Terralaboris asbl

Discrimination sur la base du genre

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 23 août 2011, R.G. 2010/AN/156

Mis en ligne le vendredi 21 octobre 2011


Cour du travail de Liège, section de Namur, 23 août 2011, R.G. n° 2010/AN/156

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 août 2011, la Cour du travail de Liège (Sect. Namur) examine la conformité de la nomenclature Soins de santé et indemnités aux lois anti-discrimination.

Question examinée par la cour du travail

Un assuré social demande le remboursement à sa mutuelle d’un médicament (AROMASIN). Ce remboursement ne peut, selon la nomenclature, intervenir que dans le traitement du cancer du sein à un stade avancé chez la femme ménopausée ou, également dans le traitement adjuvant du cancer du sein invasif chez celle-ci. Il n’est pas prévu de remboursement dans le cas d’un homme.

Arrêt de la cour du travail du 18 janvier 2011

Dans un arrêt du 18 janvier 2011, la cour avait rappelé les normes applicables et dégagé les questions à résoudre, étant relatives au caractère d’ordre public de la nomenclature, qui comporte les conditions d’octroi de l’intervention de l’assurance soins de santé obligatoire. La cour avait ainsi relevé qu’il y a lieu de les interpréter strictement. Le juge ne peut dès lors ni retrancher ni ajouter des conditions d’octroi aux conditions légales et il ne peut davantage statuer en équité ou s’écarter même aussi peu que ce soit de la norme. Seule peut être retenue l’hypothèse de la force majeure ou, encore, celle où la nomenclature, qui est contenue dans un arrêté royal, ne respecterait pas une norme supérieure, ainsi, les lois du 10 mai 2007 en matière de discrimination.

Se pose dès lors la question de savoir si le remboursement du médicament litigieux aux femmes uniquement respecte les principes contenus dans celles-ci.

La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 juin 2004, Pas, p. 1027) selon laquelle, dès lors que l’intervention de l’assurance soins de santé est limitée en raison de la ménopause chez la femme, il n’y a pas de discrimination entre hommes et femmes. Pour la cour du travail, il s’agit d’un cas où le remboursement prévoyait des conditions d’intervention identiques. Il en résulterait que la limitation en cause ne serait pas discriminatoire puisqu’elle n’est pas liée au sexe du malade et qu’elle n’est pas davantage justifiée parce qu’il s’agirait d’une maladie frappant seulement ou majoritairement les femmes mais n’existe que parce que la patiente qui doit prendre ce médicament est ménopausée.

La cour pose cependant la question de la possibilité d’une discrimination indirecte, suivant le raisonnement qui suit : objectivement, ne remplissant pas les conditions d’octroi mises en vue du remboursement (vu qu’il n’est pas une femme ménopausée), le demandeur ne peut théoriquement prétendre à celui-ci. Si, cependant, la règle aboutissait à consacrer une discrimination indirecte entre les femmes et hommes, il y aurait lieu d’aménager la nomenclature pour la rendre compatible avec la loi genre du 10 mai 2007. Par contre, si les raisons de la limitation des conditions de remboursement ne sont effectivement pas liées au sexe du malade (directement ou indirectement), il n’y aurait pas de discrimination.

C’est par l’approche du critère du vieillissement (en l’occurrence andropause) que peut être envisagée l’existence d’une discrimination indirecte et la cour demande à l’organisme assureur de justifier sa position en ce qui concerne l’exclusion – et notamment sur l’existence de raisons budgétaires, qui pourraient venir légitimer l’éventuelle discrimination.

La cour relève cependant déjà que le médicament en cause est prescrit aussi bien aux hommes qu’aux femmes, ce qui lui ne semble pas indiquer que la ménopause est une condition de son efficacité.

Elle demande dès lors à la mutuelle de produire une série d’éléments.

Arrêt de la cour du travail du 23 août 2011

La cour constate que les renseignements fournis par l’organisme assureur sont maigres et que d’ailleurs, celui-ci n’a pas conclu ou déposé un dossier à la suite de la réouverture des débats. Il s’est borné à communiquer des éléments essentiellement d’ordre médical après l’avis de l’Avocat général et la cour retient que – ces éléments ne pouvant être soumis à contradiction – il y a lieu de les écarter des débats. La cour examine, dès lors, la question juridique sur la base des éléments en sa possession.

Elle procède à un rappel des règles en matière de discrimination indirecte et de charge de la preuve, rappelant précisément la mission du juge, qui est de (i) examiner l’objectif poursuivi par la disposition, la mesure ou la pratique apparemment neutre (y a-t-il l’objectif à protéger), (ii) vérifier si la disposition (ou mesure ou pratique) neutre contribue à la réalisation de l’objectif et (iii) vérifier si elle est nécessaire afin d’atteindre celui-ci. C’est l’examen de la balance des intérêts entre l’intérêt d’un groupe désavantagé, étant celui victime de la distinction indirecte, et celui de la personne qui utilise le critère neutre.

En matière de charge de la preuve, si la victime invoque un fait susceptible de présumer l’existence de la discrimination, l’autre partie doit apporter la preuve de l’inexistence de celle-ci. Il s’agit d’une répartition de la charge de la preuve. En ce qui concerne les faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination indirecte, la cour retient qu’ils peuvent être de trois types : (i) des statistiques générales relatives à la situation du groupe dont la victime fait partie, (ii) la référence à un critère de distinction intrinsèquement suspect ainsi que (iii) du matériel statistique élémentaire faisant apparaître un traitement défavorable. Il ne s’agit pas d’outils exhaustifs.

En l’occurrence, la cour relève qu’il y un critère intrinsèquement suspect, étant que la nomenclature établit une distinction indirecte fondée sur un critère : le sexe. Il peut dès lors y avoir une discrimination indirecte dès lors que la nomenclature vise la femme en phase de vieillissement (ménopause) mais non l’homme (andropause).

Il incombe dès lors à l’organisme assureur de permettre au juge d’effectuer la balance des intérêts entre l’intérêt de chaque groupe. En l’occurrence la cour constate que celui-ci ne rapporte pas cette preuve et que la conclusion s’impose : l’organisme assureur doit intervenir dans le remboursement de l’AROMASIN depuis la demande introduite, et ce dans les mêmes conditions de remboursement que pour les femmes ménopausées.

Intérêt de la décision

Très intéressant arrêt de la Cour du travail de Liège (sect. Namur) en matière de remboursement de médicaments : la nomenclature doit être conforme aux principes généraux en matière d’interdiction de discrimination et, en l’occurrence, la cour en dégage une, résidant dans un critère protégé.


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