense, alors que, dans l’hypothèse où la contrainte est délivrée en matière fiscale, tel n’est pas le cas. Il fait valoir que (i) les débiteurs de l’ONSS subissent un traitement beaucoup plus lourd que ceux de l’administration fiscale dans l’exercice de leurs moyens de défense, (ii) que le délai de 15 jours est disproportionné par rapport aux effets de la contrainte et (iii) que celle-ci n’est pas proportionnelle au but visé, puisque l’objectif est, en vertu des travaux préparatoires de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique, de fournir à l’ONSS les moyens de disposer aisément d’un titre juridique permettant le recouvrement. Il demande dès lors que l’article 43quater de l’arrêté royal soit écarté parce que contraire au principe d’égalité et de non-discrimination.

Sur l’absence de motivation, il fait grief à l’ONSS de ne pas avoir motivé la contrainte au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, la contrainte ne justifiant pas, non plus, les montants des sommes exigées sur le plan comptable. Dans la mesure où il conteste avoir engagé du personnel salarié – ce qui explique qu’il n’a dès lors pas déclaré devoir de cotisations sociales –, l’appelant estime qu’il lui est impossible de savoir à quoi se rapportent les montants repris dans un tableau déposé par l’ONSS. Il fait grief au premier juge d’avoir admis que la motivation ressortirait de l’instruction judiciaire au motif que l’autorité administrative peut faire référence à des éléments connus du destinataire sans les reprendre dans l’acte lui-même. Il demande dès lors à la cour de conclure à la nullité de la contrainte.

Enfin, il fait valoir qu’une décision d’assujettissement d’office aurait dû lui être notifiée avant que la contrainte ne soit décernée et fait encore un renvoi général à la Convention européenne des Droits de l’Homme et aux principes qu’elle renferme, étant le respect de l’égalité des armes et celui des droits de la défense.

L’ONSS considère pour sa part que le délai de 15 jours doit être appliqué et que cette situation n’est pas source de discrimination. Il renvoie à un arrêt de la Cour constitutionnelle (C.A., 11 décembre 2002, arrêt n° 182/2002), qui a considéré que la comparaison entre les débiteurs de l’administration fiscale et de l’ONSS n’est pas pertinente, les missions de ces deux administrations étant de nature différente. En outre, l’ONSS n’est pas l’Etat, ce qui justifie un traitement différent par le législateur du procédé de recouvrement utilisé par le fisc et l’Office.

En ce qui concerne la motivation, l’ONSS reprend les détails des motifs énoncés dans la décision et relève la mauvaise foi de l’intéressé, dans la mesure où l’Auditorat du travail a déposé un extrait du dossier répressif dont il ressort qu’il était reproché à l’appelant d’avoir occupé un très grand nombre de travailleurs dans un réseau de pompes à essence pendant plusieurs années sans les avoir déclarés et sans avoir payé aucune cotisation de sécurité sociale.

Enfin, sur la référence à l’article 6 de la C.E.D.H., l’ONSS considère qu’il ne s’agit pas d’une procédure d’accusation de nature pénale, mais d’une procédure de recouvrement de cotisations établie d’office sur la base de la loi du 27 juin 1969 (article 22).

Position de la cour

La cour va reprendre, d’abord, les dispositions pertinentes de l’arrêté royal, étant les articles 43bis, 43ter et 43quater, qui organisent la récupération par voie de contrainte.

En ce qui concerne le délai de 15 jours, la cour suit la thèse de l’ONSS et rappelle que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 décembre 2002 concernait un concordat judiciaire, dont l’enseignement peut cependant être transposé au cas d’espèce. La cour insiste sur la différence de la qualité et des missions de l’Office et de l’administration fiscale et rappelle que l’intéressé a pu prendre connaissance de la contrainte très rapidement, l’acte ayant été remis à son épouse. Ne prenant position que dans un délai de plus de 5 mois, il n’a pas agi dans un délai raisonnable et la cour confirme l’appréciation du premier juge, selon laquelle le caractère tardif de l’opposition ne découle pas de la brièveté du délai prévu par l’arrêté royal, mais bien de sa propre négligence. Il n’y a dès lors pas de discrimination dans le cas d’espèce ni d’atteinte aux droits de la défense.

Sur la motivation de la contrainte, la cour reprend l’ensemble des éléments communiqués dans celle-ci et rappelle qu’un acte administratif, au sens de la loi du 29 juillet 1991, est un acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative (texte de l’article 1er). Répondant à cette définition, la contrainte doit contenir les conditions requises, étant l’indication dans l’acte des considérations de droit et de fait servant au fondement de la décision, c’est-à-dire une motivation adéquate. La cour reprend encore les principes relatifs à l’adéquation de la motivation formelle et retient en l’espèce que l’intéressé ne peut pas ignorer le pourquoi et le comment de ce qui lui est réclamé. Le dossier déposé par l’Auditorat devait en effet lui permettre de ne rien ignorer des poursuites menées contre lui. La cour reproduit également et expressément l’avis du Ministère public, très motivé, rappelant qu’il y avait en l’espèce omission de déclarer à l’ONSS 69 travailleurs dont les noms et dates d’occupation sont clairement repris au réquisitoire de renvoi. La cour rejette dès lors l’argument tiré d’une absence de motivation.

Enfin, sur l’article 6 de la C.E.D.H., la cour suit également la position de l’ONSS.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle quelques principes importants, relatifs à la contrainte prévue aux articles 43bis et suivants de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, contrainte dont le principe est contenu à l’article 40 de la loi du 27 juin 1969 : sans préjudice de son droit de citer devant les juridictions du travail, l’ONSS peut aussi procéder au recouvrement des sommes qui lui sont dues par voie de contrainte.

La cour rappelle également le délai bref pour former opposition à cette contrainte et, s’appuyant sur l’arrêt de la cour constitutionnelle du 11 décembre 2002, conclut en l’espèce à l’absence de discrimination par rapport à d’autres délais plus longs contenus dans d’autres réglementations en vue de former opposition à contrainte.


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