Terralaboris asbl

Citoyen de l’Union européenne suivant des études en Belgique et CPAS

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. 2010/AB/17

Mis en ligne le mardi 25 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. n° 2010/AB/17

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le principe d’égalité de traitement assure à un étudiant ayant la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne le droit à des prestations sociales, dès lors qu’il est titulaire d’une attestation d’enregistrement.

Les faits

Une jeune femme de nationalité espagnole arrive en Belgique en mai 2009 pour rejoindre sa famille. Elle fait une demande d’attestation d’enregistrement en tant qu’étudiante et remplit une déclaration relative à ses moyens d’existence. Deux mois plus tard, elle introduit une demande de revenu d’intégration sociale. À ce moment, l’intéressée est enceinte. Il ressort du rapport social qu’elle aurait été chassée du domicile de son père et qu’elle aurait pris un studio. Elle suite régulièrement des études.

Le Comité spécial du service social refuse d’intervenir, rappelant qu’une déclaration relative aux moyens d’existence a été remplie et que, en vertu de celle-ci, l’intéressée s’était engagée à ne pas tomber à charge des pouvoirs publics.

Décision du tribunal du travail

Un recours est introduit et, par jugement du 4 décembre 2009, le tribunal du travail condamne le CPAS à payer le revenu d’intégration au taux isolé.

Appel est interjeté par le Centre.

Décision de la cour du travail

Le litige concerne essentiellement la condition d’octroi relative au séjour. L’article 3 de la loi du 26 mai 2002 prévoit, en effet, que le citoyen de l’Union européenne (ou le membre de sa famille qui l’accompagne ou le rejoint) doit être bénéficiaire d’un droit de séjour de plus de trois mois et ce, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Le CPAS considère qu’il faut écarter le titre de séjour au motif que celui-ci aurait été obtenu de manière frauduleuse, sur la base de déclarations inexactes. Il demande à la cour de considérer que l’intéressée est en séjour illégal et qu’elle n’a par conséquent pas droit à l’intervention du CPAS, que ce soit sous forme de revenu d’intégration ou d’aide sociale.

Ceci amène la cour à examiner les dispositions relatives au droit de séjour des étudiants ressortissants de l’Union européenne.

L’article 21, § 1 du T.F.U.E. contient le principe du droit de circulation et de séjour pour tout citoyen de l’Union sur le territoire des Etats membres – et ce sous réserve des limitations et conditions prévues par les Traités et par les dispositions prises pour leur application. La cour rappelle l’arrêt ZHU et CHEN (C.J.U.E., 19 octobre 2004) qui a souligné que ce droit de séjour est reconnu directement à tout citoyen de l’Union par une disposition claire et précise du Traité. Dès lors qu’une personne a la qualité de ressortissant d’un Etat membre, et partant de citoyen de l’Union, elle peut se prévaloir de cette disposition.

Par ailleurs la directive 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres a déterminé les conditions auxquelles un Etat peut subordonner le séjour sur son territoire pour une durée supérieure à trois mois, étant notamment que ce séjour est autorisé si la personne est inscrite dans un établissement d’enseignement agréé ou financé par l’Etat d’accueil (ceci comprenant les études consistant en une formation professionnelle) et s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’Etat membre d’accueil et garantit disposer des ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille (de telle sorte qu’il ne deviendra pas à charge pour le système d’assistance sociale de l’Etat où il séjourne).

S’il y a recours à l’assistance sociale, le considérant 16 de la directive précise que la mesure d’éloignement ne peut pas être décidée automatiquement, l’Etat devant examiner le type de difficultés rencontrées et prendre d’autres éléments en compte (durée du séjour, situation personnelle, montant de l’aide accordée, caractère déraisonnable de la charge que constituerait la prise en charge du bénéficiaire).

A ces dispositions, il convient d’ajouter les règles contenues dans la loi du 15 décembre 1980 (art. 40, § 4) exécutant ces dispositions en droit interne. La loi détermine plus particulièrement ce qu’il faut entendre par « ressources suffisantes au sens légal, ressources fixées au niveau de revenus sous lequel la personne concernée peut bénéficier d’une aide sociale. Dans l’appréciation des ressources, il est tenu compte de la situation personnelle du citoyen de l’Union, celle-ci englobant notamment la nature et la régularité de ses revenus ainsi que le nombre de membres de la famille à sa charge.

En exécution de ces dispositions, l’arrêté royal du 8 octobre 1981 fixe les obligations de l’étudiant ressortissant d’un pays de l’Union, lors de sa demande d’attestation d’enregistrement (ou au plus tard dans les trois mois après celle-ci) étant qu’il doit produire : (i) une inscription dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subsidié, (ii) une assurance maladie et (iii) une déclaration de ressources suffisantes (ou tout autre moyen équivalent). D’autres dispositions vont régler la fin du droit au séjour, lorsque l’intéressé constitue une charge déraisonnable pour le système d’aide sociale ou s’il y a eu informations fausses ou trompeuses ou production de documents faux ou falsifiés (art. 42septies).

La cour aborde, ici, d’autres règles de base, étant celles régissant l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, telles que figurant dans l’article 19 du T.F.U.E. La directive 2004/38 a confirmé, à cet égard, que le bénéfice du droit à l’égalité de traitement s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un Etat membre et qui bénéficient d’un droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

L’arrêt TROJANI (C.J.U.E., 7 septembre 2004) a donné une méthode quant à l’application de ces principes : si l’Etat membre peut conditionner le séjour d’un citoyen de l’Union économiquement non actif à l’exigence de resources suffisantes, ceci ne signifie pas que ce citoyen ne peut pas bénéficier pendant son séjour (légal) dans l’Etat en cause du principe fondamental d’égalité de traitement. Et la Cour de Justice de préciser, en référence à l’arrêt GRZELCZYK (C.J.U.E. 20 septembre 2001), qu’une prestation d’assistance sociale telle que le minimex entre dans le champ d’application du Traité. En outre, pour les prestations visées, un citoyen de l’Union économiquement non actif peut invoquer le principe de l’égalité de traitement dès lors qu’il a séjourné légalement dans l’Etat d’accueil pendant une certaine période ou qu’il dispose d’une carte de séjour. Enfin, il y a discrimination fondée sur la nationalité (discrimination interdite) dès lors que la réglementation nationale n’accorde pas une prestation d’assistance sociale à un citoyen de l’Union non ressortissant de l’Etat membre qui y séjourne légalement, même lorsqu’il remplit les conditions exigées pour le ressortissant de l’Etat en cause.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate que l’intéressée a disposé d’une attestation d’enregistrement et que, de ce fait, elle répond à la condition de séjour de plus de trois mois prévue pour les ressortissants de l’Union européenne.

Cette attestation a été obtenue normalement, puisqu’à l’époque l’intéressée habitait chez son père et qu’elle pouvait logiquement penser qu’elle ne tomberait pas à charge des pouvoirs publics.

Quant au retrait de l’attestation - dont la cour souligne qu’il est de la compétence (discrétionnaire) de l’Office des étrangers -, il n’est pas une conséquence automatique de l’octroi d’une prestation sociale, ainsi que la prévoit de manière expresse le considérant 16 de la directive mais il dépend de l’appréciation du caractère déraisonnable que la prestation représenterait pour le système d’assistance de l’Etat d’accueil. En outre, la jurisprudence TROJANI apporte encore une pierre à cet édifice, puisqu’elle confirme qu’un citoyen de l’Union économiquement non actif peut invoquer le principe de l’égalité de traitement dès lors qu’il est en possession d’une carte de séjour.

En conclusion, tant que l’attestation d’enregistrement n’a pas été retirée, il y a pour son titulaire accès égal aux prestations d’assistance.

La cour confirme, dès lors, le jugement du tribunal en ce qu’il a accordé le revenu d’intégration.

Intérêt de la décision

La cour du travail fait ici un rappel clair des effets du principe d’égalité de traitement dont doit bénéficier tout citoyen de l’Union européenne et à très juste titre applique ce principe à une prestation d’assistance sociale, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice.


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