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Pension de retraite (anticipée) : annulation de la période de service militaire ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 septembre 2011, R.G. 2010/AB/138

Mis en ligne le vendredi 2 mars 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 septembre 2011, R.G. n° 2010/AB/138

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 29 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de prise en compte du service militaire pour le calcul de la pension et, plus particulièrement, dans le cas d’une demande de pension anticipée dans le régime des travailleurs salariés.

Les faits

Monsieur L. introduit en décembre 2006 une demande de pension de retraite anticipée, étant, à ce moment, âgé de 62 ans. Dans le calcul de la carrière, il fait état de la période de service militaire, d’un an entre 1965 et 1966. Il a également une partie de sa carrière à l’étranger (OSSOM).
L’ONP refuse la demande, par décision du 26 juin 2007, au motif du nombre insuffisant d’années civiles par rapport aux critères légaux requis. Sont notamment rejetées trois années OSSOM, ainsi que l’année du service militaire. Pour celle-ci, le tribunal retient que l’intéressé n’était pas occupé comme travailleur, qu’il ne se pas trouvait dans une période d’inactivité assimilée à une période d’activité en début de service militaire et qu’il n’avait pas davantage la qualité de travailleur dans les trois années après la fin de celui-ci.

Position du tribunal

Le Tribunal du travail de Nivelles, saisi du recours, déboute l’intéresse.

Position des parties devant la cour

L’appelant demande la régularisation de la période du service militaire, qui lui permettrait de faire valoir un total de 35 années de carrière professionnelle. Sans contester qu’il ne remplit pas toutes les conditions reprises à l’article 34 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, il soulève le caractère discriminatoire de cette disposition, et ce sous divers angles [différence de traitement avec certaines catégories (travailleurs indépendants, autres étudiants devenus salariés et militaires qui ont pu assimiler leur service), ainsi que caractère non raisonnable et non proportionnel des conditions fixées]. Il demande en conséquence que cette disposition soit écartée sur la base de l’article 159 de la Constitution, ainsi que du droit communautaire (Traité de Lisbonne, article 6 et Charte des droits fondamentaux, article 21, alinéa 1er) et du droit international (Pacte international relatif aux doits civils et politiques, article 26). A titre subsidiaire, il demande qu’une question soit posée préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle.

Quant à l’ONP, il considère que (i) il n’est pas tenu de pallier les carences d’autres régimes de pension, (ii) il y a des conditions d’assimilation à la période du service militaire, étant que l’intéressé doit avoir eu la qualité de travailleur au moment où l’assimilation se produit ou qu’il se trouve, alors, dans une période d’inactivité assimilée à une période d’activité, (iii) une dérogation existe si l’intéressé a eu la qualité de travailleur dans les trois ans et l’est resté à titre principal pendant un an au moins (il s’agit de travailleurs au sens de la loi sur les contrats de travail), ce qui n’est pas le cas du demandeur et (iv) il n’y a pas de discrimination, dans la mesure où tous les demandeurs de pension se trouvant dans cette situation sont traités de manière identique. L’ONP fait encore valoir le caractère raisonnable et objectif des critères, étant le travail salarié exercé au moment du service militaire ou dans les trois ans qui suivent la fin de celui-ci. Enfin, sur la question préjudicielle demandée, il relève que la norme critiquée n’est pas un texte de loi et que la Cour constitutionnelle n’est, en conséquence, pas compétente.

Avis du Ministère public

Pour le Ministère public, il n’y a pas de différence de traitement in concreto entre les catégories de travailleurs salariés et indépendants. Le Ministère public conclut, cependant, à la non-conformité de l’article 34, § 2, 3, alinéa 2 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, aux articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le bénéfice de l’assimilation de la période de service militaire est limité aux personnes qui ont acquis la qualité de travailleur salarié dans les trois ans à l’issue de celui-ci. Pour le Ministère public, la période de service militaire doit être assimilée à une période d’activité. En conséquence, l’intéressé totalise 35 années de carrière et la thèse de l’ONP ne peut être suivie.

Position de la Cour

La cour du travail circonscrit le débat juridique à la contestation relative à la période du service militaire : s’agit-il d’une période assimilée dans la mesure où des cours universitaires ayant été suivis, après celui-ci, et qu’un doctorat en sciences a été préparé pendant les six années suivantes ?

Elle rappelle, dès lors, les principes applicables. Le droit à la pension de retraite (organisé par l’arrêté royal du 2 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996) exige une carrière de 35 années civiles au moins, étant des années susceptibles d’ouvrir des droits à la pension. Sont visés le régime salarié, le régime indépendant, celui du secteur public ou encore un régime étranger relavant du droit communautaire ou d’une convention internationale de sécurité sociale.

Certaines périodes ne sont pas prises en compte dans le cadre de la pension anticipée, au titre de périodes assimilées, et ce contrairement aux règles en matière de pension. Il s’agit notamment des périodes d’études. Le service militaire n’est cependant pas visé, de telle sorte que cette période peut intervenir dans les 35 années requises.

En l’espèce, Monsieur L. établit 34 années de carrière, étant 18 années dans le régime des travailleurs salariés et 16 années dans le régime OSSOM. Les années d’études en vue de la préparation du doctorat sont écartées.

La cour procède ensuite à l’examen des conditions de prise en compte du service militaire dans le cadre du calcul de la pension, relevant que depuis la loi du 20 juillet 2006 portant des dispositions diverses (article 203) une allocation complémentaire de retraite ou de survie est prévue pour les personnes bénéficiant d’une pension dans le cadre du régime OSSOM, pour la période de service militaire. Ceci n’est cependant pas le cas en l’espèce, où la question concerne la pension anticipée.

Sur la discrimination soulevée par l’intéressé, par rapport au régime des travailleurs indépendants, où celui-ci fait valoir les conditions de l’article 31 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 (qui prévoit la possibilité de différer l’acquisition de la qualité de travailleur indépendant jusqu’à 180 jours à la fin de la période d’études ou d’apprentissage quelle que soit la durée de celle-ci), la cour examine les conditions d’assimilation dans ce régime des périodes de service militaire et constate que la période d’études s’étend de la période de deux ans au maximum lorsque l’intéressé a préparé un doctorat, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la période ayant été de six ans.

La cour étudie ensuite le moyen tiré de la discrimination par rapport aux étudiants devenus travailleurs salariés ou aux autres militaires ayant obtenu l’assimilation. Elle conclut que, en l’espèce, il ne s’agit pas de calculer la carrière en vue de la pension mais bien de la pension anticipée. Il faut, en conséquence, examiner s’il est justifié que la prise en compte de la période de service militaire soit soumise à un critère tel que celui du délai de 3 ans, ce qui implique de vérifier si ce critère est raisonnablement justifié pour différencier l’accès des miliciens à la pension anticipée.

La cour examine l’intention du législateur, dans le système ainsi mis en place, étant de moderniser les régimes de pension, une première étape ayant été l’instauration de l’âge flexible de la pension. S’agissant de la pension anticipée, ce régime comprend des particularités et notamment le calcul des années prises en compte. Le but du législateur est, pour la cour, de permettre de prendre une pension à partir de 60 ans, et ce dans le cadre d’une politique d’âge flexible de la pension, à la condition de démontrer une carrière minimale, celle-ci pouvant comprendre des périodes prestées ou assimilées. Le calcul de celle-ci est ici envisagé de manière spécifique.

La cour retient que, s’agissant de l’impact du service militaire obligatoire, tous les miliciens sont dans une situation comparable et qu’aucun élément n’est produit, permettant de justifier raisonnablement la thèse de l’ONP selon laquelle une personne qui aurait interrompu ses études pour effectuer un service militaire obligatoire et aurait poursuivi ce cursus pendant plus de trois ans après sa démobilisation ne puisse pas assimiler cette période dans le cadre du régime de pension anticipée alors que les étudiants qui ont terminé leurs études dans les trois ans à partir de leur démobilisation le peuvent.

La justification de cette distinction est d’autant moins aisée à admettre que, en matière de prépension, la période de service militaire est prise en compte sans conditions et qu’elle donne automatiquement accès au régime.

La cour considère dès lors devoir se rallier à l’avis du Ministère public.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles contient une conclusion logique, partagée par le Ministère public, en ce qui concerne les conditions d’admission du service militaire dans le cadre de la pension anticipée. Un manque d’harmonisation existe, dans les différentes réglementations et la cour le relève très judicieusement.


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