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Aide sociale : l’absence de décision du CPAS peut constituer une attitude fautive

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2012, R.G. 2010/AB/720

Mis en ligne le jeudi 12 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 12 janvier 2012, R.G. n° 2010/AB/720

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 janvier 2012, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’une attitude de passivité du CPAS, suite à l’introduction d’une demande d’aide sociale, peut être fautive et donner lieu à des dommages et intérêts.

Les faits

Une demande de revenu d’intégration sociale et d’aide sociale est introduite par une personne, en situation précaire, logée temporairement dans un bâtiment, grâce à l’aide d’une association. Ne devant pas payer de loyer mais des charges mensuelles, l’intéressé introduit cette demande d’aide complémentaire limitée à cet effet. Son conseil intervient près d’un mois après l’introduction de la demande et, lors d’un entretien téléphonique, il s’entend confirmer le refus de l’octroi. Un recours est introduit devant le tribunal du travail quinze jours plus tard, fondé sur l’absence de décision suite à la demande.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail rend un jugement le 22 juin 2010, par lequel il fait très largement droit à la demande. Dans son dispositif, il condamne le CPAS à soutenir l’intéressé dans une recherche de logement (prise en charge de la garantie locative sur production d’un contrat de bail) ainsi que dans une recherche d’emploi et de façon générale dans son insertion professionnelle. Le CPAS est également condamné à 250€ en réparation d’un dommage moral.

Position des parties en appel

Le CPAS, appelant, considère que l’intéressé ne réunissait pas les conditions d’octroi d’une aide, à défaut de disponibilité active sur le marché du travail au moment de l’introduction de la demande et pendant la procédure. Il sollicite, à titre subsidiaire, la prise en compte dans le montant de l’aide financière de l’avantage en nature constitué par la gratuité du logement. Il s’oppose, également, à la condamnation mise à sa charge de dommages et intérêts, considérant qu’il n’a pas commis de faute.

L’intéressé demande pour sa part confirmation du jugement dans son intégralité, sauf à porter les dommages et intérêts à 500€.

Décision de la cour du travail

Sur les aides complémentaires sollicitées en sus du revenu d’intégration, la cour rappelle que, d’une part, le revenu d’intégration doit être accordé tant que les conditions légales d’octroi sont réunies (et que le CPAS peut revoir d’initiative si le droit au revenu se justifie toujours) et que, d’autre part, le droit au revenu d’intégration n’oblitère pas celui à des aides complémentaires, si le besoin en est établi.

Or, en l’espèce, l’intéressé a effectué des recherches d’emploi, malgré un contexte de précarité et la demande de soutien en vue de la recherche d’un logement était fondée, d’autant qu’il ne bénéficiait qu’à titre temporaire d’un logement mis gratuitement à sa disposition. La cour considère également que la demande en vue d’être aidé dans une recherche d’emploi était légitime.

Sur les dommages et intérêts, la cour rappelle les obligations légales du CPAS, étant qu’il est tenu de prendre une décision dans un délai fixé par la loi, et ce en vertu de l’article 21, § 1er de la loi du 26 mai 2002. La cour considère ne pouvoir suivre le Centre qui considère que l’absence de décision ne constitue pas d’emblée une attitude fautive, vu que l’intéressé a de toute façon la possibilité d’exercer un recours même en cette hypothèse. Pour la cour du travail, le droit au recours instauré même en l’absence de décision dans le délai légal n’implique pas que le CPAS est autorisé à ne pas prendre de décision.

Dans les circonstances particulières à la cause, la cour retient une faute : absence d’enquête sociale lors de la demande d’aide (obligation contenue à l’article 19 de la loi), absence d’information fournie à l’intéressé en vue de le sortir de sa précarité (obligation de l’article 17). En outre, n’ayant pas notifié de décision de refus motivée, le CPAS a laissé l’intéressé dans l’expectative malgré la demande adressée par son conseil et la cour constate que le Centre ne fournit aucune justification valable à cette passivité.

La cour tire encore d’autres conclusions de la situation qui lui est présentée : du fait de l’absence de motivation précise du refus, il y a un préjudice particulier pour l’intéressé, eu égard aux divers arguments invoqués successivement par le CPAS dans le cours de la procédure. Celui-ci a en effet fait valoir en première instance comme motif du refus le fait qu’il ne voulait pas cautionner l’occupation d’un bâtiment qui n’avait pas le caractère d’un logement alors qu’en appel il invoque d’autres arguments, étant l’absence de disposition de l’intéressé à rechercher un emploi. Et la cour de conclure que, lorsque l’intéressé a exercé son recours, il ne savait pas exactement ce qu’il devait établir pour que le juge puisse vérifier les conditions d’octroi des aides réclamées.

Un autre élément, jugé particulièrement fautif par la cour, est la passivité du CPAS jusqu’au jugement et la cour confirme ici l’octroi de dommages et intérêts au titre de dommage moral en lien direct avec la passivité fautive. Ce dommage existe, indépendamment de l’octroi rétroactif de l’aide financière ainsi que des autres aides (logement et emploi) fixées par jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion de mesurer l’importance de la motivation exigée pour une décision de refus d’octroi : la cour y retient que, placé dans la situation où aucun élément ne lui est connu, vu l’absence de décision, l’intéressé ne connaît pas, lorsqu’il exerce son recours, les éléments qu’il doit mettre en avant, ou ce qui lui est reproché, expliquant la décision intervenue.

L’on retiendra également que l’octroi de dommages et intérêts est fondé sur une attitude générale de passivité du Centre jusqu’à la décision du tribunal. L’introduction d’un recours n’implique pas, dès lors, que le Centre ne doive pas prendre des initiatives concrètes même avant la décision judiciaire.


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