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ARRÊT DE LA COUR

12 mai 1998 (1)

«Articles 8 A, 48 et 51 du traité CE — Notion de 'travailleur‘ — Article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 — Allocation d'éducation — Notion de 'prestation familiale‘ — Article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 — Notion d''avantage social‘ — Exigence de possession d'une carte ou d'un titre de séjour»

Dans l'affaire C-85/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Bayerisches Landessozialgericht (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

María Martínez Sala

et

Freistaat Bayern,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 1er, 2, 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se

déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989 (JO L 331, p. 1), ainsi que de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward (rapporteur), J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. A. La Pergola,


greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

—     pour Mme Martínez Sala, par M. Antonio Pérez Garrido, «Leiter der Rechtsstelle» à l'ambassade espagnole à Bonn,

—    pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,

—    pour le gouvernement espagnol, par M. D. Luis Pérez de Ayala Becerril, abogado del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agent,

—    pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Peter Hillenkamp, conseiller juridique, et Klaus-Dieter Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Martínez Sala, représentée par M. Antonio Pérez Garrido, du gouvernement allemand, représenté par M. Ernst Röder, du gouvernement espagnol, représenté par M. D. Luis Pérez de Ayala Becerril, du gouvernement français, représenté par M. Claude Chavance, secrétaire des affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. Stephen Richards, barrister, et de la Commission, représentée par M. Klaus-Dieter Borchardt, à l'audience du 15 avril 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 1er juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 2 février 1996, parvenue à la Cour le 20 mars suivant, le Bayerisches Landessozialgericht a posé, en application de l'article 177 du traité CE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 1er, 2, 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989 (JO L 331, p. 1), ainsi qu'à l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Martínez Sala au Freistaat Bayern au sujet du refus de ce dernier de lui octroyer une allocation d'éducation pour son enfant.

Le droit communautaire

3.
    Le règlement n° 1612/68 prévoit, en son article 7, paragraphe 2, que le travailleur ressortissant d'un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

4.
    Conformément à l'article 1er, sous a), i), du règlement n° 1408/71, le terme «travailleur» désigne, aux fins de l'application de ce règlement, toute personne «qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale s'appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés». L'article 2 prévoit que le règlement s'applique «aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres».

5.
    Selon l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, «Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.»

6.
    Aux termes de son article 4, paragraphe 1, sous h), le règlement n° 1408/71 s'applique «à toutes les législations relatives aux ... prestations familiales». Selon son article 1er, sous u), i), sont des «prestations familiales» «toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d'une législation prévue à l'article 4, paragraphe 1, sous h), à l'exclusion des allocations spéciales de naissance mentionnées à l'annexe II».

7.
    Selon l'annexe I, point I — «Travailleurs salariés et/ou travailleurs non salariés [article 1er, sous a), ii) et iii), du règlement]» —, C («Allemagne»), du règlement n° 1408/71,

«Si une institution allemande est l'institution compétente pour l'octroi des prestations familiales, conformément au titre III, chapitre 7, du règlement, est considérée au sens de l'article 1er, sous a), ii), du règlement:

a)    comme travailleur salarié, la personne assurée à titre obligatoire contre le risque de chômage ou la personne qui obtient, à la suite de cette assurance, des prestations en espèces de l'assurance maladie ou des prestations analogues;

b)    comme travailleur non salarié, la personne qui exerce une activité non salariée et qui est tenue:

    —    de s'assurer ou de cotiser pour le risque vieillesse dans un régime de travailleurs non salariés

    ou

    —    de s'assurer dans le cadre de l'assurance pension obligatoire.»

La réglementation allemande et la convention européenne d'assistance sociale et médicale

8.
    En Allemagne, l'allocation d'éducation est une prestation non contributive qui s'inscrit dans un ensemble de mesures en matière de politique familiale et qui est octroyée en application du Bundeserziehungsgeldgesetz du 6 décembre 1985 (loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation, BGBl. I, p. 2154, ci-après le «BErzGG»).

9.
    Dans sa version du 25 juillet 1989 (BGBl. I, p. 1550), modifiée par la loi du 17 décembre 1990 (BGBl. I, p. 2823), le BErzGG prévoit, en son article 1er, paragraphe 1, que peut prétendre à l'allocation d'éducation toute personne: 1) ayant son domicile ou son lieu de résidence ordinaire sur le territoire relevant de cette loi, 2) ayant dans son ménage un enfant dont elle a la charge, 3) assurant la garde et l'éducation de cet enfant et 4) n'exerçant pas d'activité ou d'activité professionnelle à plein temps.

10.
    Sous la lettre a) de l'article 1er, paragraphe 1, le BErzGG énonce que «tout étranger qui veut bénéficier de l'allocation doit posséder une autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) ou un titre de séjour (Aufenthaltserlaubnis)». La juridiction de renvoi relève que, selon une jurisprudence constante du Bundessozialgericht, seul celui qui produit un document de l'Office des étrangers attestant en bonne et due forme le droit de séjour dès le début de la période de prestation est «en possession» d'une autorisation de séjour; la simple attestation qu'une demande de titre de séjour a été introduite et que le séjour est donc autorisé ne suffit pas pour que la personne concernée soit considérée comme étant en possession d'une autorisation de séjour au sens de la disposition précitée.

11.
    Selon l'article 1er de la convention européenne d'assistance sociale et médicale, adoptée par le Conseil de l'Europe le 11 décembre 1953 et en vigueur depuis 1956 en Allemagne et depuis 1983 en Espagne, «chacune des Parties Contractantes s'engage à faire bénéficier les ressortissants des autres Parties Contractantes, en séjour régulier sur toute partie de son territoire auquel s'applique la présente Convention et qui sont privés de ressources suffisantes, à l'égal de ses propres ressortissants et aux mêmes conditions, de l'assistance sociale et médicale prévue par la législation en vigueur dans la partie du territoire considéré.»

12.
    Aux termes de l'article 6, sous a), de cette convention, «une Partie Contractante ne peut rapatrier un ressortissant d'une autre Partie Contractante, résidant en séjour régulier sur son territoire, pour le seul motif que l'intéressé a besoin d'assistance.»

Le litige au principal

13.
    Mme Martínez Sala, née le 8 février 1956, est une ressortissante espagnole qui, depuis mai 1968, réside en Allemagne. Elle y a exercé différentes activités salariées durant la période s'étendant, interruptions comprises, de 1976 à 1986 et, ensuite, du 12 septembre 1989 au 24 octobre 1989. Depuis lors, elle a bénéficié d'une aide sociale versée par la ville de Nürnberg et le Landratsamt Nürnberger Land au titre du Bundessozialhilfegesetz (loi fédérale sur l'aide sociale).

14.
    Jusqu'au 19 mai 1984, Mme Martínez Sala a obtenu des autorités compétentes différents titres de séjour qui se sont succédé pratiquement sans interruption. Par la suite, elle n'a obtenu que des documents attestant que la prorogation de son titre de séjour était sollicitée. Dans son ordonnance de renvoi, le Bayerisches Landessozialgericht relève que, néanmoins, la convention européenne d'assistance sociale et médicale du 11 décembre 1953 interdisait d'expulser l'intéressée. Le 19 avril 1994, celle-ci s'est vu délivrer un titre de séjour expirant le 18 avril 1995, lequel a été prorogé pour une nouvelle année le 20 avril suivant.

15.
    En janvier 1993, à savoir pendant la période où elle ne disposait pas d'un titre de séjour, Mme Martínez Sala a sollicité du Freistaat Bayern une allocation d'éducation pour son enfant né au cours de ce même mois.

16.
    Par décision du 21 janvier 1993, le Freistaat Bayern a rejeté cette demande au motif que l'intéressée ne possédait ni la nationalité allemande, ni une autorisation de séjour, ni un titre de séjour.

17.
    Par jugement du 21 mars 1994, le Sozialgericht Nürnberg a rejeté le recours introduit le 13 juillet 1993 par Mme Martínez Sala à l'encontre de cette décision au motif qu'elle n'était pas en possession d'une carte de séjour.

18.
    Le 8 juin 1994, Mme Martínez Sala a alors interjeté appel de ce jugement devant le Bayerisches Landessozialgericht.

19.
    Considérant qu'il n'était pas exclu qu'elle puisse se prévaloir des règlements nos 1408/71 et 1612/68 pour obtenir un droit à l'allocation d'éducation, le Bayerisches Landessozialgericht a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    Une ressortissante espagnole, résidant en Allemagne, qui a exercé des activités salariées jusqu'en 1986 avec quelques interruptions et qui, abstraction faite d'une activité brièvement exercée en 1989, a bénéficié ensuite d'une aide sociale au titre du Bundessozialhilfegesetz (loi fédérale sur l'aide sociale), avait-elle toujours, en 1993, la qualité de travailleur au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 ou au sens de l'article 2 lu en combinaison avec l'article 1er du règlement (CEE) n° 1408/71?

2)    L'allocation d'éducation servie au titre de la loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation (BErzGG) est-elle une prestation familiale visée par l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 à laquelle les ressortissants espagnols résidant en Allemagne ont droit dans les mêmes conditions que les nationaux, conformément à l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71?

3)    L'allocation d'éducation servie au titre de la loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation (BErzGG) est-elle un avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68?

4)    La loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation (BErzGG) est-elle conforme à la réglementation de l'Union européenne lorsque, à l'égard des ressortissants d'un État membre, elle réserve l'octroi de l'allocation d'éducation à ceux qui possèdent une carte de séjour en bonne et due forme même s'ils sont autorisés à résider en Allemagne?»

20.
    Il convient de répondre, tout d'abord, aux deuxième et troisième questions, ensuite, à la première question et, enfin, à la quatrième question.

Sur les deuxième et troisième questions

21.
    Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande en substance si une prestation telle que l'allocation d'éducation prévue par le BErzGG, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, relève du domaine d'application du droit communautaire en tant que prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71 ou en tant qu'avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68.

22.
    Dans l'arrêt du 10 octobre 1996, Hoever et Zachow (C-245/94 et C-312/94, Rec. p. I-4895), la Cour a déjà jugé qu'une prestation telle que l'allocation d'éducation prévue par le BErzGG, qui est accordée automatiquement aux personnes qui répondent à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, doit être assimilée à une prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71.

23.
    Le gouvernement allemand soutient que la Cour devrait revenir sur cette interprétation en renvoyant, dans ses observations écrites, aux observations qu'il avait présentées dans l'affaire précitée et, lors de l'audience, à celles qu'il avait soumises à la Cour dans l'affaire Mille-Wilsmann, enregistrée sous le numéro C-16/96. Le Bundessozialgericht ayant annulé son ordonnance de renvoi à la suite du prononcé de l'arrêt Hoever et Zachow, précité, cette affaire a été radiée par ordonnance du 14 avril 1997.

24.
    Dès lors que le gouvernement allemand n'a pas davantage précisé les aspects de l'arrêt Hoever et Zachow, précité, qui, selon lui, doivent être révisés ni les raisons qui justifieraient une telle révision, il y a lieu de réaffirmer qu'une prestation telle que l'allocation d'éducation prévue par le BErzGG, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, constitue une prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71.

25.
    Quant à la notion d'avantage social à laquelle se réfère l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, elle recouvre, selon une jurisprudence constante, tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison, principalement, de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence ordinaire sur le territoire national, et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît

dès lors comme de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté (arrêt du 27 mars 1985, Hoeckx, 249/83, Rec. p. 973, point 20).

26.
    L'allocation d'éducation litigieuse est un avantage qui est reconnu, entre autres, aux travailleurs qui exercent une activité professionnelle à temps partiel. Elle constitue donc un avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68.

27.
    Il y a lieu d'ajouter que, dès lors que le règlement n° 1612/68 a une portée générale en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, son article 7, paragraphe 2, peut être appliqué à des avantages sociaux qui relèvent en même temps du domaine d'application spécifique du règlement n° 1408/71 (arrêt du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg, C-111/91, Rec. p. I-817, point 21).

28.
    Il convient donc de répondre aux deuxième et troisième questions qu'une prestation telle que l'allocation d'éducation prévue par le BErzGG, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, relève du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire en tant que prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71 et en tant qu'avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68.

Sur la première question

29.
    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si un ressortissant d'un État membre qui réside dans un autre État membre où il a exercé des activités salariées et où il a, par la suite, bénéficié d'une aide sociale revêt la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1612/68 ou du règlement n° 1408/71.

30.
    A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon le BErzGG, l'octroi de l'allocation d'éducation est subordonné, notamment, à la condition que l'intéressé n'exerce pas d'activité professionnelle ou qu'il n'exerce pas d'activité professionnelle à temps plein. Cette condition est de nature à restreindre le nombre des personnes qui peuvent, à la fois, bénéficier de l'allocation d'éducation et être qualifiées de travailleurs au sens du droit communautaire.

31.
    Il y a lieu ensuite de relever que la notion de travailleur en droit communautaire n'est pas univoque mais qu'elle varie selon le domaine d'application envisagé. Ainsi, la notion de travailleur utilisée dans le cadre de l'article 48 du traité CE et du règlement n° 1612/68 ne coïncide pas nécessairement avec celle qui a cours dans le domaine de l'article 51 du traité CE et du règlement n° 1408/71.

La qualité de travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68

32.
    Dans le cadre de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68, doit être considérée comme un travailleur la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération. Une fois que la relation de travail a pris fin, l'intéressé perd en principe la qualité de travailleur, étant entendu cependant que, d'une part, cette qualité peut produire certains effets après la cessation de la relation de travail et que, d'autre part, une personne à la recherche réelle d'un emploi doit également être qualifiée de travailleur (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, point 17; du 21 juin 1988, Lair, 39/86, Rec. p. 3161, points 31 à 36, et du 26 février 1991, Antonissen, C-292/89, Rec. p. I-745, points 12 et 13).

33.
    En outre, il convient de rappeler que, lorsqu'un travailleur ressortissant d'un État membre a occupé un emploi sur le territoire d'un autre État membre et y demeure, après avoir obtenu une pension de retraite, ses descendants ne conservent pas le droit à l'égalité de traitement, résultant de l'article 7 du règlement n° 1612/68, en ce qui concerne une prestation sociale prévue par la législation de l'État membre d'accueil lorsqu'ils ont atteint l'âge de 21 ans, ne sont plus à sa charge et n'ont pas la qualité de travailleur (arrêt du 18 juin 1987, Lebon, 316/85, Rec. p. 2811).

34.
    En l'espèce, la juridiction de renvoi n'a pas fourni suffisamment d'éléments pour permettre à la Cour de vérifier si, eu égard aux considérations qui précèdent, une personne se trouvant dans la situation de la requérante au principal constitue un travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68, par exemple en raison de la circonstance qu'elle est à la recherche d'un emploi. Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de procéder à cet examen.

La qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71

35.
    Aux termes de son article 2, le règlement n° 1408/71 s'applique aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l'un des États membres ainsi qu'aux membres de leur famille.

36.
    Ainsi, une personne a la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71 dès lors qu'elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d'une assurance obligatoire ou facultative auprès d'un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l'article 1er, sous a), du règlement n° 1408/71, et ce indépendamment de l'existence d'une relation de travail (voir, en ce sens, arrêts du 31 mai 1979, Pierik II, 182/78, Rec. p. 1977, points 4 et 7, et du 9 juillet 1987, Laborero et Sabato, 82/86 et 103/86, Rec. p. 3401, point 17).

37.
    La Commission estime par conséquent que la requérante doit être considérée comme un travailleur au sens du règlement n° 1408/71 du seul fait qu'elle a bénéficié de l'assurance retraite obligatoire en Allemagne ou que l'organisme d'aide sociale l'a affiliée, avec ses enfants, à l'assurance maladie et a pris en charge les cotisations correspondantes.

38.
    De même, lors de l'audience, le gouvernement français a soutenu que la requérante au principal pouvait être considérée comme un travailleur au sens du droitcommunautaire de la sécurité sociale puisqu'elle a été — et peut-être l'est-elle encore — affiliée, d'une manière ou d'une autre, à un régime de retraite allemand.

39.
    Le gouvernement allemand observe toutefois que, aux termes de l'annexe I, point I, C («Allemagne»), du règlement n° 1408/71, dans le domaine des prestations familiales dont relève l'allocation en cause, seule la personne qui est obligatoirement assurée contre le risque de chômage ou qui perçoit, dans le cadre de ce régime d'assurance, des prestations en espèces de l'assurance maladie ou des prestations analogues peut être qualifiée de travailleur.

40.
    Lors de l'audience, la Commission a également souligné que, dans l'arrêt du 30 janvier 1997, Stöber et Piosa Pereira (C-4/95 et C-5/95, Rec. p. I-511), la thèse selon laquelle l'assurance contre un seul risque prévu par le règlement n° 1408/71 suffit pour conférer la qualité de travailleur au sens de ce règlement avait été mise en cause.

41.
    A cet égard, il y a lieu de relever que, au point 36 de l'arrêt Stöber et Piosa Pereira, précité, la Cour a considéré que rien n'empêche les États membres de limiter le bénéfice des allocations familiales aux personnes qui appartiennent à une communauté solidaire constituée par un régime d'assurance particulier, en l'occurrence le régime d'assurance vieillesse pour les travailleurs non salariés.

42.
    Ainsi, selon l'annexe I, point I, C («Allemagne»), à laquelle renvoie l'article 1er, sous a), ii), du règlement n° 1408/71, seules les personnes assurées à titre obligatoire contre le risque de chômage ou les personnes qui obtiennent, à la suite de cette assurance, des prestations en espèces de l'assurance maladie ou des prestations analogues peuvent être considérées, pour l'octroi de prestations familiales conformément au titre III, chapitre 7, du règlement n° 1408/71, comme travailleurs salariés au sens de l'article 1er, sous a), ii), de ce même règlement (arrêt du 12 juin 1997, Merino García, C-266/95, Rec. p. I-3279).

43.
    Comme il résulte clairement du libellé de cette disposition, c'est uniquement pour l'octroi de prestations familiales conformément au titre III, chapitre 7, du règlement n° 1408/71 que l'annexe I, point I, C, a précisé ou limité la notion de travailleur salarié au sens de l'article 1er, sous a), ii), de ce même règlement.

44.
    Étant donné que la situation d'une personne telle que la requérante au principal n'est visée par aucune des dispositions du titre III, chapitre 7, la restriction prévue

par l'annexe I, point I, C, ne saurait lui être appliquée de sorte que sa qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71 doit être déterminée au regard du seul article 1er, sous a), ii), de ce même règlement. Cette personne pourra donc bénéficier des droits attachés à une telle qualité dès lors qu'il sera établi qu'elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d'une assurance obligatoire ou facultative auprès d'un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l'article 1er, sous a), du règlement n° 1408/71.

45.
    L'ordonnance de renvoi n'ayant pas fourni suffisamment d'éléments permettant à la Cour de prendre en compte toutes les circonstances éventuellement pertinentes de l'espèce au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si une personne telle que la requérante au principal relève du domaine d'application ratione personae de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 ou du règlement n° 1408/71.

Sur la quatrième question

46.
    Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi vise à savoir si le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre exige des ressortissants des autres États membres qu'ils produisent une carte de séjour en bonne et due forme pour bénéficier d'une allocation d'éducation.

47.
    Cette question est fondée sur l'hypothèse selon laquelle la requérante au principal a été autorisée à résider dans l'État membre concerné.

48.
    En vertu du BErzGG, pour avoir droit à la prestation d'éducation litigieuse, l'intéressé doit avoir, s'il remplit les autres conditions matérielles d'octroi, son domicile ou son lieu de résidence ordinaire sur le territoire allemand.

49.
    Le ressortissant d'un autre État membre qui est autorisé à résider sur le territoire allemand et qui y réside remplit cette condition. Il se trouve, à cet égard, dans la même situation que celle d'un ressortissant allemand résidant sur le territoire allemand.

50.
    Cependant, le BErzGG dispose que, à la différence des ressortissants allemands, «tout étranger», y compris le ressortissant d'un autre État membre, doit, pour bénéficier de la prestation litigieuse, posséder un certain type de titre de séjour. Il est constant que la simple attestation qu'une demande de titre de séjour a été introduite ne suffit pas, bien qu'une telle attestation certifie que le séjour est légitime.

51.
    La juridiction de renvoi relève en outre que «le retard que la délivrance [d'un tel titre de séjour] accuse pour des raisons purement administratives entame la substance des droits des citoyens de l'Union européenne».

52.
    Si le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose aux ressortissants des autres États membres résidant légalement sur son territoire d'être toujours en possession d'un document attestant leur droit de séjour, dans la mesure où une obligation identique est imposée aux ressortissants nationaux en ce qui concerne leur carte d'identité (voir, en ce sens, arrêts du 27 avril 1989, Commission/Belgique, 321/87, Rec. p. 997, point 12, et du 30 avril 1998, Commission/Allemagne, C-24/97, non encore publié au Recueil, point 13), il n'en va pas nécessairement de même lorsqu'un État membre exige des ressortissants des autres États membres que, pour bénéficier d'une allocation d'éducation, ils soient obligatoirement en possession d'un titre de séjour dont la délivrance incombe à l'administration.

53.
    En effet, aux fins de la reconnaissance du droit de séjour, la carte de séjour ne saurait avoir qu'une valeur déclaratoire et probante (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 1976, Royer, 48/75, Rec. p. 497, point 50). En revanche, il ressort du dossier que, aux fins de l'octroi de la prestation litigieuse, la carte de séjour acquiert une valeur constitutive.

54.
    Il s'ensuit que le fait, pour un État membre, d'exiger d'un ressortissant d'un autre État membre qui souhaite bénéficier d'une prestation telle que l'allocation litigieuse qu'il produise un document ayant une valeur constitutive, délivré par sa propre administration, alors qu'aucun document de ce type n'est demandé au ressortissant national, aboutit à une inégalité de traitement.

55.
    Dans le domaine d'application du traité et à défaut de justification, une telle inégalité de traitement constitue une discrimination interdite par l'article 6 du traité CE.

56.
    Lors de l'audience, le gouvernement allemand, tout en admettant que la condition imposée par le BErzGG constituait un traitement inégal au sens de l'article 6 du traité, a fait valoir que les faits de l'espèce au principal ne relevaient ni du domaine d'application ratione materiae ni du domaine d'application ratione personae du traité, de sorte que la requérante au principal ne saurait se prévaloir de cette disposition.

57.
    En ce qui concerne le domaine d'application ratione materiae, il convient de se référer aux réponses apportées aux première, deuxième et troisième questions dont il résulte que l'allocation d'éducation en cause dans le litige au principal relève incontestablement du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire.

58.
    En ce qui concerne le domaine d'application ratione personae, si la juridiction de renvoi devait considérer, à la lumière des critères fournis dans la réponse à la première question préjudicielle, que la requérante au principal a la qualité de travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 ou au sens

du règlement n° 1408/71, l'inégalité de traitement litigieuse serait incompatible avec les articles 48 et 51 du traité.

59.
    Dans l'hypothèse où tel ne serait pas le cas, la Commission soutient que, en tout état de cause, depuis le 1er novembre 1993, date de l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, la requérante au principal tire un droit de séjour de l'article 8 A du traité CE, aux termes duquel «Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application». Selon l'article 8, paragraphe 1, du traité CE, est citoyen de l'Union européenne toute personne ayant la nationalité d'un État membre.

60.
    Il convient toutefois de souligner que, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'intéressée est en mesure d'invoquer l'article 8 A du traité pour se voir reconnaître un nouveau droit de séjourner sur le territoire de l'État membre concerné, étant donné qu'il est constant qu'elle a déjà été autorisée à y résider, bien que la délivrance d'une carte de séjour lui ait été refusée.

61.
    En tant que ressortissante d'un État membre résidant légalement sur le territoire d'un autre État membre, la requérante au principal relève du domaine d'application ratione personae des dispositions du traité consacrées à la citoyenneté européenne.

62.
    Or, l'article 8, paragraphe 2, du traité attache au statut de citoyen de l'Union les devoirs et les droits prévus par le traité, dont celui, prévu à l'article 6 du traité, de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité dans le champ d'application ratione materiae du traité.

63.
    Il en résulte qu'un citoyen de l'Union européenne qui, telle la requérante au principal, réside légalement sur le territoire de l'État membre d'accueil peut se prévaloir de l'article 6 du traité dans toutes les situations relevant du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire, y compris la situation dans laquelle cet État membre retarde ou lui refuse l'octroi d'une prestation qui est accordée à toute personne résidant légalement sur le territoire de cet État, au motif qu'il ne dispose pas d'un document qui n'est pas exigé des ressortissants de ce même État et dont la délivrance peut être retardée ou refusée par son administration.

64.
    Le traitement inégal en question se situant ainsi dans le champ d'application du traité ne saurait être considéré comme justifié. En effet, il s'agit d'une discrimination exercée directement en raison de la nationalité de la requérante et, par ailleurs, aucun élément justifiant un tel traitement inégal n'a été soulevé devant la Cour.

65.
    Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question que le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre exige des ressortissants des autres États membres autorisés à résider sur son territoire qu'ils produisent une carte de séjour en bonne et due forme, délivrée par l'administration nationale, pour bénéficier d'une allocation d'éducation, alors que les nationaux sont uniquement tenus d'avoir leur domicile ou leur lieu de résidence ordinaire dans cet État membre.

Sur les dépens

66.
    Les frais exposés par les gouvernements allemand, espagnol, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Bayerisches Landessozialgericht, par ordonnance du 2 février 1996, dit pour droit:

1.
    Une prestation telle que l'allocation d'éducation prévue par le Bundeserziehungsgeldgesetz, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, relève du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire en tant que prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989, et en tant qu'avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.

2.
    Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si une personne telle que la requérante au principal relève du domaine d'application ratione personae de l'article 48 du traité CE et du règlement n° 1612/68 ou du règlement n° 1408/71.

3.
    Le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre exige des ressortissants des autres États membres autorisés à résider sur son territoire qu'ils produisent une carte de séjour en bonne et due forme, délivrée par l'administration nationale, pour bénéficier d'une allocation d'éducation, alors que les nationaux sont uniquement tenus d'avoir leur domicile ou leur lieu de résidence ordinaire dans cet État membre.

Rodríguez Iglesias Gulmann Ragnemalm Wathelet

Mancini

Moitinho de Almeida
Kapteyn

Murray

Edward
Puissochet

Hirsch

Jann
Sevón

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 mai 1998.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: l'allemand.