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Réparation de la maladie professionnelle après 65 ans : la Cour constitutionnelle est à nouveau interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2011, R.G. 2004/AB/45.115

Mis en ligne le lundi 28 mars 2011


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2011, R.G. 2004/AB/45.115

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 7 février 2011, la Cour du travail de Bruxelles pose deux questions à la Cour constitutionnelle, comparant la situation de la victime d’une maladie professionnelle, âgée de plus de 65 ans, eu égard aux régimes du secteur public d’une part et des accidents du travail de l’autre. Les questions concernent la situation avant la loi du 23 décembre 2009.

Les faits

Un travailleur mineur se voit reconnaître 35% d’incapacité de travail à l’âge de 54 ans (25% d’incapacité physique + 10% de facteurs socio-économiques). Il introduit ultérieurement une demande en aggravation et, par jugement du 7 octobre 1999, le Tribunal du travail désigne un expert. Selon le rapport de celui-ci, il est proposé de porter le taux d’incapacité physique de 25 à 30% à partir du 26 janvier 2000.

En conséquence, celui-ci demande au Tribunal de fixer l’incapacité globale à 40%, ce que fait celui-ci.

Position des parties en appel

Le Fonds interjette appel le 17 février 2004, demandant à la Cour du travail de réformer le jugement et de maintenir le taux à 35%. Il estime que, vu l’article 35bis des lois coordonnées, les facteurs socio-économiques ne doivent plus être pris en compte, après 65 ans, si ce n’est dans le cadre du régime transitoire prévu par les lois du 30 mars et 21 décembre 1994, pour éviter une diminution du taux global d’incapacité permanente. Pour le Fonds, le taux global doit ainsi rester de 35%.

Le demandeur est décédé entre-temps et sa veuve, poursuivant la procédure, demande confirmation du jugement et sollicite, à titre subsidiaire, que soit posée une question à la Cour constitutionnelle, fondée sur la violation de l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, combiné avec l’article 14 de la Convention et des articles 10 et 11 de la Constitution, quant à l’existence d’une discrimination. Elle pose la question de savoir si, en cas de réévaluation de l’incapacité permanente d’une victime âgée de plus de 65 ans, il est justifié de ne plus tenir compte des facteurs socio-économiques, alors que cette modification des critères de fixation de l’incapacité permanente n’est pas d’application aux victimes des accidents du travail. Elle s’appuie encore sur la convention de l’O.I.T. n° 18, qui précise que le taux de réparation des maladies professionnelles ne doit pas être inférieur à celui que prévoit la législation nationale pour les dommages résultant d’accidents du travail.

La question est ici posée d’une situation discriminatoire entre une victime d’un accident du travail qui, après 65 ans, continue à obtenir réparation de la perte de sa capacité économique, telle qu’elle avait été évaluée avant cet âge, et dès lors que les principes de réparation sont comparables dans les deux régimes. Elle se fonde également sur le principe de « standstill » fixé dans l’article 23 de la Constitution.

Position de la Cour

La Cour est saisie uniquement de la question de l’indemnisation des facteurs socio-économiques. La Cour se livre d’abord à une longue analyse en droit des principes gouvernant l’évaluation de l’incapacité permanente découlant d’une maladie professionnelle, principes dégagés dans un arrêt du 11 septembre 2006 de la Cour de cassation (Cass., 11 septembre 2006, S.050037.F) ainsi que de l’incidence des facteurs socio-économiques à partir de 65 ans. Cette deuxième question a évolué sur le plan de la législation.
La Cour rappelle divers arrêts de la Cour de cassation rendus dans les années 1980 (Cass., 29 septembre 1986, Pas., 1987, I, p. 122 et Cass., 29 décembre 1986, Pas., 1987, I, p. 526), selon lesquels les facteurs socio-économiques doivent encore être pris en compte après l’âge de la retraite et qu’il n’y a pas lieu de se limiter à l’indemnisation de la seule incapacité physiologique. Cette conclusion de la Cour de cassation a entraîné, comme le rappelle la Cour du travail, l’adoption d’un arrêté royal en date du 31 mars 1987, qui a introduit dans la loi l’article 35bis, selon lequel, en cas de contestation ou de revision du taux d’I.P.P. après l’âge de 65 ans, il est tenu compte dans l’évaluation de la diminution de capacité de gain normale, produite par la limitation effective des possibilités de travail sur le marché de l’emploi, qui valent pour tous ceux qui appartiennent à cette catégorie d’âge. Pour la Cour, il faut ainsi déterminer les répercussions socio-économiques en fonction uniquement du marché du travail des plus de 65 ans.

Il y eut encore une modification législative en date du 30 mars 1994, qui a abouti à la suppression de toutes répercussions socio-économiques à partir de cet âge. Un régime transitoire a cependant été introduit pour les personnes ayant atteint l’âge de 65 ans avant le 31 décembre 1993.

Après avoir encore rappelé l’intervention de la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 6 mai 1997 (arrêt n° 26/97), qui a conclu au caractère non déraisonnable de la justification donnée à la mesure, ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2003 (S.020066.F), qui a statué dans le cadre du régime transitoire, la Cour reprend encore les modifications ultérieures survenues en vue de rétablir très partiellement l’incidence des facteurs socio-économiques. Elle constate qu’en l’espèce, la situation critiquée est celle antérieure à la loi-programme du 23 décembre 2009, qui rétablit entièrement ceux-ci en cas de revision après 65 ans, puisque son paragraphe 2 dispose que, si le taux d’incapacité permanente est déterminé après 65 ans, la diminution de la capacité de gain normale produite par la limitation effective des possibilités de travail sur le marché de l’emploi n’est pas prise en considération dans l’évaluation du taux.

L’examen de la Cour est dès lors circonscrit à la période entre les lois du 30 mars et 21 décembre 1994 et la loi-programme du 23 décembre 2009. Elle pose la question de l’existence d’une différence de traitement injustifiée, étant en l’occurrence que, même en tenant compte du régime transitoire, le taux global reste à 35%, bien que l’incapacité physique ait augmenté de 5%. La Cour admet, ici, la question posée par la veuve, eu égard aux bénéficiaires d’une indemnisation suite à un accident du travail, et élargit d’office sa réflexion à la différence de traitement par rapport aux personnes bénéficiant d’une indemnisation pour maladie professionnelle dans le secteur public.

Elle juge en conséquence utile d’interroger la Cour constitutionnelle sur cette différence de traitement, tenant en outre compte de l’abondante jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a admis que des différences de traitement apparaissent, dans les différents régimes, « tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre », sous la réserve que chaque règle soit conforme à la logique du système auquel elle appartient. La Cour relève ici particulièrement que, pour les maladies professionnelles, la limitation des facteurs socio-économiques après 65 ans n’existe pas dans le secteur public. Elle accueille également l’argument de la veuve, selon lequel il faut examiner également les différences de traitement au regard de l’article 1er du premier Protocole additionnel de la C.E.D.H., et ce sur la base de l’abondante jurisprudence relative à la reconnaissance d’un droit patrimonial, protégé par cette disposition. Elle rappelle que la Cour européenne déduit de l’applicabilité de l’article 1er du premier Protocole que le droit aux prestations doit être garanti dans le respect du principe de non-discrimination déposé à l’article 14 de la Convention, de sorte que seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement dans l’octroi des prestations sociales. Dans un arrêt ANDREJEVA contre LETTONIE du 18 février 2009, la Cour européenne a précisé, comme le souligne la Cour du travail, qu’il incombe au gouvernement de démontrer que cette différence de traitement est justifiée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est très important et l’on attendra impatiemment la décision que rendra la Cour constitutionnelle, puisque sont ici en cause les deux régimes de réparation du risque professionnel et, également, pour les maladies professionnelles, le mécanisme de réparation du secteur privé comparé au secteur public. Si la loi-programme du 23 décembre 2009 a rétabli la situation initiale, il n’en demeure pas moins que de très nombreuses situations sont actuellement régies par les dispositions précédentes.


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