Terralaboris asbl

Gérant de station-service et contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mars 2011, R.G. 2008/AB/51.405

Mis en ligne le mardi 8 novembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 15 mars 2011, R.G. n° 2008/AB/51.405

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles a conclu qu’une convention d’exploitation de station-service ne peut impliquer en tant que telle une subordination juridique dans le chef du gérant, les contraintes qu’elle contient étant, pour la cour, soit révélatrices d’une dépendance économique soit nécessitées par la politique commerciale de la société.

Les faits

Une convention d’exploitation de station-service est signée entre une société pétrolière et une SCRIS, qui a deux administratrices-gérantes. En vertu de cette convention, le détaillant-gérant est tenu de se fournir en carburant, lubrifiants et produits pétroliers annexes auprès de la société aux fins de revente à la clientèle. Il en va de même de la fourniture de services d’entretien et de réparation. La convention prévoit la mise à disposition d’un terrain, d’un bâtiment ainsi que de matériel et de mobilier d’exploitation. Des objectifs sont fixés ainsi que des contraintes en matière de commandes (quantité minimale). La convention est à durée indéterminée et une clause fixe le préavis à respecter en cas de rupture. Une seconde convention est également signée en vue de la location et de la gérance de la boutique, convention admise par les parties comme constituant l’accessoire de la convention d’exploitation. Il s’agit d’un régime de location-gérance.

La société met fin aux deux conventions moyennant préavis de trois mois ainsi que contractuellement convenu et l’exploitation de la station-service est arrêtée à une date déterminée d’un commun accord.

Suite à cette rupture, les deux gérantes réclament des arriérés de rémunération et d’autres sommes, étant essentiellement le remboursement de fonds propres (45.000€) et le remboursement d’un emprunt (52.000€).

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 3 septembre 2008, le Tribunal du travail de Bruxelles conclut à l’absence de contrat de travail, la preuve des éléments constitutifs n’étant pas apportée. Les autres chefs de demande reposant également sur l’existence d’un contrat de travail, le tribunal déclare ceux-ci non fondés.

Le tribunal relève encore que, la rupture étant de quelques mois antérieure à l’entrée en application de la loi-programme du 27 décembre 2006, celle-ci doit être écartée.

Position des parties en appel

Les gérantes font essentiellement grief au premier juge de ne pas avoir procédé à un examen global des critères permettant de conclure à l’existence d’un contrat de travail mais de les avoir analysés séparément et, particulièrement, elles retiennent qu’il est paradoxal d’écarter les critères de la loi du 27 décembre 2006 alors que le tribunal a relevé que ceux-ci ne différaient pas fortement de ceux retenus par la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Elles se fondent sur les arrêts rendus par la Cour de cassation auparavant (dont Cass., 8 décembre 2003, J.T.T., 2004, p. 122), enseignement dont il découle qu’il faut vérifier les éléments, la réalité et l’effectivité de la relation contractuelle, de même que son exécution et encore la volonté réelle des parties.

Le premier juge ayant retenu une dépendance économique, les gérantes considèrent que celle-ci n’est pas exclusive d’une dépendance juridique et elles se fondent essentiellement sur l’absence de liberté d’organiser le travail, la question des horaires, la teneur de certaines conditions commerciales et l’existence d’un préavis contractuel.

Elles modulent, ensuite, leurs demandes ajoutant une demande en garantie de toute dette sociale ou fiscale qui serait à leur charge, en suite de la qualification erronée de la relation de travail.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que le type de convention en cause est régi par un arrêté royal du 14 janvier 2003 et qu’il s’agit essentiellement de la mise à disposition d’un gérant indépendant d’une station-service, mise à disposition gratuite impliquant, en échange, un approvisionnement exclusif.

Aux appelantes, qui insistent sur le caractère déséquilibré des engagements respectifs aux termes de ladite convention, la cour rappelle que, pour qu’il y ait contrat de travail, il faut une rémunération, en contrepartie d’un travail fourni sous l’autorité d’un employeur.

Or, ni la SCRIS, ni aucune des deux administratrices ne s’est engagée à fournir un travail déterminé à la société fournisseuse et il n’y a pas de rémunération convenue, ce que la cour considère comme logique dans la mesure où il n’y avait pas de prestation de travail. Ces deux éléments étant essentiels pour qu’existe un contrat de travail, la cour considère qu’ils suffisent pour la solution du litige.

A titre surabondant, cependant, la cour renvoie au jugement et à l’examen de la situation des parties telle que contenu dans celui-ci : absence d’identification dans la convention des personnes physiques qui devraient intervenir dans l’exécution de celle-ci, possibilité à cet égard d’avoir recours à du personnel – non autrement identifié -, ce que le tribunal a considéré comme diamétralement distinct de la situation d’une société de management (où sont visées les prestations de travail d’une personne déterminée). A cette absence de caractère intuitu personae dans le chef du prestataire du travail, le premier juge a ajouté que l’ensemble des conditions commerciales convenues (marges réduites, ristournes obligatoires, redevances importantes sur le chiffre d’affaires, …) sont des indices révélateurs d’une dépendance économique mais ne permettent nullement de retenir une dépendance juridique. Il en va de même d’autres indices : port obligatoire de l’uniforme, mode de gestion comptable imposé, …

Tous ces éléments ne sont pas incompatibles avec une convention de collaboration indépendante. Il en va encore de même des horaires d’ouverture minimaux, ceux-ci étant exigés afin de rencontrer les besoins de la clientèle mais aucune instruction précise n’est donnée dans la convention quant à la manière de respecter ces heures d’ouverture. Et le premier juge de relever encore que l’existence d’une clause dans le contrat de location-gérance par laquelle l’exploitant avait la possibilité d’exercer d’autres activités, en ce compris sur le site, devait être retenue comme confirmant une situation d’indépendance.

La cour du travail fait sienne l’ensemble de ces conclusions et confirme le jugement : il n’y a pas en l’espèce contrat de travail mais contrat sui generis propre au secteur pétrolier.

Intérêt de la décision

Tant le premier juge que la cour du travail se sont, en cette espèce, focalisés sur les composantes indispensables d’un contrat de travail : l’existence de prestations de travail et la fixation d’une rémunération intervenant en contrepartie de celles-ci. La convention en cause ne reprenant par ailleurs que des instructions très générales et ne contenant aucune exigence quant à l’identité du prestataire, aucun élément en l’espèce ne peut tenir en échec le choix d’un contrat d’entreprise. L’intérêt de cette espèce est, plus particulièrement, d’insister sur le fait que certaines modalités de la prestation de travail peuvent tout au plus révéler une dépendance économique du prestataire mais qu’elles sont impuissantes à obtenir une requalification.


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