Terralaboris asbl

Action subrogatoire de l’organisme assureur en cas de possibilité de cumul de réparations – petit rappel du mécanisme légal

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 avril 2011, R.G. 2008/AB/51.401

Mis en ligne le lundi 20 juin 2011


Cour du travail de Bruxelles, 13 avril 2011, R.G. n° 2008/AB/51.401

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations de l’organisme assureur en cas de possibilité de cumul de réparations : il doit exercer son action subrogatoire. A défaut, il ne peut réclamer un indu à l’assuré social.

Les faits

Une victime d’un accident du travail bénéficie, dans l’attente du règlement du litige, d’indemnités d’incapacité de travail prévues par la législation sur l’assurance maladie-invalidité, et ce pendant neuf ans.

Un arrêt est rendu en 1980 par la Cour du travail de Bruxelles qui fixe l’incapacité définitive à 100%.

L’entreprise d’assurances invite l’organisme assureur à lui communiquer ses débours et à arrêter son intervention. Des courriers sont échangés entre les deux institutions.

Ultérieurement l’organisme assureur constate qu’il a commis une erreur en ce qui concerne la date de prise de cours de son intervention et demande le remboursement d’indemnités pour la période antérieure. L’entreprise d’assurances refuse, les indemnités pour cette période ayant, entretemps, été versées à la victime. L’organisme assureur réclame, en conséquence, remboursement à cette dernière.

En cours de procédure, le montant est majoré et atteint un chiffre de l’ordre 20.000€.

Suite au décès de l’intéressé, une citation en reprise d’instance est lancée contre sa veuve.

La position du tribunal

Par jugement du 2 décembre 1998, le Tribunal du travail de Bruxelles déboute la mutuelle de sa demande.

Il se réfère à un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1988 (Cass., 19 décembre 1988, J.T.T., 1989, p. 185), qui a considéré que, si l’organisme assureur omet d’exercer correctement le droit de subrogation que lui confère (à l’époque) l’article 70, § 2 de la loi du 9 août 1963, il n’est pas en droit de récupérer sur pied de l’article 97 de la même loi les indemnités versées à son assuré qui n’étaient pas indues au moment où le paiement est intervenu.

La position des parties en appel

La mutuelle conteste la position du premier juge, se référant à un arrêt précédent, rendu par la Cour de cassation le 19 février 1975 (Pas., 1975, I, p. 626), qui avait admis, en cas de cumul non autorisé entre les indemnités de l’assurance maladie-invalidité et la réparation du même dommage en droit commun ou par une autre législation, que l’organisme assureur pouvait récupérer également l’indu auprès de son assuré. Cet arrêt avait aussi statué sur le point de départ de la prescription, étant la date à laquelle l’indu prohibé s’était réalisé.

En ce qui concerne la veuve, celle-ci développe une argumentation essentiellement tirée de l’irrecevabilité de l’action à son égard, au motif qu’elle n’avait pas la qualité d’héritière unique. Elle fait également valoir qu’en l’absence d’un patrimoine commun d’après le régime matrimonial applicable, l’action ne pouvait pas être intentée contre elle en sa qualité d’épouse. Elle soulève encore d’autres arguments, dont, notamment, le fait que le montant des sommes réclamées est supérieur à celles que son mari avait réellement perçues et, sur l’action subrogatoire, elle plaide que celle-ci exclut l’action en répétition de l’indu à l’égard de l’assuré.

La position de la cour du travail

La cour estime ne pas devoir répondre aux arguments de la veuve tirés de sa qualité d’épouse, arguments qui concernent non la recevabilité mais le fond. Elle retient qu’à partir du moment où un paiement indu a été effectué, il peut être récupéré à sa charge.

La cour accorde cependant des développements importants sur le mécanisme légal, vu - précisément - les deux arrêts différents de la Cour de cassation dont se prévalent chacune des parties.

La cour rappelle que, en vertu des dispositions légales, l’organisme assureur est subrogé de plein droit au bénéficiaire à concurrence du montant des prestations octroyées pour la totalité des sommes dues en vertu d’une législation belge ou étrangère ou encore en vertu du droit commun. Il faut, cependant, que lesdites sommes réparent partiellement ou totalement le dommage couvert par l’intervention en soins de santé.

L’assuré social doit mettre son organisme assureur dans la possibilité d’exercer son droit subrogatoire, dans l’hypothèse où il est susceptible de bénéficier d’autres prestations et son devoir d’information à cet égard est important. Si, à la suite d’une erreur ou d’une fraude, des prestations d’assurance soins de santé lui sont versées indument, il sera tenu à remboursement.

La cour examine d’abord la question de la prescription, étant à partir des éléments de fait, son point de départ (paiement fait par l’assureur loi à la victime) et ses interruptions successives (lettre recommandée et requête devant le tribunal).

A supposer que l’action en récupération puisse être exercée, son montant est limité à celui que l’assuré a reçu en vertu de l’autre législation avec laquelle le cumul est interdit. Il y a dès lors lieu, ainsi que le relève la cour, de procéder à un recalcul, qui va nécessairement ici encore aboutir à réduire le montant réclamé. Elle relève à cet égard que, pour une période où le montant dû en loi a été inférieur à l’indemnité due en assurance maladie, la totalité des indemnités ne pouvait pas être récupérée.

La cour va alors examiner les deux arrêts de la Cour de cassation, aboutissant à des conclusions différentes dans l’hypothèse de l’absence d’exercice par l’organisme assureur de son action subrogatoire.

Dans l’arrêt du 19 décembre 1988, la Cour de cassation a examiné la situation de l’assuré social qui avait perçu une indemnisation pour la même période de la part du tiers responsable et la Cour suprême y a conclu que, l’assuré social bénéficiant dans une telle hypothèse des prestations de l’assurance maladie-invalidité en vertu d’un droit qui lui est légalement conféré, si l’organisme assureur n’exerce pas totalement ou partiellement son droit de subrogation, il ne peut réclamer le remboursement des prestations au bénéficiaire lui-même.

La cour du travail relève que cet arrêt paraît en contradiction avec les motifs de celui rendu par la Cour suprême le 19 février 1975, où celle-ci admettait qu’existait un choix pour l’organisme assureur entre l’action subrogatoire et l’action en répétition de l’indu à charge de l’assuré.

La doctrine a, cependant, en majorité exclu ce choix et la solution a été critiquée abondamment (voir nombreux auteurs repris dans l’arrêt).

La cour du travail précise également que l’espèce tranchée par l’arrêt du 19 février 1975 était un peu différente, le recours (introduit par l’assuré social qui avait été condamné à rembourser l’indu) ne mettant pas en cause la possibilité d’une action en répétition de l’indu mais invoquant essentiellement que le cumul prohibé était intervenu à un moment antérieur à celui retenu par l’arrêt de fond, ce qui entraînait la prescription de l’action. La Cour de cassation n’a, ainsi, comme le rappelle la cour du travail, pas eu à se prononcer sur le choix existant dans le chef de l’organisme assureur.

Il y a dès lors lieu de retenir l’enseignement de l’arrêt du 19 décembre 1988, d’autant que cette solution est conforme à la Charte de l’assuré social (non applicable dans le cas d’espèce), qui rend impossible la récupération d’un paiement indu ayant obtenu ce caractère suite à une erreur de l’institution de sécurité sociale et dont l’assuré social n’a pas pu se rendre compte (art. 17 de la Charte de l’assuré social).

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La conclusion de cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est claire : en cas de possibilité de cumul de réparations dans le cadre de législations différentes, l’assuré social a un devoir d’information et l’organisme assureur ne peut réclamer une restitution d’indu s’il n’a pas exercé son action subrogatoire à l’égard du tiers.


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