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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Melchior Wathelet

présentées le 20 mai 2014 (1)

Affaire C‑333/13

Elisabeta Dano,

Florin Dano

contre

Jobcenter Leipzig

[demande de décision préjudicielle formée par le Sozialgericht Leipzig (Allemagne)]

«Règlement (CE) n° 883/2004 – Directive 2004/38/CE – Citoyenneté de l’Union – Égalité de traitement – Citoyens de l’Union sans activité économique qui séjournent sur le territoire d’un autre État membre – Réglementation d’un État membre prévoyant l’exclusion de ces personnes des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, si leur droit de séjour se fonde uniquement sur l’article 20 TFUE»





1.        La présente demande de décision préjudicielle pose, en substance, la question de savoir si un État membre peut exclure du bénéfice de prestations de subsistance à caractère non contributif, au sens du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (2), tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (3) (ci-après le «règlement n° 883/2004»), des ressortissants d’autres États membres qui sont dans le besoin, pour éviter que ces prestations ne représentent pour lui une charge déraisonnable, et ce alors même qu’elles seraient octroyées aux ressortissants nationaux se trouvant dans la même situation.

2.        Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi conduiront une nouvelle fois la Cour à se pencher sur la relation entre le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (4), et sur les notions, d’une part, de «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» visées par le règlement n° 883/2004 et, d’autre part, de «prestations d’assistance sociale» au sens de la directive 2004/38.

3.        Par conséquent, bien que les questions préjudicielles ne portent pas expressément sur la qualification des prestations en cause dans l’affaire au principal au regard de ces deux normes, il m’apparaît que la Cour ne pourra faire l’économie de ce travail si elle veut donner une réponse utile à la juridiction de renvoi.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

4.        Selon l’article 1er de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), intitulé «Dignité humaine», «[l]a dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée».

5.        L’article 20 de la Charte, intitulé «Égalité en droit», dispose que «[t]outes les personnes sont égales en droit».

2.      Le règlement n° 883/2004

6.        Les considérants 16 et 37 du règlement n° 883/2004 se lisent comme suit:

«(16)      À l’intérieur de la Communauté, il n’est en principe pas justifié de faire dépendre les droits en matière de sécurité sociale du lieu de résidence de l’intéressé. Toutefois, dans des cas spécifiques, notamment pour des prestations spéciales qui ont un lien avec l’environnement économique et social de l’intéressé, le lieu de résidence pourrait être pris en compte.

[...]

(37)      Selon une jurisprudence constante de la Cour de Justice, les dispositions qui dérogent au principe selon lequel les prestations de sécurité sociale sont exportables doivent être interprétées de manière limitative. En d’autres termes, de telles dispositions ne peuvent s’appliquer qu’aux prestations qui répondent aux conditions précisées. Le chapitre 9 du titre III du présent règlement ne peut donc s’appliquer qu’aux prestations, énumérées à l’annexe X du présent règlement, qui sont à la fois spéciales et à caractère non contributif.»

7.        Régissant le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004, l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:

«Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.»

8.        Le champ d’application matériel du règlement n° 883/2004 est, quant à lui, décrit à l’article 3:

«1.      Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:

[…]

h)      les prestations de chômage;

[…]

2.      Sauf disposition contraire prévue à l’annexe XI, le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis ou non à cotisations, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur.

3.      Le présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70.

[…]

5.      Le présent règlement ne s’applique pas:

a)      à l’assistance sociale et médicale;

b)      aux prestations octroyées dans le cas où un État membre assume la responsabilité de dommages causés à des personnes et prévoit une indemnisation, telles que les prestations en faveur des victimes de la guerre et d’actions militaires ou de leurs conséquences, des victimes d’un délit, d’un meurtre ou d’attentats terroristes, des personnes ayant subi un préjudice occasionné par les agents de l’État membre dans l’exercice de leurs fonctions ou des personnes ayant subi une discrimination pour des motifs politiques ou religieux ou en raison de leurs origines.»

9.        Selon l’article 4 de ce règlement, intitulé «Égalité de traitement»:

«À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci.»

10.      Le chapitre 9 du titre III du règlement n° 883/2004 est consacré aux «Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif». Il est constitué du seul article 70, lequel est intitulé «Dispositions générales», et prévoit:

«1.      Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et d’une assistance sociale.

2.      Aux fins du présent chapitre, on entend par ‘prestations spéciales en espèces à caractère non contributif’ les prestations:

a)      qui sont destinées:

i)      soit à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné;

ii)      soit uniquement à assurer la protection spécifique des personnes handicapées, étroitement liées à l’environnement social de ces personnes dans l’État membre concerné,

et

b)      qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires. Les prestations versées à titre de complément d’une prestation contributive ne sont toutefois pas considérées, pour ce seul motif, comme des prestations contributives,

et

c)      qui sont énumérées à l’annexe X.

3.      L’article 7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2 du présent article.

4.      Les prestations visées au paragraphe 2 sont octroyées exclusivement dans l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa législation. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge.»

11.      L’annexe X du règlement n° 883/2004, régissant les «Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif», contient, sous la rubrique «Allemagne», la précision suivante:

«[…]

b)      Les prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, sauf si, en ce qui concerne ces prestations, les conditions d’obtention d’un complément temporaire à la suite de la perception d’une prestation de chômage (article 24, paragraphe 1, du livre II du code social) sont remplies.»

3.      La directive 2004/38

12.      Les considérants 10, 16 et 21 de la directive 2004/38 prévoient:

«(10)      Il convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.

[...]

(16)      Les bénéficiaires du droit de séjour ne devraient pas faire l’objet de mesures d’éloignement aussi longtemps qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. En conséquence, une mesure d’éloignement ne peut pas être la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale. L’État membre d’accueil devrait examiner si, dans ce cas, il s’agit de difficultés d’ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour, la situation personnelle et le montant de l’aide accordée, afin de déterminer si le bénéficiaire constitue une charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale et de procéder, le cas échéant, à son éloignement. En aucun cas, une mesure d’éloignement ne devrait être arrêtée à l’encontre de travailleurs salariés, de non-salariés ou de demandeurs d’emploi tels que définis par la Cour de justice, si ce n’est pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

[...]

(21)      Toutefois, l’État membre d’accueil devrait être libre de déterminer s’il entend accorder aux personnes autres que celles qui exercent une activité salariée ou non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres de leur famille des prestations d’assistance sociale au cours des trois premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des demandeurs d’emploi, ou des bourses d’entretien pour les études, y compris la formation professionnelle, avant l’acquisition du droit de séjour permanent.»

13.      L’article 6, paragraphe 1, intitulé «Droit de séjour jusqu’à trois mois», prévoit:

«Les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.»

14.      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38 dispose:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

a)      s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, […]

[...]»

15.      L’article 8 de la directive 2004/38, intitulé «Formalités administratives à charge des citoyens de l’Union», prévoit, à son paragraphe 4:

«Les États membres ne peuvent pas fixer le montant des ressources qu’ils considèrent comme suffisantes, mais ils doivent tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée. Dans tous les cas, ce montant n’est pas supérieur au niveau en dessous duquel les ressortissants de l’État d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance sociale ni, lorsque ce critère ne peut s’appliquer, supérieur à la pension minimale de sécurité sociale versée par l’État membre d’accueil.»

16.      L’article 14 de la directive 2004/38 est consacré au «Maintien du droit de séjour». Aux termes de cette disposition:

«1.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

[...]

3.      Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement.

4.      À titre de dérogation aux dispositions des paragraphes 1 et 2 et sans préjudice des dispositions du chapitre VI, les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement lorsque:

a)      les citoyens de l’Union concernés sont des salariés ou des non-salariés, ou

b)      les citoyens de l’Union concernés sont entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil pour y chercher un emploi. Dans ce cas, les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ne peuvent être éloignés tant que les citoyens de l’Union sont en mesure de faire la preuve qu’ils continuent à chercher un emploi et qu’ils ont des chances réelles d’être engagés.»

17.      Enfin, l’article 24, intitulé «Égalité de traitement», énonce:

«1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.»

B –    Le droit allemand

1.      Le code social

18.      L’article 19a, paragraphe 1, figurant dans le livre I du code social (Sozialgesetzbuch Erstes Buch, ci-après le «SGB I»), décrit les deux types de prestations de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi comme suit:

«(1)      Peuvent être revendiquées au titre du droit à l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi:

1.      des prestations visant l’insertion dans le travail,

2.      des prestations visant à assurer la subsistance.

[...]»

19.      Dans le livre II du code social (Sozialgesetzbuch Zweites Buch, ci-après le «SGB II»), l’article 1er de celui-ci, intitulé «Fonction et objectif de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi», dispose, à ses paragraphes 1 et 3:

«(1)      L’assurance de base pour les demandeurs d’emploi vise à permettre à ses bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine.

[...]

(3)      L’assurance de base pour les demandeurs d’emploi comprend des prestations

1.      visant à mettre fin ou à réduire l’état de besoin, en particulier moyennant l’insertion dans le travail et

2.      visant à assurer la subsistance.»

20.      L’article 7 du SGB II, intitulé «Bénéficiaires», énonce:

«(1)      Les prestations au titre du présent livre sont destinées aux personnes qui

1.      ont atteint l’âge de 15 ans et n’ont pas encore atteint la limite d’âge visée à l’article 7a,

2.      sont aptes à travailler,

3.      sont indigentes et

4.      séjournent habituellement en République fédérale d’Allemagne (bénéficiaires aptes à travailler). Sont exclus

1.      les étrangères et étrangers qui ne sont pas travailleurs salariés ou travailleurs non salariés en République fédérale d’Allemagne et qui ne jouissent pas du droit de libre circulation en vertu de l’article 2, paragraphe 3, de la loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union [Freizügigkeitsgesetz/EU, ci-après le ‘FreizügG/EU’], et les membres de leur famille, pendant les trois premiers mois de leur séjour,

2.      les étrangères et étrangers dont le droit de séjour n’est justifié que par la recherche d’un emploi, et les membres de leur famille,

[…]

La deuxième phrase, point 1, ne s’applique pas aux étrangères et étrangers qui séjournent en République fédérale d’Allemagne conformément à un titre de séjour délivré en vertu du chapitre 2, section 5, de la loi sur le droit de séjour. Les dispositions en matière de droit de séjour demeurent inchangées.

[…]»

21.      L’article 8 du SGB II, consacré à la notion d’«Aptitude à travailler», prévoit:

«(1)      Est apte à travailler toute personne qui n’est pas incapable pendant une période déterminée, en raison d’une maladie ou d’un handicap, d’exercer une activité professionnelle au moins trois heures par jour dans les conditions habituelles du marché du travail.

[…]»

22.      L’article 9 du SGB II dispose:

«(1)      Est indigente toute personne qui ne peut assurer sa subsistance, ou l’assurer suffisamment, sur la base du revenu ou du patrimoine à prendre en considération et ne reçoit pas l’assistance nécessaire d’autres personnes, en particulier des membres de sa famille ou des bénéficiaires d’autres prestations sociales. [...]

[...]»

23.      L’article 20 du SGB II énonce des dispositions complémentaires sur les besoins de base de subsistance, l’article 21 du SGB II sur les besoins supplémentaires, et l’article 22 du SGB II sur les besoins d’hébergement et de chauffage. Enfin, les articles 28 à 30 du SGB II traitent des prestations de formation et de participation.

24.      Dans le livre XII du code social (Sozialgesetzbuch Zwölftes Buch, ci-après le «SGB XII»), l’article 1er de celui-ci, qui a trait à l’aide sociale, dispose:

«La fonction de l’aide sociale est de permettre à ses bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine. [...]»

25.      L’article 21 du SGB XII prévoit:

«Il n’est pas versé de prestations de subsistance aux personnes qui sont bénéficiaires des prestations au titre du livre II en ce qu’elles sont aptes à travailler ou en raison de leur lien familial. [...]»

26.      L’article 23 du SGB XII, intitulé «Aide sociale pour les étrangères et les étrangers», se lit comme suit:

«(1)      L’aide à la subsistance, l’aide aux personnes malades, l’aide aux femmes enceintes et l’aide à la maternité ainsi que l’aide pour l’accès aux soins au titre du présent livre doivent être assurées aux étrangers qui séjournent effectivement sur le territoire national. Les dispositions du quatrième chapitre ne sont pas affectées. Pour le reste, l’aide sociale peut être accordée lorsque cela est justifié au regard des circonstances individuelles. Les restrictions de la première phrase ne s’appliquent pas aux étrangers qui sont en possession d’un titre de séjour à durée illimitée [‘Niederlassungserlaubnis’] ou d’un permis de séjour à durée limitée [‘befristeter Aufenthaltstitel’] et qui entendent séjourner à titre permanent sur le territoire fédéral. Les dispositions en vertu desquelles des prestations d’aide sociale autres que celles visées dans la première phrase doivent ou devraient être versées ne sont pas affectées.

[...]

(3)      Les étrangers qui sont entrés sur le territoire national afin d’obtenir de l’aide sociale ou dont le droit de séjour découle du seul objectif de la recherche d’un emploi n’ont pas droit à l’aide sociale, tout comme les membres de leur famille. S’ils sont entrés sur le territoire national pour faire traiter ou soulager une maladie, l’aide aux personnes malades ne peut être versée que pour remédier à un état critique dangereux pour la vie ou pour procéder au traitement d’une maladie grave ou contagieuse qui s’avère à la fois indispensable et urgent.

(4)      Les étrangers qui bénéficient de l’aide sociale doivent être informés des programmes de rapatriement et de réinstallation qui leur sont applicables; dans les cas appropriés, il convient de faire en sorte que les étrangers concernés bénéficient de ces programmes.

[...]»

2.      Le FreizügG/EU

27.      Le champ d’application du FreizügG/EU est réglé à l’article 1er de cette loi:

«La présente loi régit l’entrée et le séjour des ressortissants des autres États membres de l’Union européenne (citoyens de l’Union) et des membres de leur famille.»

28.      L’article 2 du FreizügG/EU prévoit, en ce qui concerne le droit d’entrée et de séjour:

«(1)      Les citoyens de l’Union bénéficiant de la liberté de circulation et les membres de leur famille ont le droit d’entrer et de séjourner sur le territoire fédéral conformément aux dispositions de la présente loi.

(2)      Bénéficient de la liberté de circulation en vertu du droit communautaire:

1.      les citoyens de l’Union qui souhaitent séjourner en tant que travailleurs, afin de rechercher un emploi ou pour suivre une formation professionnelle.

[...]

5.      les citoyens de l’Union n’ayant pas d’activité professionnelle, conformément aux conditions de l’article 4,

6.      les membres de la famille, conformément aux conditions des articles 3 et 4,

[...]»

29.      L’article 4 du FreizügG/EU dispose, en ce qui concerne les personnes bénéficiant de la liberté de circulation n’exerçant pas d’activité professionnelle:

«Les citoyens de l’Union sans activité professionnelle et les membres de leur famille qui les accompagnent ou les rejoignent, bénéficient du droit prévu à l’article 2, paragraphe 1, s’ils disposent d’une assurance maladie suffisante et de moyens de subsistance suffisants. Si un citoyen de l’Union séjourne sur le territoire fédéral sous le statut d’étudiant, seuls bénéficient de ce droit son conjoint ou partenaire et ses enfants, dont la subsistance est assurée.»

II – Les faits du litige au principal

30.      Mme Dano, née en 1989, et son fils Florin, né le 2 juillet 2009 à Sarrebruck (Allemagne), sont tous deux de nationalité roumaine. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, Mme Dano serait entrée en Allemagne pour la dernière fois le 10 novembre 2010.

31.      Le 19 juillet 2011, la ville de Leipzig a délivré à Mme Dano une carte de séjour à durée illimitée destinée aux ressortissants de l’Union, en fixant comme date d’entrée sur le territoire allemand celle du 27 juin 2011. Le 28 janvier 2013, elle lui a en outre délivré un duplicata de cette carte.

32.      Mme Dano et son fils vivent, depuis leur arrivée à Leipzig, dans l’appartement d’une sœur de Mme Dano, laquelle pourvoit à leur alimentation.

33.      Mme Dano perçoit, pour son fils Florin, des prestations pour enfant à charge («Kindergeld»), versées par la caisse d’allocations familiales de Leipzig au nom de l’Agence fédérale pour l’emploi, à hauteur de 184 euros par mois. Le service d’assistance sociale à la jeunesse et à l’enfance de Leipzig verse en outre une avance sur pension alimentaire à hauteur de 133 euros par mois pour cet enfant.

34.      Mme Dano a fréquenté l’école pendant trois ans en Roumanie et ne possède aucun certificat de fin d’études. Elle comprend l’allemand et est capable de s’exprimer simplement dans cette langue. En revanche, elle n’est pas capable d’écrire dans cette langue et n’est en mesure de lire des textes rédigés en langue allemande que de manière limitée. Elle n’a pas de qualification professionnelle et n’a jusqu’ici exercé aucune activité professionnelle ni en Allemagne ni en Roumanie (5).

35.      Mme Dano et son fils ont introduit une première demande relative à l’octroi de prestations au titre du SGB II. Le Jobcenter Leipzig l’a rejetée par décision du 28 septembre 2011, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, deuxième phrase, point 2, du SGB II. Les requérants au principal n’ont pas contesté cette décision, laquelle est devenue définitive.

36.      Lesdits requérants ont introduit une nouvelle demande le 25 janvier 2012. À la suite du rejet de cette deuxième demande par le Jobcenter Leipzig, les requérants ont formé opposition contre cette décision du 23 février 2012. Leur recours se fondait sur les articles 18 TFUE et 45 TFUE et sur l’arrêt Vatsouras et Koupatantze (6). Cette opposition a néanmoins été rejetée par décision du 1er juin 2012.

37.      C’est contre cette dernière décision que les requérants au principal ont introduit, le 1er juillet 2012, un recours auprès du Sozialgericht Leipzig (tribunal du contentieux social de Leipzig, Allemagne). Dans ce cadre, ils demandent de nouveau l’octroi des prestations de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, à savoir la prestation de subsistance, l’allocation sociale et la participation aux frais d’hébergement et de chauffage (ci-après les «prestations de l’assurance de base»), au titre du SGB II, pour la période ayant débuté le 25 janvier 2012.

III – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

38.      Le Sozialgericht Leipzig considère que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, deuxième phrase, point 2, du SGB II et de l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII, les requérants au principal n’ont pas droit aux prestations de l’assurance de base. Toutefois, cette juridiction se demande si les dispositions du droit de l’Union, notamment l’article 4 du règlement n° 883/2004, le principe général de non-discrimination résultant de l’article 18 TFUE et le droit de séjour général résultant de l’article 20 TFUE, ne s’opposent pas aux dispositions du droit allemand susmentionnées.

39.      Par conséquent, par décision du 3 juin 2013, parvenue à la Cour le 19 juin 2013, le Sozialgericht Leipzig a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, en vertu de l’article 267 TFUE, les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le champ d’application personnel de l’article 4 du règlement n° 883/2004 comprend-il les personnes qui ne revendiquent pas une prestation d’assurance sociale ou une prestation familiale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, [de ce] règlement, mais [revendiquent] une prestation spéciale à caractère non contributif au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 [dudit] règlement?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question: l’article 4 du règlement n° 883/2004 interdit-il aux États membres d’exclure, totalement ou partiellement, pour éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales de subsistance à caractère non contributif, au sens de l’article 70 [de ce] règlement, des ressortissants de l’Union qui sont dans le besoin du bénéfice de ces prestations, lesquelles sont octroyées aux ressortissants nationaux dans la même situation?

3)      En cas de réponse négative à la première ou à la deuxième question: l’article 18 TFUE et/ou l’article 20, paragraphe 2, [...] sous a), TFUE, lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, [second alinéa], TFUE, et l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 interdisent-ils aux États membres d’exclure, totalement ou partiellement, pour éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales de subsistance à caractère non contributif, au sens de l’article 70 [dudit] règlement, des ressortissants de l’Union qui sont dans le besoin du bénéfice de ces prestations, lesquelles sont octroyées aux ressortissants nationaux dans la même situation?

4)      Pour le cas où, [à la] suite [de] la réponse [apportée] aux questions précédentes, l’exclusion partielle de prestations de subsistance s’avérerait être conforme au droit de l’Union: l’octroi de prestations de subsistance à caractère non contributif aux ressortissants de l’Union, en dehors des cas de grave détresse, peut-[il] se limiter à la mise à disposition des moyens nécessaires au retour dans l’État d’origine, ou bien les articles [1er], 20 et 51 de la [Charte] imposent-ils d’octroyer des prestations plus étendues rendant possible un séjour permanent?»

40.      Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements allemand et autrichien (à propos de la deuxième question uniquement), par l’Irlande, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne.

41.      Ils se sont, en outre, tous exprimés lors de l’audience, qui s’est tenue le 18 mars 2014. Les représentants des requérants au principal ainsi que des gouvernements danois et français, qui n’avaient pas déposé d’observations écrites, ont également pu exposer leurs arguments lors de cette audience.

IV – Analyse

A –    La nature des prestations de l’assurance de base au regard du règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38

42.      Comme je l’ai signalé dans mon propos introductif, les questions préjudicielles ne portent pas expressément sur la qualification des prestations de l’assurance de base en cause au principal au regard du règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38. Toutefois, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité du régime allemand au regard, notamment, du principe d’égalité de traitement visé à l’article 4 de ce règlement et du critère de ressources suffisantes exigé à l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive. Or, puisque les champs d’application de ces deux normes dépendent de la nature des mesures en cause, il m’apparaît que la Cour ne pourra faire l’économie de ce travail si elle veut donner une réponse utile à la juridiction de renvoi.

43.      Je vais donc, dans un premier temps, m’attacher à déterminer la nature des prestations de l’assurance de base dont les requérants au principal réclament le bénéfice et dont les motifs de refus ont suscité la demande de décision préjudicielle.

1.      Les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au regard du règlement n° 883/2004

a)      La notion théorique

44.      La notion de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif a été insérée dans le droit de l’Union par le règlement (CEE) n° 1247/92 du Conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (7), et ce afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour selon laquelle certaines prestations prévues par les législations nationales peuvent relever simultanément de la sécurité sociale et de l’assistance sociale (8).

45.      La notion, fruit de la jurisprudence de la Cour, n’est donc pas nouvelle et sa définition est désormais constante. Une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif se définit par sa finalité. Elle doit, premièrement, venir en remplacement ou en complément d’une prestation de sécurité sociale, tout en se distinguant de celle-ci, deuxièmement, présenter le caractère d’une aide sociale justifiée par des raisons économiques et sociales et, troisièmement, être décidée par une réglementation fixant des critères objectifs (9). En outre, elle doit, quatrièmement, présenter un caractère non contributif, en ce sens que la prestation en cause ne doit pas être assurée, directement ou indirectement, par des cotisations sociales mais doit être assurée par des ressources publiques (10), et, cinquièmement, conformément à l’article 70, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 883/2004, être mentionnée à l’annexe X de celui-ci.

46.      Cette définition est à rapprocher du principe dégagé par la Cour de justice sous l’empire du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), et selon lequel «les dispositions dérogatoires au caractère exportable des prestations de sécurité sociale, prévues à l’article 10 bis du règlement n° 1408/71, doivent être interprétées strictement. [Ce qui signifie, par conséquent, que c]ette disposition ne peut viser que les prestations qui satisfont aux conditions fixées à l’article 4, paragraphe 2 bis, du même règlement, à savoir les prestations qui présentent à la fois un caractère spécial et non contributif et qui sont mentionnées à l’annexe II bis dudit règlement» (11).

47.      Les dispositions correspondantes du règlement n° 883/2004, à savoir les articles 3, paragraphe 3, et 70 ainsi que l’annexe X de celui‑ci, ne sont pas de nature à modifier cette appréciation (12).

48.      En conclusion, comme l’a parfaitement synthétisé l’avocat général Wahl à la note en bas de page 8 de ses conclusions dans l’affaire Brey, «une telle prestation [spéciale en espèces à caractère non contributif] doit être de nature auxiliaire par rapport à un des risques visés à l’article 3, paragraphe 1 [du règlement n° 883/2004]. Elle doit apporter à son bénéficiaire un revenu de base dont le montant est fixé au vu de la situation économique et sociale de l’État membre concerné. Elle doit aussi être financée par la fiscalité générale plutôt que par des contributions des bénéficiaires. Enfin, elle doit être énumérée à l’annexe X dudit règlement [...]» (13).

b)      Les prestations de l’assurance de base du SGB II

49.      Les prestations de l’assurance de base prévues par le SGB II comprennent des prestations de subsistance pour Mme Dano ainsi que des allocations sociales et une participation aux frais d’hébergement et de chauffage pour son fils.

50.      Toutes les parties s’accordent pour les qualifier de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens du règlement n° 883/2004.

51.      En effet, si nous reprenons les cinq conditions énumérées au point 45 des présentes conclusions, elles sont mentionnées à l’annexe X du règlement n° 883/2004 (cinquième condition). Leur caractère non contributif est établi (quatrième condition) (14) et il ressort des articles 7 (détermination du bénéficiaire), 8 (définition de l’aptitude à travailler), 9 (définition de l’indigence) et 1er, paragraphes 1 et 3 (fonction et objectifs de l’assurance de base), du SGB II, qu’elles peuvent être considérées comme présentant le caractère d’une aide sociale justifiée par des raisons économiques et sociales (deuxième condition) et qu’elles sont décidées par une réglementation fixant des critères objectifs au sens de la jurisprudence de la Cour précitée (troisième condition) (15).

52.      La première condition, c’est‑à‑dire le caractère auxiliaire de ces prestations par rapport à l’un des risques énumérés limitativement à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, paraît, par contre, moins évident à déterminer.

53.      Selon la Commission, les prestations de l’assurance de base se rapporteraient à des prestations de chômage au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 883/2004. Il s’agirait en effet, selon la Commission, de prestations destinées à remplacer un salaire que ne perçoit pas une personne qui est en état de chômage, tout en étant apte à travailler, afin de subvenir à son entretien.

54.      Le gouvernement allemand estime au contraire que l’assurance de base prévue dans le SGB II ne pourrait être classée dans l’une des branches de sécurité sociale mentionnées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004. Selon ce gouvernement, le régime de l’assurance de base ne serait pas lié au risque de chômage, mais accorderait des prestations à des personnes qui, tout en étant aptes à travailler, se trouvent dans une situation de besoin. Cela ne l’empêche cependant pas de les classer dans les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif (16).

55.      Je retiens des explications fournies par le gouvernement allemand que le système instauré par le SGB II est issu du regroupement de deux régimes antérieurs (l’assistance chômage, d’une part, et l’aide sociale, d’autre part) et qu’il est destiné aux personnes aptes à travailler et aux membres de leur famille.

56.      Je relève également que le gouvernement allemand précise qu’un autre régime d’assistance sociale continue à subsister à côté du SGB II, à savoir l’aide sociale au sens étroit, définie dans le SGB XII.

57.      Il ressort de ces considérations que le caractère mixte du régime instauré par le SGB II (issu de la fusion de deux régimes antérieurs dont l’un était exclusivement consacré à l’assistance chômage), le maintien d’un régime d’aide sociale distinct du SGB II et l’inscription de l’assurance de base à l’annexe X du règlement n° 883/2004 m’incitent à voir également dans ce régime une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif.

2.      Prestation d’assistance sociale au regard de la directive 2004/38

a)      La notion théorique: indépendance par rapport au règlement n° 883/2004

58.      Ce n’est pas parce qu’une prestation n’est pas, au regard du règlement n° 883/2004, une prestation d’assistance sociale qu’elle ne peut pas relever du système d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38.

59.      La possibilité qu’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif au sens du règlement n° 883/2004 puisse également relever de la notion d’«assistance sociale» au sens de la directive 2004/38 était, d’ailleurs, au cœur de l’affaire Brey (17).

60.      L’avocat général Wahl, examinant les objectifs poursuivis par les deux instruments (dont le premier a trait, pour l’essentiel, à la sécurité sociale et le second, globalement, aux libertés de circulation, à la non-discrimination et à la citoyenneté de l’Union), est arrivé à la conclusion que la notion d’«assistance sociale» pouvait ne pas être la même dans les deux textes (18).

61.      La Cour a suivi cette approche en estimant que «la notion de ‘système d’assistance sociale’ figurant à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 ne saurait être réduite [...] aux prestations d’assistance sociale qui, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 883/2004, ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement» (19).

62.      Au contraire, selon elle, la notion de «système d’assistance sociale» au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être déterminée en fonction de l’objectif poursuivi par cette disposition et non par rapport à des critères formels (20). Elle doit dès lors s’interpréter «comme faisant référence à l’ensemble des régimes d’aides institués par des autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, auxquels a recours un individu, qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à des besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (21).

63.      Il résulte toutefois de l’arrêt Vatsouras et Koupatantze (22) que des prestations de nature financière qui, indépendamment de leur qualification dans la législation nationale, sont destinées à faciliter l’accès au marché du travail ne sauraient, en revanche, être considérées comme des «prestations d’assistance sociale» au sens de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

64.      Cette précision me semble importante dans la mesure où l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer avait exprimé, dans ses conclusions, un avis exactement opposé selon lequel «il [pourrait] exister des prestations ‘d’assistance sociale’ du type de celles envisagées par l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 qui favorisent l’intégration au marché du travail» (23).

b)      Les prestations de l’assurance de base du SGB II

65.      Au point 43 de son arrêt Vatsouras et Koupatantze (24), la Cour a émis l’hypothèse que la condition prévue à l’article 7, paragraphe 1, du SGB II, selon laquelle une personne devait être en mesure d’exercer une activité professionnelle pour bénéficier des prestations de l’assurance de base du SGB II, pourrait constituer un indice que les prestations en cause sont destinées à faciliter l’accès à l’emploi.

66.      Si tel était le cas, les prestations de l’assurance de base du SGB II ne pourraient pas, vu la précision rappelée au point 63 des présentes conclusions, être considérées comme des prestations d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38.

67.      Je ne suis cependant pas certain que le critère de l’aptitude à exercer une activité professionnelle doive être considéré comme déterminant, à lui seul, la qualification des prestations au regard de cette directive.

68.      En effet, selon le critère méthodologique retenu par la Cour dans l’arrêt Brey, la notion de «système d’assistance sociale» au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être déterminée en fonction de l’objectif poursuivi par cette disposition et non par rapport à des critères formels (25).

69.      À ce propos, si l’article 19a du SGB I prévoit que tant des prestations visant à assurer la subsistance que des prestations visant l’insertion dans le travail peuvent être revendiquées au titre du droit à l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, l’article 1er, paragraphe 1, du SGB II, intitulé «Fonction et objectif de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi», précise que «l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi vise à permettre à ses bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine».

70.      L’article 1er, paragraphe 3, du SGB II rappelle lui aussi que l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi comprend des prestations visant à mettre fin ou à réduire l’état de besoin, en particulier moyennant l’insertion dans le travail, et à assurer la subsistance.

71.      En outre, selon l’article 19 du SGB II, les prestations en cause couvriraient «les besoins de base, les besoins supplémentaires et les besoins d’hébergement et de chauffage». Les prestations d’aide à l’insertion professionnelle dont il est question dans le cadre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi seraient par contre essentiellement décrites dans le cadre du livre III du code social (Sozialgesetzbuch Drittes Buch). Or, selon la juridiction de renvoi, ces dispositions ne font pas l’objet du présent litige, les demandes des requérants au principal ne concernant pas les prestations d’aide à l’insertion professionnelle.

72.      Les prestations de l’assurance de base en cause dans l’affaire au principal me paraissent donc correspondre à la définition du «système d’assistance sociale», au sens de la directive 2004/38, retenue par la Cour dans l’arrêt Brey, c’est‑à‑dire un régime d’aides institué par une autorité publique et auquel a recours un individu, qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à des besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil, susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (26).

3.      Conclusion intermédiaire quant à la nature des prestations de l’assurance de base

73.      Au terme de cette analyse liminaire, j’arrive à la conclusion que les prestations de l’assurance de base constituent, d’une part, des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens du règlement n° 883/2004 et, d’autre part, des prestations d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38.

74.      Si la Cour devait appréhender, au contraire, les prestations de l’assurance de base comme des prestations d’«assistance sociale» au sens du règlement n° 883/2004, rejetant ainsi la qualification de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, il serait alors inutile de répondre à la première question préjudicielle. En effet, cette question ne vise que l’applicabilité de l’article 4 de ce règlement aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. En outre, l’inutilité de la réponse s’imposerait d’autant plus que l’article 3, paragraphe 5, dudit règlement exclut expressément les prestations d’assistance sociale de son champ d’application.

B –    Sur la première question préjudicielle

75.      Par sa première question, la juridiction de renvoi se demande si l’article 4 du règlement n° 883/2004 s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 de ce règlement.

76.      L’article 3 dudit règlement définit son champ d’application matériel. Il précise expressément, à son paragraphe 3, qu’il «s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70».

77.      Cet article 70 comprend quatre paragraphes. Le premier définit le champ d’application dudit article en donnant une définition des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. Le deuxième précise la définition en énumérant les éléments constitutifs requis. Le quatrième établit le principe selon lequel ces prestations sont octroyées dans l’État de résidence de l’intéressé et conformément à sa législation. Le troisième énonce, enfin, que «[l]’article 7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2 du présent article».

78.      Il ressort donc incontestablement des articles 3, paragraphe 3, et 70, paragraphe 3, du règlement n° 883/2004 que l’article 4 du même règlement s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif.

79.      En effet, l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 883/2004 édicte, expressément et sans aucune exception, que ce règlement s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70. Or, si cet article rend inapplicable aux mêmes prestations, par exception, certaines dispositions dudit règlement, l’article 4 ne figure pas parmi celles-ci.

80.      Cette interprétation correspond, en outre, à la volonté du législateur telle qu’elle est exprimée au septième considérant du règlement n° 1247/92, lequel a, comme je l’ai expliqué précédemment, modifié le règlement n° 1408/71 pour y insérer les dispositions relatives aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif.

81.      Selon ce considérant, les prestations qui relèvent simultanément de la sécurité sociale et de l’assistance sociale, c’est-à-dire les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif «devraient être octroyées [...] uniquement en conformité avec la législation du pays sur le territoire duquel la personne concernée, ou les membres de sa famille résident [...] et en l’absence de toute discrimination sur le fondement de la nationalité» (27).

82.      Il serait par conséquent contraire non seulement à la lettre du règlement n° 883/2004, mais également à la volonté du législateur d’exclure du principe d’égalité de traitement consacré à l’article 4 dudit règlement les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif.

83.      Puisque, pour reprendre les termes de l’article 4 dudit règlement, rien dans celui-ci ne permet d’affirmer qu’il «en dispose autrement», j’estime que, en principe, «les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations [spéciales en espèces à caractère non contributif] et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci».

84.      Je propose donc à la Cour de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi que le champ d’application personnel de l’article 4 du règlement n° 883/2004 comprend les personnes qui revendiquent une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 du règlement n° 883/2004.

85.      Toutefois, je précise d’emblée que cette conclusion ne signifie pas nécessairement que la discrimination invoquée dans le litige au principal est contraire au principe d’égalité tel que prévu à l’article 4 du règlement n° 883/2004.

86.      Cette réflexion est au centre des deuxième et troisième questions posées par la juridiction de renvoi. Je les examinerai donc conjointement.

C –    Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

1.      L’objet des deuxième et troisième questions et les règles applicables

87.      Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle des ressortissants d’un autre État membre, économiquement non actifs, sont exclus, totalement ou partiellement, du bénéfice de certaines prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens du règlement n° 883/2004, alors que ces prestations devraient être garanties aux ressortissants de l’État membre concerné qui se trouvent dans la même situation.

88.      Outre le principe d’égalité de traitement prévu à l’article 4 du règlement n° 883/2004, la juridiction de renvoi invoque également l’article 18 TFUE, l’article 20, paragraphe 2, sous a), et second alinéa, TFUE ainsi que l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

89.      L’article 18 TFUE interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité «[d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient». L’article 20, paragraphe 2, second alinéa, TFUE précise quant à lui, expressément, que les droits que confère cet article aux citoyens de l’Union s’exercent «dans les conditions et limites définies par les traités et les mesures adoptées en application de ceux-ci». J’ajoute que l’article 21, paragraphe 1, TFUE subordonne, lui aussi, le droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres au respect des «limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application».

90.      Or, le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 constituent de telles conditions ou limitations, adoptées en exécution des traités ou pour assurer leur application (28).

91.      Par conséquent, ils me paraissent être les seuls instruments utiles pour répondre aux deuxième et troisième questions, à cela près que, à mon sens, l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive n’est pas pertinent dans le cas d’espèce soumis à la juridiction de renvoi.

92.      En effet, il semble ressortir du dossier que la requérante au principal n’est pas entrée en Allemagne pour chercher du travail et qu’elle ne s’efforce pas d’y trouver un emploi. Or, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 permet aux États membres de ne pas accorder le droit à une prestation d’assistance sociale à des personnes «autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille», et ce pendant les trois premiers mois de séjour ou pendant la période de recherche d’emploi qui se prolonge au-delà de cette première période (29). Puisque Mme Dano est en Allemagne depuis plus de trois mois, qu’elle ne cherche pas de travail et qu’elle n’est pas entrée dans ce pays pour en trouver, elle ne relève pas du champ d’application personnel de cette disposition. En revanche, sa situation est visée par l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, relatif à l’exigence de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

2.      La portée des deuxième et troisième questions préjudicielles au regard de la jurisprudence de la Cour

a)      La possibilité de restreindre la portée du principe d’égalité de traitement

93.      L’existence éventuelle d’une inégalité de traitement entre les citoyens de l’Union ayant fait usage de leur liberté de circulation et de séjour et les ressortissants de l’État membre d’accueil est une conséquence inévitable de la directive 2004/38.

94.      Comme le relevait déjà l’avocat général Wahl au point 38 de ses conclusions dans l’affaire Brey, «[a]lors que l’objectif principal de la directive 2004/38 est de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union, l’objectif particulier de l’article 7, paragraphe 1, sous b), [de cette directive] est de garantir que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. Cela indique que cette disposition cherche à empêcher que des citoyens de l’Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l’État membre d’accueil pour financer leurs moyens d’existence» (30).

95.      La Cour partage l’analyse de l’avocat général Wahl. Elle estime en effet, au point 57 de son arrêt (31), que, «si le règlement n° 883/2004 vise à garantir aux citoyens de l’Union qui ont fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs le maintien du droit à certaines prestations de sécurité sociale octroyées par leur État membre d’origine, la directive 2004/38 permet, pour sa part, à l’État membre d’accueil d’imposer aux citoyens de l’Union, lorsqu’ils n’ont pas ou plus la qualité de travailleur, des restrictions légitimes en ce qui concerne l’octroi de prestations sociales afin que ceux-ci ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État membre».

96.      Dans ce cadre, il résulte nécessairement du rapport qu’a établi le législateur de l’Union à l’article 7 de la directive 2004/38 entre l’exigence de ressources suffisantes comme condition de séjour, d’une part, et le souci de ne pas créer une charge pour le système d’assistance sociale des États membres, d’autre part, une potentialité d’inégalité de traitement dans l’octroi des prestations d’assistance sociale entre les ressortissants de l’État membre d’accueil et les autres citoyens de l’Union.

97.      La question au centre de la présente affaire me semble, dès lors, être celle de la légalité, au regard de la directive 2004/38 et du principe de proportionnalité, d’une exclusion générale du bénéfice de l’assistance sociale des ressortissants d’autres États membres qui sont entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil afin, pour reprendre les termes de l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII, «d’obtenir de l’aide sociale ou dont le droit de séjour découle du seul objectif de la recherche d’un emploi».

b)      Une tentative de synthèse de la jurisprudence existante de la Cour

98.      Confronté à un problème similaire dans l’affaire Brey – la législation nationale en cause dans cette affaire subordonnait le droit à une prestation d’assistance sociale à un séjour régulier sur le territoire de cet État membre – l’avocat général Wahl s’est montré catégorique, en affirmant que, «[a]ux termes de la directive 2004/38, il pourrait sembler justifié qu’un État membre protège son système d’assistance sociale en ce qui concerne les citoyens de l’Union inactifs qui n’ont pas encore obtenu le droit de séjour permanent. Néanmoins, [...] des dispositions qui font dépendre le droit de séjour du fait de ne pas avoir recours au système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil et qui ne prévoient pas une appréciation individuelle des capacités économiques d’un citoyen de l’Union ne sont pas compatibles avec les articles 8, paragraphe 4, et 14, paragraphe 3, de la directive 2004/38» (32).

99.      Force est de constater que la Cour suit cette interprétation de la directive 2004/38 lorsqu’elle décide, au point 77 de l’arrêt Brey (33), qu’une «exclusion automatique par l’État membre d’accueil des ressortissants d’autres États membres économiquement non actifs du bénéfice d’une prestation sociale donnée [...] ne permet pas aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, lorsque les ressources de l’intéressé sont inférieures au montant de référence pour l’octroi de cette prestation, de procéder, conformément aux exigences découlant, notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), et 8, paragraphe 4, de cette directive, ainsi que du principe de proportionnalité, à une appréciation globale de la charge que représenterait concrètement l’octroi de cette prestation sur l’ensemble du système d’assistance sociale en fonction des circonstances individuelles caractérisant la situation de l’intéressé».

100. La conclusion à laquelle l’arrêt Brey aboutit s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure de la Cour relative à la question des prestations d’assistance sociale.

101. Dans l’arrêt Grzelczyk (34), la Cour a notamment décidé que les articles 6 CE et 8 CE (devenus articles 18 TFUE et 20 TFUE) s’opposaient à ce qu’une prestation sociale d’un régime non contributif soit subordonnée, en ce qui concerne les ressortissants d’États membres autres que l’État membre d’accueil sur le territoire duquel lesdits ressortissants séjournent légalement, à la condition que ces derniers entrent dans le champ d’application du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs, alors même qu’aucune condition de cette nature ne s’applique aux ressortissants de l’État membre d’accueil.

102. L’aboutissement le plus extrême de cette jurisprudence se trouve sans doute dans l’arrêt Trojani (35) où la Cour, après avoir affirmé qu’un citoyen de l’Union qui ne bénéficie pas dans l’État membre d’accueil d’un droit de séjour au titre des articles 45 TFUE, 49 TFUE ou 56 TFUE peut, en sa seule qualité de citoyen de l’Union, y bénéficier d’un droit de séjour par application directe de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, a ajouté «[qu’]une fois vérifié qu’une personne se trouvant dans une situation telle que celle du requérant au principal dispose d’une carte de séjour, cette personne peut se prévaloir de l’article [18 TFUE] afin de se voir accorder le bénéfice d’une prestation d’assistance sociale».

c)      Confrontation de la jurisprudence au cas d’espèce, à la ratio legis et au texte de la directive 2004/38

103. La confrontation de la jurisprudence de la Cour au cas d’espèce ainsi qu’à la ratio legis et au texte de la directive 2004/38 m’interpelle (36).

104. La directive 2004/38 subordonne expressément le droit de séjour de plus de trois mois d’un citoyen de l’Union qui n’est pas un travailleur (salarié ou non salarié) à la double condition qu’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour ainsi que d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil (37).

105. Sauf à mettre en cause la validité de ladite directive au regard des articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE, il me semble donc légitime qu’un État membre puisse refuser l’octroi de prestations d’assistance sociale à des citoyens qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but d’obtenir le bénéfice de l’aide sociale d’un autre État membre alors même qu’ils ne disposent pas des ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d’un droit de séjour de plus de trois mois.

106. Leur refuser ce droit entraînerait la conséquence qu’un ressortissant d’un État membre qui n’a pas, lors de son arrivée sur le territoire d’un autre État membre, les ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins, en disposerait, automatiquement et de facto, par l’octroi d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif dont le but est d’assurer la subsistance du bénéficiaire en lui permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine.

107. L’application cumulée des deux normes de droit dérivé que sont le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 aboutirait, s’ils étaient interprétés comme empêchant l’exclusion générale des ressortissants des États membres autres que l’État membre d’accueil du bénéfice d’une prestation d’assistance sociale de ce type, à annihiler la volonté manifestée par le législateur dans ladite directive.

108. En effet, selon le considérant 10 de la directive 2004/38, il convient d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil, ce qui implique que «[l]’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à des conditions». Le considérant 21 ajoute que l’État membre d’accueil «devrait [par conséquent] être libre de déterminer s’il entend accorder aux personnes autres que celles qui exercent une activité salariée ou non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres de leur famille[,] des prestations d’assistance sociale au cours des trois premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des demandeurs d’emploi».

109. J’ajoute que, si l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2004/38 autorise le droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille pendant les trois premiers mois (38), «tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil», son article 7, paragraphe 1, sous b), impose, quant à lui, au citoyen de l’Union, qui a exercé sa liberté de circulation et qui souhaite rester sur le territoire de l’État d’accueil plus de trois mois, de disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil sans exiger que celle-ci soit «déraisonnable».

110. Le considérant 16 de la directive 2004/38, qui explicite l’idée sous-jacente à la condition de ressources suffisantes nécessaires au maintien du droit de séjour, associe d’ailleurs l’expression «charge déraisonnable» à l’ensemble des «bénéficiaires du droit de séjour». Ces derniers sont donc envisagés collectivement.

111. À ce propos, je partage l’opinion de l’avocat général Wahl lorsqu’il constate qu’«[u]ne simple demande d’assistance sociale ne peut pas en elle-même constituer une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil et provoquer une perte du droit de séjour» (39). Il est, en effet, difficilement concevable que l’aide accordée à un seul demandeur puisse être insupportable pour un État membre, si petit soit-il. C’est donc nécessairement la conséquence globale éventuelle de toutes les demandes individuelles que le législateur avait à l’esprit en permettant aux États membres d’exiger de chaque demandeur de séjour qu’il établisse qu’il dispose de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète pour séjourner plus de trois mois sur le territoire d’un État membre autre que celui dont il est le ressortissant.

112. J’éprouve par conséquent certaines difficultés à concilier ces considérations avec l’idée, développée dans le même point des conclusions rendues dans l’affaire Brey, selon laquelle, «des dispositions qui font dépendre le droit de séjour du fait de ne pas avoir recours au système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil et qui ne prévoient pas une appréciation individuelle des capacités économiques d’un citoyen de l’Union ne sont pas compatibles avec [...] la directive 2004/38».

113. En effet, ce raisonnement me paraît susceptible de conduire à une impasse. La directive 2004/38 subordonne le droit de séjour à la double condition objective de disposer de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète. De deux choses l’une: soit le citoyen de l’Union dispose de ressources suffisantes et il peut alors séjourner sur le territoire de l’État membre de son choix et n’aura pas besoin, par le fait même de disposer de ressources suffisantes, de recourir à des prestations d’assistance sociale dont l’objet est d’assurer un minimum vital, soit il ne dispose pas de ressources suffisantes et il remplit alors théoriquement les conditions pour obtenir le bénéfice de ce type de prestations d’assistance sociale, mais il ne peut alors séjourner dans un État membre autre que celui dont il est le ressortissant au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38. Empêcher les États membres d’exclure ce type de situations du bénéfice de l’assistance sociale conduit à ce que la condition de ressources suffisantes soit artificiellement remplie dans le chef du citoyen de l’Union qui se déplace dans le seul but d’obtenir l’aide sociale d’un État membre autre que celui dont il est le ressortissant.

114. Une interprétation du règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38 dans la ligne de la jurisprudence de la Cour (40) me paraît également susceptible de conduire à une situation paradoxale au regard de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive.

115. Si l’article 24, paragraphe 1, de ladite directive proclame le principe de l’égalité de traitement, le paragraphe 2 y déroge en autorisant, expressément, l’État membre d’accueil à refuser le droit à une prestation d’assistance sociale aux chercheurs d’emploi.

116. Par conséquent, si la Cour devait considérer une réglementation telle celle en cause au principal contraire au droit de l’Union, nous aboutirions à une situation où le ressortissant d’un État membre ayant utilisé son droit à la libre circulation en tant que citoyen de l’Union, sans volonté de s’intégrer dans le marché du travail de l’État membre d’accueil, se trouverait dans une situation plus favorable que le ressortissant d’un État membre ayant quitté son pays d’origine pour rechercher un emploi dans un autre État membre. En effet, le second pourrait se voir refuser l’octroi d’une prestation d’assistance sociale sur la base d’une réglementation adoptée conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, alors que le premier ne le pourrait que sur la base d’un examen approfondi de sa situation personnelle (41).

117. Je terminerai ces réflexions relatives à la cohérence du système mis en place par la directive 2004/38 en évoquant l’idée selon laquelle l’octroi d’une prestation d’assistance sociale pèse nécessairement sur le système d’assistance sociale. En effet, cette conséquence découle de la définition même du système d’assistance sociale retenue par la Cour, celle-ci l’appréhendant comme «l’ensemble des régimes d’aides institués par des autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, auxquels a recours un individu, qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à des besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (42).

118. Au vu de ces considérations, la réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut du bénéfice d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, au sens du règlement n° 883/2004 (par ailleurs constitutive d’une prestation d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38), les personnes qui se rendent sur le territoire dudit État membre dans le seul but de bénéficier de cette mesure ou de rechercher un emploi, ne me paraît pas aller à l’encontre de l’article 4 du règlement n° 883/2004, ni du système mis en place par la directive 2004/38.

119. Elle permet, au contraire, d’éviter, comme le prescrit l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, qu’un citoyen de l’Union devienne «une charge pour le système d’assistance sociale» dans la mesure où il ne dispose pas de ressources suffisantes pour subvenir, par ses propres moyens, à ses besoins.

3.      Est-il possible de distinguer l’affaire Brey de l’affaire au principal?

120. Dans la présente affaire, les débats se sont centrés sur les conséquences de l’arrêt Brey. Au vu des réflexions qui précèdent, ne conviendrait-il pas de distinguer les deux affaires?

121. Dans l’affaire Brey, la loi autrichienne subordonnait l’octroi de la prestation d’assistance sociale à la régularité du séjour, laquelle impose au-delà des trois premiers mois, comme je l’ai déjà rappelé, soit d’être un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, soit de disposer de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, ainsi que d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil (43).

122. Dans une telle hypothèse, l’exigence d’un examen individuel s’imposait au regard de l’économie générale de la directive 2004/38. Il serait en effet contraire à celle-ci d’autoriser une exclusion automatique du bénéfice d’une prestation sociale par une référence générale et abstraite à la régularité du séjour alors que, pour apprécier cette régularité, l’article 8 de ladite directive interdit expressément aux États membres de fixer le montant des ressources qu’ils considèrent comme suffisantes et leur impose de tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée, et que l’article 14, paragraphe 3, de celle-ci précise que le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ne peut entraîner une mesure d’éloignement automatique.

123. À l’inverse, l’article 7, paragraphe 1, point 2 de la deuxième phrase, du SGB II et l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII ne font pas référence à la régularité du séjour du demandeur mais refusent l’octroi de prestations d’assistance sociale aux personnes dont le droit de séjour découlerait du seul objectif de la recherche d’un emploi ou de l’obtention de l’aide sociale.

124. L’octroi de la prestation d’assistance sociale est, avec une telle réglementation, indépendante de la régularité du séjour du demandeur au regard de la directive 2004/38. Pour reprendre les termes de l’arrêt Grzelczyk (44), il ne dépend pas, stricto sensu, de la condition d’entrer dans le «champ d’application» de la directive 2004/38.

125. Cette distinction me paraît toutefois, si ce n’est artificielle, à tout le moins ténue. En effet, si, comme le représentant du gouvernement allemand l’a confirmé lors de l’audience, la réglementation allemande ne lie pas formellement la régularité du séjour et le bénéfice des prestations de subsistance, il est toutefois probable que le séjour des requérants au principal soit précarisé en cas d’exclusion du bénéfice des prestations de subsistance.

4.      L’exigence légitime d’un lien réel avec l’État membre d’accueil

126. Une dernière analyse me semble toutefois devoir être effectuée au regard du principe de proportionnalité. Il faut en effet s’interroger sur la relation qui unit le critère général utilisé par la législation allemande et l’existence d’un lien «réel» entre les personnes visées par son champ d’application et l’État membre d’accueil.

127. Je constate que, en matière de frais d’entretien d’étudiants par exemple, la Cour a admis, à plusieurs reprises, que, si les États membres devaient faire preuve, dans l’organisation et l’application de leur système d’assistance sociale, d’une certaine solidarité financière avec les ressortissants d’autres États membres, il leur était permis de veiller à ce que l’octroi de telles aides à des étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État. Dans cette optique, la Cour a estimé qu’il était légitime pour un État membre de n’octroyer ce type d’aides qu’aux étudiants qui ont démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État (45).

128. La Cour a adopté une attitude similaire en ce qui concerne des allocations d’attente accordées aux jeunes à la recherche d’un premier emploi ou d’une allocation de recherche d’emploi. Dans ces hypothèses, la Cour a en effet également jugé légitime pour le législateur national de vouloir s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause (46).

129. Il découle de cette jurisprudence que le droit aux prestations d’assistance sociale des citoyens de l’Union, économiquement non actifs, requiert en général une certaine exigence d’intégration dans l’État membre d’accueil.

130. Ces préoccupations légitimes se reflètent dans les considérants 10 et 21 de la directive 2004/38, rappelés précédemment, selon lesquels il convient, d’une part, «d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour» et, d’autre part, de laisser l’État membre d’accueil «libre de déterminer s’il entend accorder aux personnes autres que celles qui exercent une activité salariée ou non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres de leur famille des prestations d’assistance sociale au cours des trois premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des demandeurs d’emploi».

131. En l’espèce, en refusant les prestations de l’assurance de base à des personnes qui viennent en Allemagne dans le seul but de bénéficier du régime d’assistance sociale de cet État membre et qui ne cherchent nullement à s’intégrer sur le marché de l’emploi, la réglementation nationale me paraît s’inscrire dans la volonté du législateur de l’Union. Elle permet d’éviter que les personnes qui exercent leur liberté de circulation sans volonté d’intégration ne deviennent une charge pour le système d’assistance sociale. Elle est en outre conforme à la marge de manœuvre laissée aux États membres en la matière. En d’autres termes, elle permet d’éviter les abus et une certaine forme de «tourisme social» (47).

132. Je relève également que la Cour, il est vrai dans un domaine différent, a jugé qu’«il ne saurait, en règle générale, être requis qu’une mesure [...] impose de procéder à un examen individuel de chaque cas particulier [...], dans la mesure où la gestion du régime concerné doit rester viable d’un point de vue technique et économique» (48). Elle a également admis qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier certaines entraves aux libertés fondamentales (49). C’est également cette idée qui se trouve derrière la possibilité laissée aux États membres de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (50).

133. Si la juridiction de renvoi ne nous donne pas d’informations précises sur l’existence d’un tel risque, elle invoque néanmoins les limites des systèmes d’assurance de base financés par les contributions fiscales au regard des montants en jeu, lesquels pourraient constituer une incitation à l’immigration pour des citoyens de l’Union dont le revenu moyen est largement inférieur.

134. Il est en outre probable que, dans des circonstances comme celles de l’affaire au principal, le recours au régime d’assistance sociale ne soit pas temporaire mais se prolonge de façon indéterminée au vu de l’absence totale de recherche d’emploi.

135. En conclusion, le critère choisi par la législation en cause dans l’affaire au principal – à savoir se rendre sur le territoire allemand dans le seul but de chercher un emploi ou de bénéficier de l’aide sociale – est de nature à démontrer l’absence de lien réel avec le territoire de l’État membre d’accueil et d’intégration dans celui-ci. Il permet d’assurer la viabilité économique du régime et de ne pas mettre en danger son équilibre financier. La législation poursuit donc un objectif légitime au sens de la jurisprudence précitée.

136. La condition choisie me paraît, de plus, proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national.

137. Pour refuser l’octroi des prestations de l’assurance de base, les autorités de l’État membre devront nécessairement, dans une certaine mesure, examiner la situation personnelle du demandeur afin de déterminer s’il entre dans l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 2 de la deuxième phrase, du SGB II ou à l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII.

138. Le champ d’application limité de cette exception écarte également le risque d’une mesure d’éloignement automatique en raison de la seule demande d’une prestation d’assistance sociale, mesure proscrite par l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2004/38.

139. Par conséquent, au vu de ce qui précède, j’estime qu’il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles que le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 ne s’opposent pas au choix d’un législateur national d’exclure du bénéfice d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif les ressortissants des autres États membres sur la base d’un critère général, comme le motif de l’arrivée sur le territoire de l’État membre d’accueil, susceptible de démontrer l’absence de lien réel avec cet État, et ce afin d’éviter une charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale.

140. Je précise encore, à toutes fins utiles, que cette constatation n’affecte pas la faculté des États membres d’octroyer, s’ils le souhaitent, des prestations telles que celles prévues par l’assurance de base en cause au principal, dans des conditions plus favorables.

D –    Sur la quatrième question préjudicielle

141. Par sa quatrième et dernière question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er, 20 et 51 de la Charte imposent aux États membres d’octroyer aux citoyens de l’Union des prestations en espèces à caractère non contributif de nature à rendre possible un séjour permanent.

142. L’article 1er de la Charte proclame l’inviolabilité de la dignité humaine, et l’article 20 l’égalité en droit.

143. Il convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union européenne (51).

144. Or, selon l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union». De plus, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la Charte, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière (52).

145. En l’espèce, comme l’a confirmé la Cour dans l’arrêt Brey, l’article 70 du règlement n° 883/2004, qui définit la notion de prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, «n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit [à de telles prestations]. Il appartient [au contraire] en principe à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions» (53). L’article 70, paragraphe 4, du règlement n° 883/2004 énonce uniquement «une règle de conflit» (54).

146. Si les États membres sont compétents pour fixer les conditions d’octroi des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, il m’apparaît qu’ils le sont également pour définir l’étendue de la couverture sociale assurée par ce type de prestations.

147. Par conséquent, lorsque les États membres déterminent les conditions et l’étendue de prestations spéciales en espèce à caractère non contributifs, ils ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union.

148.  Il s’ensuit que la compétence de la Cour pour répondre à la quatrième question n’est pas établie.

149. En outre, le principe d’égalité de traitement visé à l’article 20 de la Charte est également énoncé aux articles 20 TFUE et 21 TFUE. Comme je l’ai écrit au point 90 des présentes conclusions, le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 précisent le sens et la portée du principe d’égalité consacré par ces dispositions.

150. En vertu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits qu’elle reconnaît et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci.

151. Puisque les deuxième et troisième questions préjudicielles ont trait aux normes de droit dérivé qui définissent les conditions et les limites des droits protégés par les articles 20 TFUE et 21 TFUE, leur analyse me semble suffisante pour apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi (55).

V –    Conclusion

152. Eu égard aux considérations qui précèdent, j’invite la Cour à répondre aux questions posées à titre préjudiciel par le Sozialgericht Leipzig de la manière suivante:

1)      Le champ d’application personnel de l’article 4 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, comprend les personnes qui revendiquent une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 dudit règlement.

2)      Le règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 988/2009, et la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, ne s’opposent pas au choix du législateur national d’exclure du bénéfice d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif les ressortissants des autres États membres sur la base d’un critère général, comme le motif de l’arrivée sur le territoire de l’État membre d’accueil, susceptible de démontrer l’absence de lien réel avec cet État, et ce afin d’éviter une charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale.

3)      La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour répondre à la quatrième question préjudicielle.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 166, p. 1.


3 – JO L 284, p. 43.


4 – JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34.


5 – La juridiction de renvoi précise encore que Mme Dano a été condamnée à une peine privative de liberté maximale de deux ans avec sursis pour des délits contre les biens et la propriété. J’estime toutefois que ces précisions factuelles n’ont aucune incidence sur les réponses à apporter aux questions préjudicielles posées.


6 – C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344.


7 – JO L 136, p. 1.


8 –      Voir, en ce sens, le troisième considérant du règlement n° 1247/92.


9 –      Voir, parmi de nombreux exemples, arrêts Skalka (C‑160/02, EU:C:2004:269, point 25 et jurisprudence citée) ainsi que Commission/Parlement et Conseil (C‑299/05, EU:C:2007:608, point 55 et jurisprudence citée).


10 –      Voir, en ce sens, arrêt Skalka (EU:C:2004:269, point 28) et, pour un exemple d’application, arrêt Jauch (C‑215/99, EU:C:2001:139, point 33).


11 –      Arrêts Jauch (EU:C:2001:139, point 21) et Skalka (EU:C:2004:269, point 19).


12 –      Voir, en ce sens, arrêt Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 36).


13 –      C‑140/12, EU:C:2013:337, note en bas de page 8. C’est moi qui souligne.


14 –      Selon les observations écrites du gouvernement allemand, ces prestations sont octroyées indépendamment de l’exercice d’une activité antérieure ou du paiement de cotisations.


15 –      Voir point 45 des présentes conclusions.


16 –      De façon quelque peu paradoxale, le gouvernement allemand conclut que, si les prestations de l’assurance de base peuvent être octroyées à des personnes sans emploi et présenter ainsi, a priori, les caractéristiques de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, il s’agirait en réalité de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens de l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement.


17 –      Arrêt Brey (EU:C:2013:565).


18 –      Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Brey (EU:C:2013:337, point 56).


19 –      Arrêt Brey (EU:C:2013:565, point 58).


20 – Ibidem (point 60 et jurisprudence citée).


21 – Ibidem (point 61 et jurisprudence citée).


22 –      EU:C:2009:344, point 45.


23 –      Conclusions dans l’affaire Vatsouras et Koupatantze (C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:150, point 57).


24 –      EU:C:2009:344.


25 –      EU:C:2013:565, point 60.


26 –      Voir, en ce sens, arrêt Brey (EU:C:2013:565, point 61).


27 – C’est moi qui souligne.


28 –      Voir en ce sens, à propos de l’article 21 TFUE et de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, arrêt Brey (EU:C:2013:565, points 46 et 47).


29 –      L’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 renvoie à l’article 14, paragraphe 4, sous b), de cette directive, selon lequel les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement (sous réserve des limitations du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique développées au chapitre VI de ladite directive) lorsqu’ils sont entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil pour y chercher un emploi, et ce tant qu’ils sont en mesure de faire la preuve qu’ils continuent à chercher un emploi et qu’ils ont des chances réelles d’être engagés.


30 –      EU:C:2013:337. C’est moi qui souligne.


31 –      Arrêt Brey (EU:C:2013:565).


32 –      EU:C:2013:337, point 81.


33 – EU:C:2013:565.


34 –      C‑184/99, EU:C:2001:458, point 46.


35 – C‑456/02, EU:C:2004:488, point 46. Si l’arrêt a été rendu postérieurement à l’adoption de la directive 2004/38, les faits en cause dans cette affaire et la demande de décision préjudicielle sont largement antérieurs à celle-ci.


36 –      La doctrine s’est également interrogée à ce sujet. À propos de la jurisprudence de la Cour relative aux articles 18 TFUE et 21 TFUE et à la directive 2004/38, O. Golynker a notamment écrit que «[t]he peculiar consequence of this line of reasoning is that once the construct of lawful residence becomes disjointed from the requirement to meet the conditions to which the right of residence is subject, the conditional nature of the right to residence under Art. [21 TFEU] becomes neutralised by the right to equal treatment under Art. [18 TFEU]. As a result, the coherence of the concept of the right to free movement and residence in Community law is called into question. The Court’s generous interpretation of the right to equal treatment for Union citizens lawfully resident in the territory of another Member State seems to be in conflict with the conditional nature of the right to free movement and residence under Art. [21 TFEU]» [Golynker, O., «Jobseekers’ rights in the European Union: challenges of changing the paradigm of social solidarity», European Law Review, 2005, 30 (1), p. 111 à 122, spécialement p. 120].


37 –      Article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.


38 –      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2004/38 renvoie en effet à l’article 6 de celle-ci, lequel règle le droit de séjour jusqu’à une durée de trois mois.


39 –      EU:C:2013:337, point 81, souligné par l’avocat général Wahl.


40 –      Essentiellement antérieure à l’adoption de la directive 2004/38.


41 –      À propos de la relation entre l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 et la jurisprudence de la Cour (plus particulièrement l’arrêt Collins, C‑138/02, EU:C:2004:172), O. Golynker écrit «[t]he above provision is not in tune with the ruling in Collins and shows that the generous interpretation by the Court of Justice of the consequences of Union citizenship for social solidarity in general and the rights of jobseekers in particular does not accord with what the Member States assumed when they signed the Maastricht Treaty» (O. Golynker, op. cit., p. 119; c’est moi qui souligne).


42 –      Arrêt Brey (EU:C:2013:565, point 61). C’est moi qui souligne.


43 –      Article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38.


44 – EU:C:2001:458, point 46.


45 – Voir, en ce sens, arrêts Bidar (C‑209/03, EU:C:2005:169, points 56 et 57) ainsi que Förster (C‑158/07, EU:C:2008:630, points 48 et 49).


46 –      Voir, en ce sens, arrêts Collins (EU:C:2004:172, point 67) ainsi que Vatsouras et Koupatantze (EU:C:2009:344, point 38).


47 –      «In essence, this requirement of genuine integration is used by Union institutions to manage tension between the right of migrant citizens to transnational solidarity and the power of Member States to shape their social security system and prevent ‘abuses of host law’ in the form of benefit tourism» (A. Sayde, «One Law, two Competitions: An Enquiry into the Contradictions of Free Movement Law», Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2010-2011, vol. 13, p. 365 et suiv., spécialement p. 395).


48 –      Arrêt Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, point 70). Il s’agissait, dans ce cas d’espèce, d’un régime de mise en disponibilité dont les fonctionnaires ayant atteint l’âge leur permettant de bénéficier d’une pension de retraite étaient exclus en raison de cette seule circonstance.


49 –      Voir, en ce sens, arrêt Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, point 41).


50 –      Voir, en ce sens, arrêts Bidar (EU:C:2005:169, point 59) ainsi que Förster (EU:C:2008:630, point 48).


51 –      Voir, en ce sens et parmi de très nombreux exemples, ordonnance Vino (C‑161/11, EU:C:2011:420, points 25 et 37).


52 – Voir, en ce sens, arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 17 et 23).


53 – Arrêt Brey (EU:C:2013:565, point 41).


54 – Ibidem (point 39).


55 – Voir en ce sens, à propos de l’incidence sur la réponse à donner à une demande de décision préjudicielle de la consécration de la libre circulation des travailleurs par l’article 15, paragraphe 2, de la Charte et l’article 45 TFUE, arrêt Gardella (C‑233/12, EU:C:2013:449, points 39 et 41).