Terralaboris asbl

Peut-on recourir au référé-provision sans attendre le jugement du tribunal du travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2011, R.G. 2011/CB/9

Mis en ligne le vendredi 2 mars 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 décembre 2011, R.G. n° 2011/CB/9

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 15 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la longueur d’une procédure judiciaire normale n’est pas une circonstance permettant d’obtenir en référés une avance sur l’indemnité réclamée, même si le droit à celle-ci n’est pas sérieusement contesté.

Les faits

Un employé, engagé en juin 2008, par une société de nettoyage d’envergure nationale, exerce des fonctions de conseiller en prévention et de responsable qualité pour les trois régions du pays.

Deux ans plus tard, soit en novembre 2010, un projet de restructuration de l’entreprise est présenté au Conseil d’entreprise. Il va impliquer la fermeture d’agences locales, ainsi que la suppression de certains postes. La rupture du contrat est notifiée le même jour, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 3 mois de rémunération.

Suite à la contestation de l’intéressé quant à la régularité du congé (non-respect des procédures prévues à la loi du 20 décembre 2002 – articles 5 à 9), la société rétorque qu’il s’agit d’un plan de restructuration et que le licenciement n’est pas intervenu en relation avec la fonction de conseiller en prévention.

Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, ainsi que d’une indemnité de protection (deux ans de rémunération), ainsi qu’au paiement de postes annexes.

La procédure au fond a été introduite à une audience du tribunal du travail du 10 mai 2011 et fait l’objet d’une instruction ordinaire, étant qu’elle ne sera pas plaidée avant, vraisemblablement, fin 2012.

En conséquence, le 23 mai 2011, l’employé introduit une action en référé, demandant la condamnation à un dommage moral de l’ordre de 125.000 € à valoir sur l’indemnité de protection réclamée au fond, et accessoires.

L’ordonnance de référé du 30 juin 2011

Par ordonnance du 30 juin 2011, le Président du tribunal du travail a condamné la société au provisoire et tous droits saufs quant au fond au paiement d’un net de 25.000 € au titre d’avance sur l’indemnité de protection.

Position des parties devant la cour

L’intéressé interjette appel, demandant à la cour de réformer l’ordonnance, au motif qu’elle n’a alloué que 25.000 € et qu’elle n’a, par ailleurs, pas exclu la faculté de cantonnement.

Quant à la société, elle forme appel incident, contestant le respect de la loi sur l’emploi des langues et, subsidiairement, demande à la cour de constater le défaut d’urgence.

La cour du travail est dès lors saisie, d’abord, d’une question relative à l’emploi des langues. Elle constate qu’il y a eu accord des parties dans la procédure au fond pour recourir à la langue française mais, la question étant posée par la société en ce qui concerne la régularité de la procédure en français dans le cadre des référés, elle rappelle que, effectivement, la loi du 15 juin 1935 est d’ordre public et qu’elle doit vérifier si elle a été respectée, quel que soit l’accord intervenu entre les parties.

Elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne l’emploi des langues déterminé par le domicile d’un défendeur. Dans le cas de la personne morale, il s’agit de son siège social et non de son siège d’exploitation commerciale (voir notamment Cass., 23 novembre 1987, Pas., 1988, I, p. 358). Sur le tribunal compétent, elle rappelle qu’en ce qui concerne les contestations relatives à l’activité professionnelle des travailleurs salariés, l’article 627, 9° du Code judiciaire prévoit qu’est notamment compétent le juge de l’endroit affecté à l’exercice de la profession ou à l’activité de la société et qu’en l’espèce l’intéressé exerçait sa fonction sur l’ensemble du territoire belge. Ayant choisi d’assigner son employeur devant le Tribunal du travail de Bruxelles (ce qu’il pouvait faire), l’intéressé a ainsi choisi le tribunal d’un des lieux d’exercice de sa profession. Dans la mesure où la société y est domiciliée, il pouvait dès lors choisir le français comme langue de la procédure (article 4 de la loi du 15 juin 1935).

Mais c’est surtout sur la question de l’urgence en tant que condition de fond de l’action en référé-provision que la cour se penche.

Elle rappelle que la demande de provision ne peut être admise par la juridiction présidentielle qu’à la condition que soit prouvés (i) l’incontestabilité prima facie des droits allégués, (ii) l’état d’impécuniosité, ainsi que le risque de préjudice grave du demandeur si la provision demandée n’était pas allouée et (iii) l’urgence qu’il y a à remédier à cette situation.

En l’espèce, le droit à l’indemnité de protection est considéré par la cour comme évident, de sorte que le risque de voir ultérieurement le juge du fond contredire la décision des référés est quasi inexistant et la cour relève d’ailleurs que ceci n’est pas sérieusement contesté par la société. Ce qu’elle invoque est l’absence d’urgence et de préjudice irréparable.

Le débat tourne, dès lors, sur la conception de l’urgence et c’est l’arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1987 (Pas., 1987, I, p. 1160) que la cour invoque, étant qu’il y a urgence (au sens de l’article 584, al. 1er du Code judiciaire) dès que la crainte d’un préjudice d’une certaine gravité, voire d’inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable. En l’occurrence, sont invoquées la durée excessive de la procédure au fond, ainsi que les circonstances tenant à la situation financière du demandeur et à la société, le demandeur étant au chômage et ayant vu ses allocations diminuer et allant encore être réduites ultérieurement et la société révélant par ailleurs dans ses comptes des pertes.

La cour en conclut que l’argument tiré de la longueur de la procédure ordinaire ne peut être suivi, non plus que celui relatif à la faiblesse des revenus de remplacement. En effet, l’on recourrait, à suivre cette thèse, au référé provision dans la plupart des cas de rupture du contrat de travail et celui-ci deviendrait la règle : le travailleur est forcément privé de son emploi et est dans l’attente d’une indemnité appelée à compenser sa rémunération, qui aura entre-temps été remplacée par une allocation de sécurité sociale.

La cour relève encore que l’intéressé n’a pas invoqué l’article 735 du Code judiciaire, permettant, entre autres mesures, l’octroi d’une provision dans la procédure au fond. Il a dès lors demandé au juge des référés ce qu’il aurait pu obtenir dans le cadre de la procédure déjà introduite. En conséquence, le premier juge n’aurait pas dû allouer la provision, le préjudice grave n’étant pas démontré, non plus que le risque de faillite de la société. L’ordonnance est par conséquent réformée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il rappelle que le recours au référé provision pour obtenir le respect d’un droit évident ne peut être admis que dans des conditions strictes et que, en l’occurrence, la durée normale d’une procédure au fond, n’aboutissant à un jugement que de nombreux mois après la rupture du contrat, n’est pas en elle-même suffisante pour justifier l’urgence.


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