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Responsabilité civile du secrétariat social en cas de manquements aux obligations contenues dans son règlement organique

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2010, R.G. 2008/AB/51.603 et 2009/AB/51.790

Mis en ligne le lundi 28 mars 2011


Cour du travail de Bruxelles, 15 décembre 2010, R.G. 2008/AB/51.603 et 2009/AB/51.790

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 15 décembre 2010, la Cour du travail de Bruxelles condamne un secrétariat social qui avait commis des erreurs dans le calcul de rémunérations, alors que les données correctes avaient été apportées par son client.

Les faits

Une Dame P. exploite à titre personnel une activité liée à la garde et à l’animation pour enfants. Elle engage une animatrice/puéricultrice. Les conditions de travail et de rémunération reprises dans le contrat de travail sont celles de la commission paritaire n° 305/2. Des instructions sont données sur cette base au secrétariat social afin qu’il détermine le montant de la rémunération. L’activité est ultérieurement cédée à une A.S.B.L. et l’animatrice est maintenue en service. Elle sera licenciée trois ans plus tard, en octobre 2005. Un mois plus tard, la mise en liquidation de l’A.S.B.L. est ordonnée par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

L’animatrice, licenciée, lance citation contre son employeur (personne physique) et l’A.S.B.L. Elle réclame notamment des arriérés de rémunération.

Position du Tribunal

Par jugement du 28 juillet 2008, le Tribunal condamne l’A.S.B.L. en liquidation à payer à l’intéressée une somme d’environ 14.000 €. Il s’agit de la différence entre la rémunération barémique à laquelle elle pouvait prétendre et les rémunérations effectivement versées pendant la période d’occupation (octobre 2002 à octobre 2004). Ce montant est majoré du pécule de vacances et des intérêts. L’employeur (personne physique) est condamné in solidum et le secrétariat social est tenu de garantir l’A.S.B.L. à concurrence de 50% des intérêts relatifs à la condamnation.

Position des parties en appel

L’employeur (personne physique) demande, en ce qui concerne le secrétariat social, que celui-ci le garantisse de l’intégralité des condamnations en principal, intérêts et frais.

L’A.S.B.L. en liquidation fait la même demande.

Quant au secrétariat social, qui a également interjeté appel, il sollicite que soient déclarées non fondées les demandes en garantie dirigées contre lui. A titre subsidiaire, il demande la condamnation de l’employeur (personne physique) et de l’A.S.B.L. en liquidation à le garantir in solidum contre toute condamnation qui serait prononcée contre lui vu les demandes également formées par l’animatrice à son égard, et ce à concurrence de ce qui excèderait sa propre condamnation dans le cadre de l’action en garantie engagée contre lui par l’employeur (personne physique) et l’A.S.B.L. en liquidation.

Sur le fond, l’affaire étant complexe, l’employeur fait valoir la C.C.T. 32bis et met en cause la responsabilité professionnelle du secrétariat social, dont il conteste que la condamnation puisse être limitée à 50% des intérêts. Elle signale en effet avoir toujours été affiliée à ce secrétariat social et avoir été confrontée à l’information relative à l’erreur des barèmes fin 2004, chose qu’elle signala immédiatement au secrétariat social en vue de rectifier la situation et d’appliquer les barèmes corrects. Elle se fonde sur le contenu du règlement organique du secrétariat social, de l’absence de prise en compte par lui des conventions collectives obligatoires (alors que la commission paritaire compétente était reprise sur les fiches de paie), de même que sur d’autres carences, relatives notamment à l’absence d’information sur la possibilité d’obtenir certains avantages. Sur le plan juridique, elle fait valoir que le secrétariat social est lié par un contrat de mandat rémunéré et qu’il ne peut se prévaloir d’une clause d’exonération de responsabilité.

Sur le lien entre la faute du secrétariat social et le dommage, ainsi que son ampleur, elle développe les circonstances de fait qui ont amené au déséquilibre de gestion de son activité, vu la période de 3 ans sur laquelle s’est étalée la situation critiquée.

Elle conclut à la perte d’une chance de pouvoir rétablir la situation, le secrétariat ne l’ayant pas informée immédiatement et en temps utile de la possibilité de demander une dérogation en matière de paiements. Elle voit un lien entre la mise en liquidation de l’A.S.B.L. et les fautes du secrétariat social, ceux-ci justifiant l’intervention en garantie pour la totalité des sommes réclamées.

Quant au secrétariat social, il considère ne pas avoir commis de faute contractuelle, exposant avoir toujours appliqué les barèmes en vigueur au sein de la commission paritaire (305/2). Il fait valoir des difficultés internes à ce secteur, ayant abouti à des interprétations ministérielles des conditions de rémunération en vigueur, à la conclusion de trois conventions collectives de travail en peu de temps, ainsi que le temps mis pour les dépôts, enregistrements et publications respectifs. De manière plus générale, il se réfère aux difficultés rencontrées par tous les secrétariats sociaux pour accéder aux informations contenues dans les diverses C.C.T. des diverses sous-commissions paritaires du secteur non-marchand et souligne le fait que, n’étant pas partie à la négociation, les secrétariats sociaux ne disposent pas des moyens dont dispose une fédération patronale ou un syndicat.

Enfin, sur le plan du mandat, il considère que celui-ci contient une obligation de moyen : la faute doit être établie et l’affilié doit démontrer qu’il a mal exécuté son mandat.

Décision de la Cour du travail

La Cour dresse, longuement, l’état des lieux des relations entre parties et, après avoir fixé le montant dû à l’employée, examine la question de la responsabilité contractuelle du secrétariat social. La Cour soulève que, selon son propre règlement organique, il s’était engagé à effectuer le calcul des salaires, y compris les augmentations conventionnelles résultant des C.C.T., sauf si le membre affilié donnait d’autres instructions écrites à ce sujet et sous sa seule responsabilité. La Cour relève également qu’il s’engage à mettre à la disposition de ses affiliés une information générale et pratique, qu’il qualifie lui-même de « actuelle, fiable et précise », sans toutefois s’engager à l’exhaustivité.

La Cour va conclure à la responsabilité du secrétariat social et considérer que c’est en vain qu’il invoque une exonération de responsabilité. Les difficultés qu’il peut rencontrer pour obtenir les informations ne l’empêchent pas de respecter ses obligations (et même s’il s’agit de qualifier celles-ci d’obligations de moyen) dans la mesure où il s’est engagé de manière précise à calculer chaque mois les salaires, et ce en tenant compte des C.C.T. applicables, toujours selon son règlement organique.

La Cour voit un lien direct entre la faute du secrétariat social et le retard apporté au paiement des rémunérations, tant que l’employeur n’a pas été informé du calcul correct de celles-ci. Pour la Cour, le dommage ne se limite pas aux intérêts. Si la dette en principal (arriérés de rémunération et pécule) trouve sa source dans le contrat de travail et est donc celle de l’employeur, la Cour constate le lien évident entre la régularisation tardive des rémunérations et l’ampleur des problèmes financiers de l’A.S.B.L., ainsi que le moment de sa mise en liquidation. Elle relève notamment que, dans le contexte particulier d’une crèche, il était impossible pour l’employeur de rattraper tout d’un coup l’adaptation des coûts et ressources, adaptation qui n’avait pas pu être réalisée en temps utile ni de manière progressive. Le lien est ainsi établi entre le coût brutal des rectifications à opérer et la mise en liquidation rapide. La Cour souligne encore que c’est ce motif de mise en liquidation qui a été invoqué pour refuser au liquidateur de l’A.S.B.L. une dispense en matière d’application de revalorisations salariales, annihilant ainsi toute chance de survie dans le chef de l’association.

La Cour va dès lors considérer qu’à l’égard de l’A.S.B.L. en liquidation, la réparation du dommage doit intégrer l’impact financier du déséquilibre opéré dans la gestion, du fait que le coût salarial exact n’était pas connu à temps et du fait que, par sa mise en liquidation rapide, elle n’a pu obtenir la dispense ci-dessus. Ce dommage ne pouvant être déterminé avec exactitude, la Cour l’évalue ex aequo et bono à 30% du montant dû en principal, à 90% des intérêts pour une première période et à 30% ensuite.

Intérêt de la décision

Cette espèce, qui touche le secteur non-marchand et les spécificités liées à la détermination des rémunérations, relève les difficultés pour le secrétariat social de déterminer rapidement toute modification de la rémunération contractuelle à payer par ses affiliés. Celles-ci ne l’empêchent pas, comme le relève la Cour, de voir sa responsabilité contractuelle mise en cause en cas d’informations erronées.


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