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Travailleur indépendant et incapacité de travail : critères de reconnaissance

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mai 2011, R.G. 2010/AB/708

Mis en ligne le vendredi 18 novembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 13 mai 2011, R.G. n° 2010/AB/708

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 mai 2011, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes relatifs à l’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants et rappelle l’exigence que celui-ci puisse exercer une activité lui permettant de vivre sans déclassement professionnel.

Les faits

Un gérant de snack, travailleur indépendant, est mis en incapacité de travail à dater du 24 mars 2008, suite à diverses fractures. Neuf mois plus tard, l’incapacité est confirmée suite à une visite chez le médecin-conseil de la mutuelle. Le 30 avril 2009, le médecin-conseil conclut à la fin de l’incapacité, décision qui est contestée par l’intéressé.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 24 juin 2010, le recours est rejeté, le tribunal confirmant la fin de l’incapacité de travail à la date fixée par le médecin-conseil.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle, dans un premier temps, les principes applicables, étant ceux contenus à l’article 19 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités en faveur des travailleurs indépendants :

  • pendant la première année d’incapacité de travail, le droit aux indemnités est ouvert à la condition que l’indépendant ait dû mettre fin à son activité de titulaire indépendant qu’il assumait avant le début de l’incapacité de travail, et ce suite à des lésions et troubles fonctionnels ; il est également exigé qu’il n’exerce aucune autre activité professionnelle, que ce soit en qualité de travailleur indépendant, d’aidant ou encore avec une autre qualité ;
  • après la première année, le critère est modifié, étant que l’indépendant doit être incapable d’exercer une activité professionnelle quelconque, dont il pourrait être chargé équitablement, et ce compte tenu de sa condition, de son état de santé et de sa formation professionnelle.

Les critères retenus sont nuancés, à partir de la deuxième année d’incapacité : en effet, si l’inaptitude doit être complète (100%), il y a lieu de relativiser cette notion. La Cour de cassation a en effet considéré qu’il s’agit d’une notion théorique qui, dans la pratique, ne se rencontre que dans des cas extrêmes (la cour renvoyant à Cass., 20 décembre 1993, Pas., 1993, n° 533). Cette incapacité à 100% ne peut dès lors être exigée et il faut se référer à un critère plus général d’équité.

La cour rappelle ici la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (dont C. trav. Mons, 13 mars 1996, RG n° 11613), selon laquelle il faut atténuer la portée de l’exigence de l’inaptitude à toute activité professionnelle. C’est également la jurisprudence – souvent citée – de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Neufchâteau, 12 juin 1996, RG n° 2.594/94), selon laquelle il ne faut pas retenir une aptitude au travail illusoire ou chimérique. Sans réelle aptitude au travail ou à un poste de travail concret et convenable, il n’y a pas de capacité de gain au sens légal.

En conséquence, il faut écarter des activités qui n’existent plus ou qui ne seraient pas assimilables à une profession car elles ne peuvent arriver à un seuil de rentabilité permettant au travailleur d’assurer sa subsistance. Il a de même été admis qu’il ne serait pas conforme à l’article 20 de ne pas reconnaître un état d’invalidité si restait ouverte la possibilité d’exercer un travail à temps partiel, l’activité à prendre en compte devant être une activité professionnelle réelle et suffisante et ne pas se rapprocher d’un passe-temps. Le travailleur indépendant doit pouvoir vivre de celle-ci et ne subir un déclassement professionnel (la cour renvoyant ici à C. trav. Liège, sect. Neufchâteau, 14 mai 2003, R.G. n° 3.563/02).

Ces principes posés, la cour constate en l’occurrence que le dossier médical produit par l’intéressé précise les conséquences des fractures encourues mais est muet en ce qui concerne les critères d’appréciation de l’incapacité, tels qu’exigés par l’arrêté royal du 20 juillet 1971. Ainsi, l’on fait parfois état d’une incapacité temporaire totale ou d’une invalidité permanente de 8% pour l’ensemble des métiers disponibles sur le marché général du travail ou encore de contre-indications pour toute activité nécessitant le port de charges lourdes répétitives. La cour retient cependant qu’est produit un certificat plus précis relevant l’existence d’un syndrome anxio-dépressif qui conduirait, vu les problèmes physiques et psychologiques de l’intéressé, très sûrement à une incapacité de travail totale.

La cour examine alors le profil professionnel de l’intéressé et conclut que les éléments qui sont produits sont contrastés de telle sorte que se justifie une mesure d’instruction, étant une expertise. La cour conclut dès lors à la nécessité de celle-ci afin d’être éclairée sur l’existence ou non de l’incapacité de travail.

Intérêt de la décision

Outre que cet arrêt rappelle qu’il y a lieu de relativiser l’exigence d’une incapacité à 100% pour les travailleurs indépendants (et non 66%), il souligne une chose importante, étant que, si le travailleur indépendant veut faire admettre une telle incapacité, il est tenu de justifier, dans le dossier médical qu’il produit, l’existence d’une telle incapacité au regard des critères exigés, étant ceux de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 et que – si le dossier ne contient pas suffisamment de précisions à cet égard, sa demande peut être rejetée – ce qui avait d’ailleurs été la position du premier juge.


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