Terralaboris asbl

Critères permettant de déterminer la nature de la relation de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 juin 2011, R.G. 2006/AB/48.721

Mis en ligne le lundi 3 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 22 juin 2011, R.G. 2006/AB/48.721

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans la ligne de la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, écarte une qualification de collaboration indépendante, sur la base de constatations faites quant aux modalités d’exécution du travail.

Les faits

Une société de construction s’adjoint les services d’un prestataire, celui-ci prenant le statut de travailleur indépendant.

Suite à une enquête de l’INASTI, l’ONSS fait une inspection auprès de la société et, sur la base des explications données par le gérant, conclut à l’assujettissement. L’ONSS envoie dès lors un avis de paiement de cotisations sociales. Les relations professionnelles entre parties se poursuivent et il est constaté, alors, que le prestataire était devenu associé avant la décision de l’ONSS.

Les services d’inspection réentendent dès lors le travailleur, qui confirme être le neveu du gérant. Dans les explications complémentaires qu’il donne, sur les modalités d’exécution, il précise n’avoir eu aucun contrôle sur le planning. Il déclare en outre que, suite à l’enquête de l’ONSS, le gérant avait pris l’initiative de lui donner le statut d’associé actif, et ce même sans lui en faire part. Il précise également que pendant toute la relation de travail, qui a duré cinq ans, il était tenu de prévenir le gérant en cas de maladie (celui-ci ne lui demandant cependant pas de certificat médical et ne le remplaçant pas).

Le gérant est alors réentendu et donne d’autres explications, portant essentiellement sur l’absence de qualification du travailleur, sur le fait qu’il ne savait pas travailler seul et qu’il n’avait « rien à dire » au sein de la société. Il se plaint alors du fait que ce dernier a quitté son emploi et même qu’il a dû déposer plainte, vu divers délits commis par celui-ci au préjudice de la société.

L’ONSS prend l’initiative, alors, d’assujettir le travailleur et, vu le non paiement des cotisations, cite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement de cotisations d’un montant de l’ordre de 34.000€. Ce montant est ramené à 20.000€ en cours d’instance.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail décida par jugement du 28 mars 2006 que l’action était non fondée (un trimestre étant par ailleurs prescrit).

Décision de la cour du travail

Sur appel de l’ONSS, la cour fut ainsi amenée à reprendre les principes récemment rappelés par la Cour de cassation en ce qui concerne le nœud de la discussion, étant le lien de subordination.

Celui-ci constitue en effet un des trois éléments permettant de conclure à l’existence d’un contrat de travail, les deux autres étant le travail et la rémunération payée en contrepartie de celui-ci.

En ce qui concerne la qualification donnée par les parties à leur collaboration, la cour rappelle une jurisprudence constante de la Cour de cassation (voir notamment son arrêt du 8 décembre 2003, J.T.T., 2004, p. 122) selon laquelle si les éléments soumis à l’appréciation du juge ne permettent pas d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention conclue, celui-ci ne peut y substituer une qualification autre. Interviennent cependant également les arrêts de la Cour suprême (9 juin 2008, S.07.0051.F et 22 mai 2006, S.05.0014.F) selon lesquels lorsque les éléments permettent d’exclure cette qualification le juge est autorisé à y substituer une qualification différente.

Rappelant ensuite l’important arrêt du 6 décembre 2010 (Cass., 6 déc. 2010, S.10.0073.N), rendu à propos d’un élément manifestement incompatible avec la collaboration indépendante, la cour rappelle qu’à défaut d’expérience professionnelle et s’il est avéré que le travailleur n’est opérationnel que lorsque celui pour qui il collabore lui donne des instructions précises quant à l’organisation du travail, ceci implique qu’il y a contrôle sur les prestations et que ce contrôle excède le simple contrôle qualitatif du travail effectué : ceci est incompatible avec le simple exercice d’un contrôle dans le cadre d’une convention d’entreprise. Deux éléments jouent un rôle majeur : le défaut d’expérience professionnelle et le défaut d’absence de liberté d’organisation du travail.

La cour va dès lors appliquer cette jurisprudence à l’espèce en cause.

Il y a une qualification déterminée quant à la relation de travail, celle-ci s’inscrivant en-dehors de tout lien de subordination.

Sur le plan de la charge de la preuve, la cour rappelle que c’est à l’ONSS de déterminer l’existence d’éléments incompatibles avec cette qualification. L’ONSS pointant toute une série d’éléments (mode de rémunération, rôle prépondérant du gérant dans l’établissement des devis, des factures, de la comptabilité et des visites des clients, absence de clients apportés par le prestataire et absence de pouvoir de signature des comptes, absence d’affectio societatis,…), la cour rejette ceux-ci en concluant que ni isolément ni conjointement ils ne sont incompatibles avec une collaboration indépendante.

La question des horaires de travail et de l’existence d’instructions précises quant à l’exécution du travail doit cependant être examinée autrement.

La cour relève, à partir des auditions et autres éléments du dossier, que la fixation des horaires et l’organisation du travail dépendaient exclusivement du gérant, celui-ci étant également responsable des instructions relatives au travail lui-même. Pour la cour, ces points sont des éléments incompatibles avec la collaboration indépendante. Elle relève également que le travailleur ne pouvait se faire remplacer par une personne de son choix et que ceci confirme le caractère personnel de la subordination.

Ceci permet d’écarter la qualification retenue par les parties et, la cour va également rejeter les autres éléments invoqués, notamment les relations de famille, le juge rappelant ici que l’existence du lien de subordination doit être appréciée indépendamment du lien de famille.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles s’inscrit dans le droit file de la jurisprudence de la Cour de cassation rendue depuis la loi-programme du 27 décembre 2006.

La Cour suprême avait rendu le 6 décembre 2010 un arrêt très important dans l’hypothèse de défaut d’expérience professionnelle dans le chef d’un travailleur, impliquant l’obligation pour le donneur d’ordre de donner des instructions précises quant à l’obligation du travail. Elle y avait conclu que cette situation dépassait le contrôle qualitatif d’un travail effectué et constituait un élément incompatible avec le simple exercice d’un contrôle dans le cadre d’une collaboration indépendante.

Dans la présente espèce, la Cour du travail de Bruxelles procède à une sélection, dans l’ensemble des éléments qui lui sont soumis : elle rejette divers indices (ceux-ci n’étant nullement incompatibles avec le contrat d’entreprise) et retient un des critères de la loi du 27 décembre 2006, étant le contrôle de l’organisation du travail, se traduisant ici par l’obligation de respecter des horaires fixés unilatéralement et l’impossibilité de travailler sans instructions précises.


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