Terralaboris asbl

Conditions de production en justice d’un courriel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 avril 2011, R.G. 2010/AB/22

Mis en ligne le vendredi 10 juin 2011


Cour du travail de Bruxelles, 7 avril 2011, R.G. n° 2010/AB/22

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 7 avril 2011, statuant dans le cadre des référés, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les limites de la notion du secret de la correspondance et admet que peut constituer une preuve légale la production d’un courriel non confidentiel.

Les faits

Un employé engagé par une société de restauration rapide de qualité (produits naturels et frais) y a acquis la qualité de « Product Manager » et est responsable de divers aspects importants de son activité (qualité des produits, suivi de la qualité, contacts avec les fournisseurs, …). Il est licencié en juillet 2010 moyennant un préavis, qui sera transformé en paiement d’une indemnité globale et une convention de transaction sera signée par laquelle notamment l’intéressé s’engage à respecter une clause de confidentialité. Il est ainsi tenu de s’abstenir d’utiliser toutes informations confidentielles dont il aurait eu connaissance au cours de son contrat, obligation non limitée aux domaines suivants : clients, fournisseurs, stratégie commerciale, savoir-faire et produits. Il reconnaît, par le texte de la convention, qu’il s’agit de secret d’affaires qui ne peuvent être utilisés ou divulgués, directement ou indirectement.

Il fait une offre de services, quelques semaines plus tard, à une autre société, qui assure un service de livraison de repas frais et naturels aux entreprises et aux particuliers. Le responsable de celle-ci lui demande de lui faire une offre qui porterait sur les fournisseurs potentiels de produits frais, ce que l’intéressé fait.

La réaction du responsable de la société ne se fait pas attendre puisqu’il transmet à l’administrateur de l’ex-employeur la réponse qu’il a reçue.

Une action en référé est introduite.

Objet de la demande devant le tribunal du travail

Devant le tribunal du travail, la société demande de prononcer une interdiction de divulgation à des tiers de tout secret de fabrication. Elle énumère de façon non limitative les divers domaines susceptibles d’être couverts. Y figure également une demande relative à une interdiction générale de poser tout acte de concurrence déloyale. La demande vise enfin une condamnation à une astreinte.

Position du Président du tribunal du travail

Dans une ordonnance du 26 novembre 2010, il est partiellement fait droit à la demande de la société, l’interdiction visant la divulgation ou la tentative de divulgation à des tiers de tout secret de fabrication ou d’affaires relatif aux activités de la société, portant notamment sur les fournisseurs actuels de celle-ci, ainsi que sur d’autres aspects de sa spécificité commerciale. Une astreinte est prononcée.

Pour le Président du tribunal, il y a apparence de droit, vu la signature d’une clause de confidentialité. Il constate que prima facie, l’intéressé a tenté de divulguer des secrets d’affaires et que son ex-employeur peut craindre un préjudice grave si des informations confidentielles étaient ainsi communiquées. Ceci justifie l’urgence.

Le Président précise cependant que viser les fournisseurs potentiels de la société dépasse l’examen du droit apparent dans le cadre des référés.

Position des parties en appel

L’employé interjette appel, demandant à titre principal que la demande soit déclarée non fondée et, subsidiairement, que son ex-employeur soit condamné à informer l’ensemble de son personnel, via sa brochure interne, de ce que la décision qui interviendrait ne vaut qu’au provisoire, aucune décision de fond n’étant intervenue.

Il fait valoir essentiellement, à l’appui de sa thèse, que la preuve soumise est illégale, étant un courrier électronique, produit en violation des dispositions relatives à la confidentialité de la correspondance. Il s’appuie sur les articles 8 de la C.E.D.H., 29 de la Constitution, 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques ainsi que 314bis et 460 du Code pénal. Il s’agit des dispositions relatives à la confidentialité de la correspondance. Il fait également valoir l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 22 de la Constitution, mesures relatives au respect de la vie privée.

Dans sa position subsidiaire, il demande à la cour de constater qu’il y a absence de la violation de l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978, sa proposition, à destination de la société qu’il a contactée, portant sur un prix à discuter, un service spécifique et les données librement accessibles qu’il a acquises à l’occasion de son travail.

Il fait également valoir une atteinte à son honorabilité, du fait de la procédure judiciaire.

La société interjette également appel, demandant d’étendre l’interdiction aux fournisseurs potentiels. Elle demande à la cour de retenir que la preuve déposée est légale et ne doit pas être écartée. Elle se fonde sur le fait que les informations que l’intéressé se proposait de communiquer à une société concurrente sont des informations précieuses, bien ciblées, à haute valeur économique et qu’il y a dès lors violation de l’article 17 de la loi sur les contrats de travail ainsi que de la convention de transaction signée lors de la rupture.

Position de la cour du travail

La cour du travail reprend quelques principes relatifs au droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance.

Elle rappelle que l’article 8, 1, C.E.D.H., qui énonce ce principe, protège l’individu contre les ingérences d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit. Des limites sont cependant prévues, étant les exceptions admises par la loi et pour autant qu’il s’agisse de mesures qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, de même qu’à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le même principe est contenu dans l’article 22 de la Constitution, qui prévoit des exceptions aux principes garantis, étant les cas et conditions fixés par la loi.

La cour retient dès lors qu’il y a deux conditions fondamentales exigées pour qu’une atteinte à la vie privée ou à la correspondance soit admise : une exigence de finalité ainsi qu’une exigence de proportionnalité.

À cet égard, la cour examine la notion de « correspondance », étant qu’il s’agit par là d’un échange épistolaire confié à la poste ou à un organisme chargé de la distribution du courrier. Pour la cour, le principe de l’inviolabilité des lettres vaut à l’égard de l’autorité. Une fois la lettre remise à son destinataire, ce sont les principes du droit privé qui garantissent le secret entre les citoyens eux-mêmes.

Ne rentrent pas dans cette définition les envois par courriel, et ce compte tenu de leur mode de transmission. La cour rappelle ici un arrêt de la Cour du travail de Liège (Liège, sect. Namur, 23 mars 2004, R.R.D. 2004, p. 73), selon lequel un courrier qui serait remis en main propre de son destinataire ne doit pas être qualifié de lettre missive, celle-ci étant certes protégée mais sur la base des principes de droit privé liés au respect de la vie privée. Il faut dès lors retenir que pour autant qu’une lettre missive n’ait pas été qualifiée de confidentielle, le tiers peut la produire si le destinataire la lui a cédée ou encore s’il ne se l’est pas procurée par des moyens illicites.

En l’espèce, la cour du travail est d’avis qu’il n’y a pas violation de la vie privée, la société n’ayant pas obtenu frauduleusement le contenu en cause et celui-ci n’ayant pas un caractère confidentiel.

La cour rejette également l’argument tiré de l’article 24 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, retenant que la société n’a pas pris intentionnellement connaissance du courrier litigieux mais que, au contraire, elle en a été informée par son destinataire.

La cour considère encore que les autres dispositions invoquées, et en particulier celles du Code pénal, ne sont pas applicables.
L’ordonnance sera dès lors confirmée.

Intérêt de la décision

C’est essentiellement sur le caractère confidentiel d’un courriel que cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente un intérêt certain, puisqu’elle rappelle la non-application des règles relatives au respect de la correspondance au sens strict et qu’elle exige dès lors, conformément aux principes généraux en matière de respect de la vie privée, que des précisions soient apportées par l’auteur, en ce qui concerne le caractère confidentiel du contenu, s’il entend que le courrier en cause ne soit pas produit.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be