Terralaboris asbl

Harcèlement moral et application de la loi dans le temps

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 novembre 2009, R.G. 03/64.743

Mis en ligne le jeudi 2 février 2012


Tribunal du travail de Bruxelles, 13 novembre 2009, R.G. n° 03/64.743

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 13 novembre 2009, le tribunal du travail de Bruxelles confirme la jurisprudence selon laquelle la loi du 11 juin 2002 peut être appliquée aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure.

Les faits

Une assistante sociale, engagée au service d’une asbl, vit, avec ses deux collègues, des relations professionnelles allant en se dégradant considérablement.

Un collègue prend contact avec l’inspection médicale de l’Administration de l’hygiène et de la médecine du travail, et ce en février 2002. Diverses autres démarches sont effectuées et une plainte est déposée le 2 avril pour harcèlement entre les mains du conseiller en prévention. Celle-ci est dirigée contre le directeur de l’asbl.

La demanderesse, cosignataire de la plainte, tombe en incapacité de travail. Son médecin traitant fait un certificat circonstancié, dans lequel il indique que, selon sa patiente, ses problèmes seraient liés à un harcèlement moral dans le milieu professionnel.

Le conseiller en prévention signale, ultérieurement, par courrier que la plainte lui semble fondée, les comportements incriminés lui paraissant abusifs (intimidations systématiques, menaces de préavis régulières, courrier ouvert ou détourné, modifications d’horaire répétées, demande de certificats médicaux ou de bonne vie et mœurs hors contexte), que ceux-ci ont un caractère répétitif et s’aggravent avec le temps et qu’ils induisent progressivement une situation de travail intenable et insupportable nuisant à l’intégrité physique et psychique des personnes employées, qui finit par mettre en péril leur emploi. Le conseiller confirme d’ailleurs que l’autre signataire de la plainte a, quant à lui, été licencié.

Le conseiller en prévention fait ultérieurement rapport à l’intention de l’inspection médicale du SPF Emploi et se fonde sur la loi du 11 juin 2002, intervenue entretemps.

La demanderesse va quant à elle démissionner par lettre du 23 août 2002.

En novembre 2002, un représentant de l’inspection médicale prend contact avec le président de l’asbl. Quelque temps après il transmet le dossier de plainte pour harcèlement moral à l’auditorat du travail.

Les deux travailleurs signataires de la plainte introduisent une action (distincte) devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal du travail

Dans la première affaire, concernant le collègue de la demanderesse, le tribunal du travail (autrement composé) a estimé que les faits de harcèlement n’étaient pas établis et a débouté le demandeur. Celui-ci, qui avait aussitôt interjeté appel, a obtenu un arrêt de la Cour du travail en date du 29 avril 2009 et la Cour y a réformé le jugement du tribunal, condamnant l’asbl à payer 5.000 € au titre de dommages et intérêts (R.G. 50.863)..

Dans la présente affaire, le tribunal du travail est dès lors saisi de la demande de la deuxième travailleuse visée par les faits de harcèlement.

Il examine le fondement juridique de la demande, dont il retient qu’il s’agit d’une action en responsabilité civile visant à obtenir réparation d’un préjudice à charge de l’employeur. Dans ce contexte, le travailleur qui invoque le harcèlement moral dont il est victime a le choix entre les articles 1134, 1382 ou 1384 du Code civil.

Dans ce mécanisme, les faits fautifs imputés à l’employeur (ou à son préposé) s’apprécient par rapport au comportement général de prudence que tout employé est en droit d’attendre de son employeur ainsi que par rapport aux obligations particulières mises à sa charge par des dispositions spécifiques.

Le tribunal examine par ailleurs l’incidence de la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail (entrée en vigueur le 1er juillet 2002). Celle-ci se trouve, en effet, à cheval sur les faits de l’espèce. Le tribunal relève que cette loi ne dispose que pour l’avenir, n’ayant pas d’effet rétroactif et que les faits susceptibles de constituer du harcèlement moral au sens de cette loi particulière doivent être postérieurs à la date du 1er juillet 2002. Cependant, rappelant une importante jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 24 mai 2002, F.000103.F), le tribunal rappelle qu’il est de règle que la loi nouvelle s’applique aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou qui se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle et ce pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés.

Cette jurisprudence a déjà trouvé à s’appliquer dans l’hypothèse de harcèlement et le tribunal renvoie à un jugement du même tribunal de Bruxelles (Trib. Trav. Bruxelles, 20 juin 2006, R.G. 50918/03) qui a relevé qu’un des éléments constitutifs du harcèlement est la répétition des conduites abusives. Cette répétition s’étale nécessairement dans le temps. Afin d’assurer l’effectivité de la loi dès son entrée en vigueur, il a ainsi pu être jugé que des faits survenus avant le 1er juillet 2002 peuvent être pris en considération par le juge pour apprécier l’existence et la gravité du harcèlement qui se serait étalé sur la période précédant et suivant le 1er juillet 2002.

Dans ces conditions, le travailleur qui peut invoquer la protection de la loi du 11 juin 2002 va y trouver la définition des faits de harcèlement, les obligations particulières à charge de l’employeur (sur le plan de la prévention et de l’accompagnement de la victime) et pourra encore faire appel au mécanisme en matière de partage de la charge de la preuve de l’acte fautif. Ce nouveau contexte légal allège considérablement l’administration de la preuve dans le chef du travailleur.

Le tribunal va encore relever que des faits qui, entièrement commis avant l’entrée en vigueur de la loi, mettent en évidence un comportement fautif relevant du harcèlement peuvent tout autant, à la condition que le préjudice soit établi, entraîner la responsabilité de l’employeur. Il ajoute que le travailleur peut alors invoquer la violation de l’obligation générale de ne pas lui nuire ainsi que le non respect des dispositions légales en vigueur, protectrices de sa santé et de son bien-être.

En résumé, le fondement de la demande peut résider dans l’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, dans l’article 4 de la loi du 4 août 1996 relatif au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail ou de l’article 5 de cette loi et encore dans les dispositions de la Convention collective de travail nationale n° 72 du 30 mars 1999 qui prévoit la mise en place d’un régime visant à prévenir le stress occasionné par le travail et/ou à y remédier.

Le tribunal va lors se livrer à un minutieux examen des faits de l’espèce pour retenir l’existence de faits de harcèlement.

Le préjudice sera évalué ex aequo et bono et sur la même base, de même que pour le même quantum que pour son collègue.

Intérêt de la décision

Cette décision du tribunal du travail de Bruxelles vient confirmer la jurisprudence selon laquelle la loi du 11 juin 2002 peut trouver à s’appliquer pour des faits survenus avant son entrée en vigueur. Les critères en sont d’une part que des faits survenus avant peuvent permettre au juge d’apprécier l’existence et la gravité d’un harcèlement moral qui se serait étalé sur la période « à cheval » (C. trav. Anvers, 6 avril 2004 et 22 juin 2004, Chron. D.S., 2005, p. 442. ; Trib. Trav. Nivelles, 28 juin 2005, Chron. D.S., 2005, p. 488) et d’autre part qu’il reste requis que des conduites abusives soient survenues après l’entrée en vigueur de la loi (Trib. Trav. Liège, 5 novembre 2004, R..G. 337.169).


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