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Contrat de travail : modification du statut et essai dans les nouvelles fonctions non concluant. Obligation de réintégration

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 novembre 2011, R.G. 2010/AB/571

Mis en ligne le mardi 6 mars 2012


Cour du travail de Bruxelles, 17 novembre 2011, R.G. n° 2010/AB/571

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 novembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles précise la portée de l’obligation de réintégration d’un travailleur sans ses anciennes fonctions, après un essai non concluant dans de nouvelles : il s’agit d’une obligation de résultat.

Les faits

Un ouvrier d’une société de gardiennage travaille en qualité d’agent de garde pendant une dizaine d’années. Un contrat de travail à durée indéterminée est alors signé, par lequel il devient employé et exerce une autre fonction. Ce contrat contient une clause d’essai de six mois et prévoit, en cas d’essai insatisfaisant, que l’employé sera réintégré dans ses anciennes fonctions et aux conditions en vigueur pour celles-ci.

L’essai est non concluant et, dans le cadre de celui-ci, la société le licencie avec une indemnité de 7 jours calendrier. Elle signale également ne pas pouvoir honorer ses engagements de le réintégrer dans les fonctions anciennes vu une régression des commandes dans ce secteur et alloue une indemnité complémentaire de 63 jours calendrier correspondant à l’ancienneté dans ce statut.

L’intéressé demande sa réintégration, qui est refusée, toujours au motif de diminution d’activités.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, dans laquelle il réclame diverses sommes, étant à titre principal dans le statut d’employé un complément d’indemnité compensatoire de préavis et des dommages et intérêts, alors qu’à titre subsidiaire il fait valoir le caractère abusif de son licenciement (dans le statut ouvriers).

Décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Bruxelles rend un jugement le 29 mars 2010, par lequel il fait droit à la demande d’indemnité pour licenciement abusif dans le régime des ouvriers.

Position des parties

La société fait appel, demandant que la qualité d’employé soit reconnue au moment du licenciement, circonstance qui s’oppose à l’application de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. La société conteste par ailleurs avoir commis une faute en ne réintégrant pas le travailleur dans ses anciennes activités et fait valoir des motifs économiques. Elle s’appuie sur l’article 1147 du Code civil pour conclure à une cause étrangère.

Quant au travailleur, il plaide à titre principal, à ce stade de la procédure, le caractère abusif du licenciement au sens de l’article 63 et, dans l’hypothèse où la cour ne suivrait pas le tribunal, il demande réparation des préjudices matériel et moral subis en raison de l’inexécution par la société de ses obligations contractuelles.

Décision de la Cour

La Cour va d’abord régler la question du statut du travailleur : employé ou ouvrier ?

Elle constate, à partir des éléments de la cause, que la commune intention des parties n’a pas été de considérer l’intéressé comme ouvrier au moment du licenciement et que le tribunal ne pouvait dès lors conclure que, lorsqu’il a été mis fin à la fonction d’employé, celui-ci avait retrouvé « de plein droit » le statut d’ouvrier. Pour la cour du travail, il est patent que le travailleur n’a pas été réintégré dans ses anciennes fonctions et c’est précisément là que gît la discussion, puisque la société s’était contractuellement engagée à ce faire en cas d’essai non concluant.

Il y a dès lors lieu d’examiner les conséquences du non respect des engagements contractuels, et ce sur la base des articles 1142 et 1147 du Code civil, auxquels se réfère le travailleur afin de fixer son préjudice.

Après avoir examiné les arguments des parties en ce qui concerne (pour le travailleur) l’évaluation par lui de son préjudice matériel et moral et (pour la société) les éléments tirés du chômage économique de plusieurs travailleurs établissant pour elle l’impossibilité de réintégrer, la cour reprend les dispositions du Code civil qu’il lui est demandé d’appliquer en l’espèce, étant les articles 1142 et 1147.

Ceux-ci ont trait à l’obligation de faire ou de ne pas faire, obligation dont le non respect se résout en dommages et intérêts (art. 1142), le débiteur pouvant cependant prouver que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée (art. 1147).

Pour la cour du travail, l’obligation de faire est une obligation de résultat. Celle-ci oblige le débiteur à obtenir un résultat à moins qu’il ne prouve l’existence d’un cas de force majeure et, citant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 18 oct. 2001, Pas., 1987, I, 1656), la cour rappelle que, dès lors que la preuve d’un cas de force majeure n’est pas rapportée, il n’y a pas lieu de rechercher une faute dans le chef du débiteur. La force majeure étant un événement indépendant de la volonté humaine qu’on a pu ni prévoir ni conjurer, elle existe dès lors qu’est constaté son caractère imprévisible, irrésistible et insurmontable.

En l’espèce, les circonstances invoquées par la société ne sont pas, pour la cour, susceptibles de l’exonérer des dommages et intérêts auxquels elle doit être condamnée en vertu de l’article 1142 du Code civil.

Enfin, sur le dommage, la cour du travail considère qu’une indemnité égale à six mois de rémunération représente une réparation correcte et adéquate du dommage subi. Elle en déduit l’indemnité de 63 jours calendrier qui avait été allouée à titre complémentaire, constatant que l’indemnité de rupture que la société devait payer était celle de 7 jours applicable dans le cadre de la clause d’essai du contrat de travail d’employé mais qu’aucune indemnité de préavis n’était due pour la rupture du contrat de travail d’ouvrier, celui-ci n’étant plus en cours. La cour considère que l’indemnité ainsi payée réparait déjà – mais partiellement et insuffisamment – le préjudice subi et qu’elle ne pouvait dès lors être cumulée avec celle allouée en justice.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle à très juste titre que la force majeure doit être constatée, avec toutes ses caractéristiques et que l’absence de faute dans le chef de la société est un élément inopérant pour la dispenser de s’exécuter de ses obligations, vu l’engagement pris de réintégration dans les fonctions contractuelles initiales. Pour la cour, un tel engagement est une obligation de résultat. S’agissant d’une obligation de faire, elle doit être réparée conformément aux articles 1142 et 1147 du Code civil.


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