Terralaboris asbl

Sanction judiciaire d’un comportement interdit par la loi anti-discrimination du 25 février 2003

Commentaire de Trib. trav. Gand, 26 mars 2007, R.G. 176.893

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Tribunal du travail de Gand – 26 mars 2007 – R.G. n° 176.893

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un jugement du 26 mars 2007, le Tribunal du travail de Gand, siégeant en référé, a lourdement condamné une société et son gérant pour discrimination dans l’embauche sur la base de l’origine ethnique.

Les faits

Une société d’installation de dispositifs de sécurité plaça dans un journal publicitaire une annonce en vue d’engager un technicien – vendeur ayant comme profil d’être âgé de 30 à 50 ans, d’avoir une apparence soignée, un feeling commercial, d’être désireux d’apprendre, indépendant, et d’avoir un esprit de travail d’équipe.

Un jeune homme d’origine turque présenta son curriculum vitae par courriel. Celui-ci faisait état d’une bonne expérience, eu égard au profil recherché. Dès le lendemain, en tout début de matinée, il reçut un courriel en réponse, lui signifiant poliment que sa candidature n’avait pas été retenue et que la société lui souhaitait bonne chance pour son avenir.

Sous le courriel, toutefois, se trouvait une instruction interne adressée au service comptabilité et qui demandait d’éconduire l’intéressé, précisant : « un étranger qui va vendre du matériel de sécurité, ça je n’ai encore jamais vu ».

Suite à ces faits, l’intéressé, épaulé par le Centre de l’égalité des chances, introduisit une action devant le Président du Tribunal du travail.

La procédure

L’action était à la fois dirigée contre la société et contre son gérant.

L’objet de la demande

Il était demandé au Président du Tribunal de constater que les défendeurs étaient responsables de discrimination directe, sur la base de l’article 19, § 1 de la loi anti-discrimination, du fait d’avoir rejeté la candidature du travailleur sur la base de sa nationalité et/ou de son origine ethnique.
En conséquence, il était sollicité de faire injonction aux défendeurs de mettre un terme à ces pratiques discriminatoires ; en application de l’article 20 de la loi, une astreinte d’un montant de 2.500 euros pour la société et de 500 euros pour le gérant par nouvelle infraction était également demandée, et ce à dater de la signification du jugement à intervenir.
Enfin, la publication dans différents journaux aux frais des défendeurs était sollicitée, à savoir la publication du jugement ou d’un passage à déterminer par le Tribunal, et ce dans sept des plus grands journaux flamands, publication à intervenir dans le mois de la signification du jugement avec, également, une astreinte de 250 euros par jour de retard.

La position des parties

Les défendeurs contestaient la recevabilité de l’action en tant qu’elle était dirigée contre le gérant.

Sur le fond, ils estimaient que le candidat ne pouvait faire état du courriel puisqu’il ne lui était pas adressé et qu’il était à usage purement interne. Ils faisaient valoir que trois raisons au moins justifiaient l’attitude prise, étant d’une part la réaction des clients lorsqu’ils voyaient arriver un étranger chez eux, qui se présentait comme technicien – vendeur ; en outre, le fait qu’ils auraient eu des renseignements négatifs quant au passé professionnel de l’intéressé et, enfin, qu’ils auraient appris qu’il avait également un passé judiciaire.

Ils relevaient par ailleurs que, entre-temps, l’intéressé avait été engagé comme représentant et que la société avait fait figurer sur son web site une rubrique précisant bien qu’elle ne pratiquait pas de discrimination raciale.

Les défendeurs introduisaient également une demande reconventionnelle, par laquelle ils faisaient toute réserve sur le préjudice subi, du fait de la médiatisation de l’affaire, qui aurait entraîné une perte de clientèle.

La position du Tribunal

Sur la recevabilité vis-à-vis du gérant, le Tribunal l’admet, considérant que l’obligation de respecter la loi anti-discrimination s’impose à tout qui représente l’employeur, en l’occurrence, au gérant de la société, et ce d’autant plus qu’il ne peut nier être concerné par le courriel litigieux.

Le Tribunal poursuit en admettant la recevabilité de l’action en cessation, émanant du demandeur ainsi que du Centre pour l’égalité des chances, qui est fondé à intervenir, en application de l’article 19 § 1 et 31 de la loi anti-discrimination.

Le Tribunal balaie, ensuite, les arguments invoqués pour ne pas retenir la candidature de l’intéressé et rappelle alors le cadre légal en la matière, tenant compte de l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 6 octobre 2004. Il faut comprendre, actuellement, qu’il y a discrimination directe lorsqu’une différence de traitement n’est pas justifiée objectivement et raisonnablement. La discrimination sera indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a, en tant que tel, un résultat dommageable pour des personnes auxquelles s’applique un des motifs de discrimination, à moins que cette discrimination, ce critère ou cette pratique, ne reposent sur une justification objective et raisonnable. En tout état de cause, toute forme de discrimination est interdite.

Le Tribunal relève que, depuis l’arrêt de la Cour d’arbitrage, la distinction entre discrimination directe et indirecte ne se justifie plus.

L’interdiction de discrimination concerne notamment les conditions d’accès au travail salarié, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement. Une différence de traitement pourrait exister si elle reposait sur une justification objective et raisonnable.

Examinant les éléments de la cause, le Tribunal relève que les faits sont clairs et parlent d’eux-mêmes : l’employeur ne voulait pas engager d’étranger, à savoir quelqu’un qui ne serait pas d’origine belge. Vu la chronologie des faits et tenant compte par ailleurs du profil apparemment adéquat du candidat, le Tribunal conclut à l’apparence d’une discrimination sur la base de l’origine nationale ou ethnique. Conformément au mécanisme légal, il appartient dès lors aux parties défenderesses d’établir l’absence de discrimination. Les éléments avancés par elles (exigences de la clientèle, existence de collaborateurs allochtones, passé professionnel et judiciaire de l’intéressé) ne résistent pas à l’analyse et le Tribunal conclut qu’il y a discrimination directe.

Sur l’action en cessation, le Tribunal y fait droit, la circonstance que l’intéressé ait entre-temps retrouvé du travail étant indifférente, vu que le but du législateur est d’éviter que les faits ne se répètent. Le Tribunal ordonne, ainsi, qu’il soit mis fin à la discrimination à l’égard de l’intéressé ainsi qu’à l’égard d’autres candidats et condamne les défendeurs in solidum en cas d’infractions futures à une astreinte de 2.500 euros au bénéfice de l’employé et de 500 euros pour le Centre de l’égalité des chances.

Le Tribunal ordonne également la publication du jugement dans sept grands quotidiens flamands, avec ici aussi une condamnation à une astreinte de 250 euros par jour de retard.

Intérêt de la décision

Il est rare d’avoir des faits aussi clairs, permettant au juge de donner au texte légal sa pleine et entière portée. En l’espèce, le président du Tribunal a fait pleinement usage des possibilités du texte, puisque, après avoir pu conclure à un acte discriminatoire, il fait droit à l’action en cessation, assortissant sa condamnation de lourdes astreintes et de mesures de publicité importantes.


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