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Comportement légitime du travailleur et licenciement abusif : une mise au point de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 27 septembre 2010, R.G. S.09.0088.F

Mis en ligne le mercredi 2 mars 2011


Cour de cassation, 27 septembre 2010, R.G. S.09.0088.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 27 septembre 2010, la Cour de cassation sanctionne la position jurisprudentielle qui conclut au caractère non abusif d’un licenciement intervenant pour un motif lié au comportement légitime du travailleur.

Les faits

Un ouvrier, au service d’une grande société métallurgique se voit imposer six contrats de travail temporaire successifs et irréguliers et refuse d’en signer un septième. Suite à ce refus, il est licencié moyennant une indemnité compensatoire de préavis de trente-cinq jours.

L’ouvrier introduit une procédure, qui va aboutir à l’arrêt de la Cour de cassation annoté.

Position de la cour du travail

La cour du travail de Liège rend un arrêt le 1er avril 2009, concluant au caractère non abusif du licenciement. Elle déboute l’ouvrier de sa demande par une motivation dont le mécanisme est connu : tout en reconnaissant le caractère légitime du refus du travailleur (le refus est parfaitement légitime, dès lors qu’il refuse de se prêter à une fraude à la loi en signant un contrat de travail temporaire qui ne pourrait qu’être antidaté), la cour conclut que, en dépit de ce caractère légitime, il est prouvé à suffisance que le licenciement est lié au comportement de l’ouvrier, vu le refus de signer le contrat litigieux.

Pour la cour du travail, dans l’appréciation du caractère abusif du licenciement au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, il est sans incidence que le comportement de l’ouvrier soit légitime ou non.

La position de la cour du travail est que la Cour de cassation aurait, dans une jurisprudence « constante » conclu à l’absence de tout pouvoir d’appréciation du juge du fond en ce qui concerne le comportement d’un travailleur ayant donné lieu à son licenciement. Dès lors qu’un fait (n’importe lequel) tiré de la conduite du travailleur est établi, le juge serait sans pouvoir pour apprécier si le licenciement consécutif à ce fait est légitime ou non.

En l’occurrence, tout en reconnaissant le caractère légitime du refus (preuve du fait lié à la conduite), le licenciement qui intervient quelque temps après celui-ci perd automatiquement tout caractère abusif.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation est saisie du pourvoi du travailleur, celui-ci ayant obtenu l’assistance judiciaire pour cette procédure devant la Cour suprême.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour du travail de Liège en de brefs attendus : après avoir rappelé la disposition légale et relevé le motif tel que retenu par la cour du travail (refus de signer un nouveau contrat temporaire à durée déterminée alors que le précédent avait pris fin et qu’il se trouvait engagé dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée), elle conclut que, l’arrêt de fond ayant constaté que l’ouvrier avait de la sorte refusé de se prêter à une fraude à la loi, il n’avait pu légalement constater que le licenciement était lié à son comportement.

Intérêt de la décision

L’importance de cette décision de la Cour suprême n’échappera pas, car elle censure la position jurisprudentielle et doctrinale selon laquelle dès qu’un fait du comportement (même légitime) est constaté, il y a absence d’abus. La Cour de cassation démontre ainsi - contrairement à la position de la cour du travail (qui affirmait précisément dans le texte même de sa propre décision s’appuyer sur la jurisprudence ’constante’ de la Cour de cassation) - que le juge du fond conserve un réel pouvoir d’appréciation sur le motif et que, en l’espèce, le caractère légitime du refus étant établi (puisque l’on demandait au travailleur de se prêter à une fraude à la loi), l’article 63 doit trouver à s’appliquer : le licenciement est abusif.

Cet arrêt vient ainsi préciser deux choses, étant (i) que la jurisprudence qualifiée de « constante » de la Cour suprême n’est pas de retirer au juge du fond tout pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le caractère abusif d’un licenciement lié à une conduite légitime et que (ii) le pouvoir du juge du fond reste entier, étant qu’il lui appartient d’identifier le fait constitutif du motif invoqué pour justifier le licenciement et de déterminer si ce fait est susceptible de constituer un motif licite au sens de l’article 63.

En l’occurrence, étant établi que le fait en cause est une demande faite au travailleur de participer à une fraude à la loi, la Cour de cassation conclut qu’il ne peut s’agir d’un motif licite au sens de l’article 63. Elle confirme de ce fait que le comportement légitime du travailleur, dans la circonstance visée, ne peut constituer un tel motif.

Cet arrêt est également exemplatif du contrôle exercé par la Cour suprême : (i) rappel de la règle de droit, (ii) identification du motif tel que le juge du fond l’a défini (sans que la Cour de cassation ne se prononce sur les faits sous-jacents – cet examen n’étant pas de sa compétence) et (iii) vérification de l’adéquation à la norme légale du motif défini par le juge du fond.


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