Terralaboris asbl

Allocations de chômage pour raisons économiques perçues indûment : conditions pour l’absence de récupération

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er mars 2007, R.G. 46.477

Mis en ligne le vendredi 7 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles – 1er mars 2007 – R.G. n° 46.477

TERRA LABORIS ASBL

Dans plusieurs arrêts (9 décisions) du 1er mars 2007, la Cour du travail de Bruxelles a été amenée à rappeler les conditions dans lesquelles des allocations de chômage temporaire pour raisons économiques peuvent ne pas être récupérées dans l’hypothèse où la demande de l’employeur ne répond pas aux conditions requises et qu’il y a bonne foi dans le chef du travailleur.

Les faits

Saisi d’une demande de mise en chômage pour raisons économiques par une entreprise de la construction, l’ONEm fut amené à refuser celle-ci, tant que ne lui serait pas donnée l’adresse exacte de la société.

Suite à diverses tentatives d’obtenir cette adresse, l’ONEm constata que celle qui était donnée était une simple adresse postale, l’entreprise ne pouvant être touchée ni par téléphone ni par fax. Les demandes de mise au chômage étaient par ailleurs obscures en ce qui concerne l’identité du signataire.

Il apparut ultérieurement que l’entreprise en cause fut rachetée par une autre et revendue par celle-ci à un tiers. Peu d’informations étaient disponibles sur la situation du personnel, le chômage temporaire, ou encore l’activité commerciale exercée. Il apparut encore que le gérant de la société était un simple homme de paille. Un contrôle eut lieu, après une nouvelle demande de chômage temporaire en 2002 pour raisons d’intempéries, et ce concernant 10 travailleurs occupés sur un chantier. Ce contrôle fit apparaître que plus aucune activité n’était exercée sur ledit chantier depuis un certain temps. La demande fut dès lors rejetée. Malgré ceci, de nouvelles demandes furent introduites ultérieurement et connurent le même sort. En fin de compte, la société fut déclarée en faillite en avril 2003 par le tribunal de commerce d’Anvers.

Un travailleur fut exclu du bénéfice des allocations de chômage depuis la date de la première demande, qui remontait à juin 2001.

Suite à la faillite, le curateur fit savoir qu’il ne disposait d’aucun actif. Le Fonds d’indemnisation intervint à concurrence du maximum autorisé, étant deux mois de rémunération et le travailleur poursuivit la procédure aux fins d’obtenir les allocations de chômage temporaire pour les périodes de mise en chômage, et ce d’autant que l’ONEm réclamait remboursement des allocations qu’il avait, dans un premier temps, payées.

La position du tribunal

Suite à l’action introduite par le travailleur, qui appela également à la cause la société (l’action ayant débuté avant la mise en faillite de la société), l’ONEm, le curateur et le travailleur se retrouvèrent en présence et le tribunal confirma la décision administrative, condamnant l’ouvrier au remboursement d’une somme de l’ordre de 10.000 euros, le curateur voyant également mis à la charge l’obligation d’inscrire au passif de la faillite un montant de l’ordre de 23.000 euros. Le tribunal se fondait sur le fait que les conditions réglementaires n’étaient pas réunies pour l’introduction de diverses demandes (tardiveté) d’une part et sur la non reconnaissance des motifs invoqués de l’autre. Le tribunal insistait sur le fait que, en ne disposant que d’une adresse postale, la société ne respectait pas son obligation d’information vis-à-vis de l’ONEm. En conséquence, pour le tribunal, dans l’hypothèse où l’obligation d’information n’avait pas été correctement respectée, le travailleur avait droit à de la rémunération pour les journées en cause et c’était donc à tort que les allocations de chômage avaient été perçues.

La position des parties devant la Cour

Le travailleur demandait à la Cour du travail l’annulation de la décision administrative et la réformation du jugement ; à titre subsidiaire, il sollicitait la limitation du remboursement aux 150 derniers jours. Il faisait valoir qu’une des conditions fixées à l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 pour l’absence de récupération était remplie, à savoir que d’autres ouvriers avaient été occupés pendant la période de suspension non valable et que ceux-ci avaient été normalement rémunérés. Il faisait encore valoir que l’ONEm était responsable du préjudice qu’il subirait en cas d’obligation de remboursement, vu la perte de salaire pour la période en cause (seul un montant de l’ordre de 3.700 euros avait été pris en charge par le Fonds d’indemnisation pour la période de juin 2001 à septembre 2002, alors que le montant global du salaire était bien plus élevé).

Un accord étant par ailleurs intervenu entre l’intéressé et le curateur afin d’inscrire sa créance au passif de la faillite, l’ONEm considérait que celui-ci n’avait plus d’intérêt à l’appel qui devait être déclaré irrecevable. Il estimait également que le travailleur ne prouvait pas que cette rémunération ne serait jamais payée et qu’il n’établissait pas davantage la mise au travail d’autres travailleurs pendant la période concernée, de telle sorte que l’article 169, dernier paragraphe, ne pouvait pas être appliqué. Il fit encore valoir ultérieurement qu’il y avait fraude et que l’état de chômage n’était pas établi pendant la période en cause.

Quant au curateur, il considérait en substance que l’action était sans objet à son égard et que seule pouvait être mis à sa charge l’obligation d’inscrire les dépens au passif chirographaire.

La position de la Cour

La Cour considéra que le travailleur avait un intérêt à l’action, vu que le tribunal avait confirmé la décision administrative et l’avait condamné au paiement de sommes.

Elle rappela que l’employeur qui ne respecte pas ses obligations en matière de déclaration est tenu de payer au travailleur sa rémunération normale pour les jours pendant lesquels l’exécution du contrat de travail a été suspendue.

Le travailleur ne devait dès lors pas percevoir ses allocations de chômage, ainsi qu’en disposent les articles 44 et 46 de l’arrêté royal, dans la mesure où il était en droit de bénéficier d’un salaire en vertu des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail.

La Cour relève que, pour faire échec à cette règle, le travailleur demande l’application de l’article 169, dernier alinéa de l’arrêté royal, qui prévoit que dans certains cas les allocations octroyées indûment ne sont pas récupérées, à savoir que, en l’espèce, d’autres ouvriers auraient été occupés pendant la période de suspension non valable et que ces ouvriers auraient été normalement rémunérés (article 69, dernier alinéa, 3°).

Relevant qu’aucune fraude n’est établie, en l’espèce (absence d’enquête et absence d’audition des autres travailleurs), la Cour constate qu’il est également satisfait aux autres conditions prévues à l’article 169, à savoir qu’en raison de la faillite ou de la fermeture de l’entreprise qui l’occupait, le travailleur ne peut obtenir le paiement de la rémunération ou des dommages et intérêts auxquels il avait normalement droit pour la période de suspension non valable (1°) et qu’il ne peut obtenir du Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise le paiement de ces sommes (2°).

Il y a dès lors lieu, pour la Cour, de permettre à l’intéressé d’établir le respect du 3°, à savoir que d’autres ouvriers ont été occupés pendant cette période de suspension et qu’ils ont normalement été rémunérés.

La Cour ordonne dès lors la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail rappelle utilement les conditions dans lesquelles, même si la demande de chômage économique n’est pas valable, le travailleur qui a perçu des allocations de chômage peut ne pas devoir les rembourser. L’hypothèse n’est pas rare : société (quasi) fictive, secteur sensible (construction), réglementation particulière pour les hypothèses de suspension du contrat de travail.


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