Terralaboris asbl

Motifs économiques et licenciement d’une travailleuse enceinte

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2011, R.G. 2010/AB/819

Mis en ligne le lundi 26 septembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2011, R.G. n° 2010/AB/819

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les contours de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, ainsi que l’exigence de preuve dans le chef de l’employeur.

Les faits

Initialement engagée comme aide-organisatrice de congrès, une employée bénéficie en 2001 d’une promotion, faisant d’elle un cadre supérieur au service comptabilité de l’entreprise.

Elle informe en mars 2005 son employeur de son état de grossesse. Quinze jours plus tard, la société lui signifie la résiliation du contrat de travail avec effet immédiat et annonce le paiement d’une indemnité de onze mois. Le motif invoqué consiste en des raisons économiques, la société précisant accuser des pertes la contraignant à licencier l’intéressée.

S’ensuit un échange de correspondance, au cours duquel le conseil de la travailleuse fait état de l’engagement de nouveaux membres du personnel en Grande-Bretagne de même qu’en Belgique et expose que le carnet de commandes est rempli.

La société fait valoir, par la voie de son conseil, des précisions complémentaires étant essentiellement une diminution de son chiffre d’affaires l’année précédant le licenciement, diminution qui l’aurait amenée à licencier trois employés dont l’intéressée. Elle fait également valoir la perte d’un client important.

La travailleuse introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 29 juin 2010, le tribunal du travail déclare la demande fondée, les motifs n’étant pas prouvés à suffisance de droit.

Position des parties en appel

La société interjette appel, au motif que le tribunal aurait outrepassé ses pouvoirs, exerçant un contrôle d’opportunité. Elle conteste apporter les preuves suffisantes du ralentissement général de ses activités. Elle revient sur la réalité d’autres licenciements intervenus, relève en outre qu’une autre travailleuse enceinte n’a pas été licenciée et que le lien avec la grossesse est dès lors absent.

Subsidiairement, la société demande à revoir le calcul de l’indemnité de protection, qu’elle entend voir fixer à la seule rémunération mensuelle brute à l’exclusion de tous les avantages contractuels.

Quant à la travailleuse, elle se réfère à la motivation du jugement, fait valoir également l’existence d’une autre procédure introduite par une des personnes licenciées, dans laquelle les raisons économiques invoquées ont été rejetées, cette deuxième travailleuse étant également protégée contre le licenciement pour les mêmes motifs.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 (applicable avant sa modification par la loi du 22 décembre 2008 – article 130). Elle précise à juste titre que l’article 40 ne contient pas d’interdiction absolue de licenciement. Le mécanisme légal consiste en une restriction de ce droit, puisque le licenciement est autorisé mais pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement (la cour renvoyant à l’arrêt rendu par la même juridiction le 12 septembre 2006 – RG 47.218).

Elle précise que les motifs de licenciement doivent être totalement étrangers (et la cour souligne) à l’état de grossesse. Si les motifs invoqués sont pour partie liés à celui-ci et pour partie étrangers à cet état, le licenciement n’est pas autorisé (elle renvoie ici à C. trav. Bruxelles, 8 déc. 2010, RG 2009/AB/52266). Il découle du mécanisme légal qu’en cas de contestation, l’employeur a une triple preuve, étant

  • l’existence de faits objectifs montrant que les motifs de licenciement sont étrangers (C. trav. Bruxelles, 12 janv. 1994, RG 27.327) ;
  • la sincérité des motifs (C. trav. Bruxelles, 12 sept. 2006, RG 47.218 notamment) ;
  • le lien de causalité entre les faits étrangers et le licenciement (C. trav. Liège, 20 déc. 1999, B.F.A.R., 2000, n° 223/224, p. 146 avec note J. JACQMAIN).

En outre, la spécificité de la protection fait que dès que l’employeur a précisé les motifs de licenciement, il ne peut en invoquer d’autres ultérieurement (la cour renvoie ici à C. trav. Anvers, 17 janv. 2005, Chron. D.S., 2005, p. 339). Le motif invoqué doit dès lors être apprécié en tant qu’il est présent au moment du congé.

La cour va examiner les éléments du cas d’espèce, dans lequel la lettre de licenciement contient une motivation, étant que la raison du licenciement réside dans des pertes contraignant la société à rompre le contrat de travail. De même le C4 fait état de « raisons économiques ».

C’est donc ces éléments que l’employeur doit établir. Il faut également prouver que ces circonstances ont amené la société à prendre la décision de rompre et que ce sont ces seules raisons qui gisent à la base de la décision, indépendamment de l’état de grossesse. Il ne suffit donc pas d’établir des faits étrangers mais également la relation causale entre ceux-ci et la décision de rompre (elle cite encore ici un arrêt rendu par C. trav. Liège (sect. Namur), 19 mai 2009, RG 8610/08).

Sur les pertes d’exploitation et de résultat figurant au bilan relatives à l’année 2004, la cour relève la nature internationale de l’activité, le fait que la société est cotée en bourse et qu’elle fait partie d’un groupe de sociétés. Elle relève que dans les mois qui ont précédé le licenciement, aucune mention n’a été faite des pertes économiques invoquées ou de la nécessité de licencier du personnel. Elle confirme de nouveaux engagements, ainsi que la réalité de plusieurs commandes nouvelles.

La preuve n’est dès lors pas rapportée de manière rigoureuse de l’existence de faits objectifs établissant la réalité des raisons économiques.

La cour insiste, en outre, sur le fait que le lien de cause à effet n’est pas davantage établi et qu’il existe même un courriel interne daté de très peu de temps avant le licenciement, faisant état de la nécessité de redistribuer les tâches et les responsabilités vu les différentes grossesses parmi les membres du personnel.

L’ensemble de ces considérations amènent la cour à rejeter l’appel de la société.

Intérêt de la décision

C’est certainement eu égard à sa particulière motivation que cette décision est intéressante mais aussi sur un principe dégagé de manière synthétique en ce qui concerne l’exigence de preuve dans le chef de l’employeur. Celui-ci doit établir l’existence de faits objectifs étant des motifs étrangers à l’état de grossesse, la sincérité de ces motifs (précision particulièrement utile dans l’analyse) ainsi que le lien de causalité entre les faits étrangers et le licenciement.

Cette décision rejoint, dans sa méthode d’analyse, les critères souvent dégagés dans l’examen des motifs licites tels que figurant dans l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.


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