Terralaboris asbl

Harcèlement moral : existence de la protection contre le licenciement et conditions d’octroi de dommages et intérêts

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2011, R.G. 2009/AB/52.754

Mis en ligne le vendredi 15 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2011, R.G. n° 2009/AB/52.754

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’octroi de l’indemnité de protection en cas de plainte déposée pour harcèlement moral et de dommages et intérêts complémentaires éventuels.

Les faits

Une employée administrative d’une ASBL se voit reprocher par le secrétaire général de l’institution d’avoir informé l’ensemble des membres du conseil d’administration de la démission du trésorier de l’asbl, démission intervenue dans un contexte de conflit. Il lui est reproché le fait d’avoir excédé ses prérogatives. D’autres griefs lui sont faits, concomitamment.

L’employée tombe en incapacité de travail pendant deux mois et demi, celle-ci étant justifiée par certificats médicaux.

Dans le cours de celle-ci, l’asbl lui fait savoir qu’elle envisage de mettre fin au contrat de travail mais ne précise pas de date. Celle-ci réagit en soulignant qu’en l’absence d’une notification de préavis conforme à la loi, elle considère que son contrat n’est pas rompu. Un échange de correspondance intervient entre le conseil de l’employée et l’association. Celle-ci dépose, ensuite, plainte du chef de harcèlement moral auprès de l’Inspection du Contrôle du bien-être au travail. Une dizaine de jours plus tard, le contrat de travail est rompu moyennant paiement d’une indemnité équivalente à trois mois de rémunération.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles, non sans avoir sollicité sa réintégration, réintégration refusée par son ex-employeur.

Elle va demander, devant le tribunal, un complément d’indemnité compensatoire de préavis, une indemnité de protection en application de l’article 32 tredecies de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être au travail. Elle sollicitera, ultérieurement, par voie de conclusions, des dommages et intérêts du chef de préjudice matériel et moral suite au harcèlement dont elle déclare avoir été victime.

Position du tribunal du travail

Par jugement du 15 septembre 2009, le tribunal fait très partiellement droit à la demande, allouant des montants intervenant en régularisation de sommes dues. Il déboute l’employée des deux chefs de demande relatifs au harcèlement ainsi que de celui concernant le complément d’indemnité compensatoire de préavis.

Position de la cour du travail

Suite à l’appel interjeté par l’employée, la cour est saisie des trois chefs de demande principaux présentés par celle-ci devant le tribunal et rejetés par lui.

En ce qui concerne la détermination du préavis convenable, s’agissant d’une employée travaillant au moment du licenciement à temps partiel, la cour rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 avril 1999 (arrêt 45/99) selon lequel la fixation de la durée de préavis doit dans cette hypothèse se faire par référence à une occupation à temps plein. L’ancienneté prise en compte doit, par ailleurs, remonter au début des prestations même si la cour relève avec les parties que, en cours de celles-ci, elles ont marqué accord pour transformer un temps plein et temps partiel et que l’indemnité compensatoire de préavis pour le temps plein a été payée à ce moment. Il s’agit de l’application de la jurisprudence de la Cour de cassation : si les parties sont liées successivement par deux contrats de travail, la relation de travail n’est pas interrompue par la circonstance qu’il a été mis fin au premier contrat de travail et que, pendant le délai de préavis en cours, un second contrat de travail a été conclu (Cass., 29 octobre 1990, Pas., 1992, I, 223). La cour apprécie dès lors les éléments de fait de l’espèce et conclut que le préavis convenable devait être de cinq mois.

Mais c’est essentiellement sur l’articulation entre les deux autres chefs de demande que la cour s’attarde.

En ce qui concerne l’indemnité de protection de l’article 32 tredecies de la loi du 4 août 1996, après avoir rappelé les principes, notamment en matière de charge de la preuve des motifs étrangers, la cour relève en premier lieu que, même si l’employeur avait notifié son intention de licencier et que la plainte a été déposée ultérieurement, la lettre adressée ne constitue pas un acte de congé, celui-ci intervenant plus tard. L’employée était dès lors protégée contre le licenciement. Elle a déposé une plainte circonstanciée, plainte motivée conformément aux exigences de l’article 27 de l’arrêté royal du 17 mai 2007 relatif à la prévention de la charge psychosociale occasionnée par le travail et elle a ainsi respecté les procédures en vigueur.

Examinant ensuite les motifs du licenciement, la cour retient que les motifs donnés par l’employeur pour justifier sa décision sont liés aux faits reprochés par l’employée aux nouveaux administrateurs (et vice-versa). Il en va ainsi de l’événement déclencheur du harcèlement selon l’employée, étant la diffusion de la lettre de démission du trésorier, ainsi que d’autres faits visés dans la plainte (problèmes liés à des virus informatiques), et le refus qu’avait manifesté l’intéressée de restituer les clés pendant son incapacité de travail, fait à la fois repris comme motif de licenciement et visé dans la plainte pour harcèlement. La cour en conclut que les faits à l’origine de la rupture et repris par ailleurs dans la plainte sont assez largement identiques et que les griefs que se font chacune des parties résident dans la même situation conflictuelle. Le licenciement n’est dès lors pas intervenu, pour la cour, pour des motifs étrangers à la plainte déposée.

En ce qui concerne par ailleurs les dommages et intérêts réclamés pour harcèlement moral, la cour reprend la définition du harcèlement tel que contenue dans l’article 32ter, 2° de la loi du 4 août 1996 et retient qu’il faut des conduites abusives, qu’elles se produisent pendant un certain temps et doivent avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité, … ces conduites pouvant être volontaires ou involontaires et se manifester de diverses manières.

La cour va sur cette question retenir que les faits invoqués restent relatifs au contexte conflictuel commun à la plainte et au licenciement mais qu’ils ne sont pas révélateurs de conduites abusives ayant les caractéristiques légales requises. Isolément ou dans leur ensemble, ils ne semblent pas constituer du harcèlement moral. La cour considère que l’asbl renverse la présomption, démontrant que son comportement résulte de l’exercice de l’autorité patronale pour certains faits, que pour d’autres il n’est pas abusif et que, enfin, il peut encore se justifier pour des raisons d’organisation. La cour ne fait dès lors pas droit à la demande de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend, de manière rigoureuse, les critères à retenir d’une part pour déterminer les conditions de l’existence de la protection contre le harcèlement et d’autre part ceux permettant d’allouer des dommages et intérêts pour de tels faits : la protection peut exister même si le harcèlement ne sera pas démontré, dans la mesure où les faits repris dans la plainte (dûment motivée selon les dispositions réglementaires requises) et ceux à la base du licenciement sont identiques. Par contre, des dommages et intérêts ne pourront être alloués, en sus, que si les faits de harcèlement sont dûment établis.


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