Terralaboris asbl

Allocations familiales pour travailleurs salariés : prise de cours d’une demande de changement d’allocataire

Commentaire de C. trav. Mons, 2 juin 2010, R.G. 2007/AM/20.508 et 20.522

Mis en ligne le jeudi 24 février 2011


Cour du travail de Mons, 2 juin 2010, R.G. 2007/AM/20.508 & 20.522

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 juin 2010, la Cour du travail de Mons rappelle le mécanisme combiné des articles 69bis, § 1er, alinéa 3 et 70bis, alinéa 1er des lois coordonnées en ce qu’il fixe la prise de cours d’une demande de changement d’allocataire admise par les juridictions du travail.

Les faits

Un couple se sépare en février 2000 et l’autorité parentale sur l’enfant commun est exercée par semaine conjointement. Le juge de référé prévoit dans son ordonnance que l’hébergement alterné sera organisé dans l’attente du résultat d’une enquête sociale permettant de déterminer quel parent pourra assumer l’hébergement principal.

L’enfant étant domicilié chez le père, celui-ci demande à la Caisse d’allocations à percevoir celles-ci, ce qui est fait. La mère réintroduit ultérieurement une procédure judiciaire aux fins d’obtenir l’hébergement principal. L’enfant restant domicilié chez elle, elle perçoit les allocations familiales à partir du 1er novembre 2003.

Elle introduit une procédure devant le tribunal du travail de Mons afin d’avoir la qualité d’allocataire pour la période antérieure à la deuxième décision judiciaire.

La position du tribunal

Par jugement du tribunal du travail de Mons du 13 décembre 2006, il est fait droit à sa demande, mais pour une période de quatre mois uniquement. Le tribunal rappelle qu’il y a lieu de se référer à l’article 69 § 1er des lois coordonnées et constate que la mère élevait effectivement son fils depuis le 1er juillet 2003 (date du début de la période pour laquelle il sera fait droit à la demande). Il la désigne dès lors en la qualité d’allocataire jusqu’au 31 octobre 2003, la seconde décision judiciaire rendue entre les parties lui ayant conféré cette qualité à dater du 1er novembre 2003.

La requête ayant été introduite en octobre 2006, le premier juge admit pouvoir statuer pour une période passée, au motif que l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées ne limitait pas la compétence du tribunal du travail au futur et que la mère devait percevoir les allocations, dans l’intérêt de l’enfant et eu égard aux décisions rendues par le juge des référés. Il trancha, ainsi, pour ne période antérieure à sa saisine.

Position des parties devant la Cour

La mère soutient que la qualité d’allocataire doit lui être reconnue depuis décembre 2000 et que la Caisse doit lui verser les allocations depuis cette date. Elle fait également valoir que, si la Cour devait considérer que la Caisse n’est pas tenue de verser intégralement les allocations pour cette période, le père devrait alors être condamné à ce faire.

En ce qui concerne la Caisse, celle-ci conteste la période de quatre mois retenue pour le premier juge entre juillet et octobre 2003. Elle a payé les allocations depuis septembre 2000 jusqu’à la fin de cette période au père et estime avoir respecté l’article 69, § 1er des lois coordonnées, les conditions légales étant réunies : coparenté, domiciliation de l’enfant à l’adresse du père et demande formulée par le père en août 2000 en vue d’être considéré comme allocataire.

La Caisse conteste par ailleurs que la demande de désignation d’un allocataire en cas de défaut d’accord des parents puisse avoir un effet rétroactif. La Caisse rappelle que, en vertu des articles 69 et 70 des lois coordonnées, tout changement intervenant dans le courant d’un mois produit ses effets le premier jour du mois au cours duquel ce changement a lieu, de telle sorte que ceci ne peut intervenir qu’à partir du premier jour suivant le mois au cours duquel la décision judiciaire est rendue.

La position de la Cour du travail

La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées, si les parents ne cohabitent pas (ou plus) mais exercent l’autorité parentale conjointe, la mère est allocataire prioritaire. L’autorité parentale doit être exercée conformément à l’article 374 du Code civil et l’enfant ne peut pas être élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire, conditions mises par la disposition. La Cour relève ainsi qu’il faut distinguer deux hypothèses, étant que, si l’enfant est effectivement élevé par ses parents, la mère a la priorité et, par contre, s’il est exclusivement ou principalement élevé par un autre allocataire c’est la personne (physique ou morale) qui élève effectivement l’enfant qui aura cette qualité.

La situation peut cependant se présenter autrement, le changement d’allocataire pouvant être sollicité par simple demande introduite auprès de la Caisse, l’allocataire pouvant par ailleurs être désigné par le tribunal du travail ou les parents pouvant encore accepter que les allocations familiales soient versées sur un compte ouvert en leurs deux noms.

Dans la première hypothèse, le père peut demander que les allocations lui soient intégralement payées à la condition qu’il ait la même résidence principale que l’enfant. L’enfant doit donc être inscrit à la même adresse que lui, et ce depuis la loi du 25 janvier 1999 qui a modifié en ce sens l’article 69, § 1er, alinéa 3. Auparavant le père devait soit obtenir une décision du tribunal du travail soit faire opposition devant le juge de paix au paiement des allocations à la mère dans l’intérêt de l’enfant.

La Cour rappelle que l’article 70bis des lois coordonnées – qui constitue une norme à caractère d’ordre public et de stricte interprétation - prévoit que le changement d’allocataire opéré par application de l’article 69 ci-dessus produit ses effets le premier jour du mois qui suit celui du changement. La Cour cite une abondante jurisprudence et se réfère également à la doctrine (M. WESTRADE, « Jurisprudence – Droit social : Inédits de sécurité sociale (XV) – Handicapés – Allocations familiales – Droit judiciaire social », J.L.M.B., 2000, p. 406).

Reprenant les éléments de l’espèce, la Cour retient que c’est à bon droit que la Caisse a payé au père, la domiciliation de l’enfant avec sa mère n’étant intervenue que dans le courant du mois d’octobre 2003. La Cour ne va, cependant, pas suivre le tribunal en ce qu’il a statué pour le passé se fondant sur le fait que l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées ne limiterait pas sa compétence à la période future, et ce à l’exclusion du passé. Pour la Cour, le changement ne peut produire ses effets que le premier jour du mois qui suit le prononcé de la décision, l’article 69bis, § 1er, alinéa 3 ne dérogeant pas à l’article 70bis, alinéa 1er, disposition d’ordre public et de stricte interprétation. Pour la Cour, le tribunal ne pouvait, dans son jugement du 13 décembre 2006, désigner la mère comme allocataire à partir du 1er juillet 2003. Elle relève qu’en tout état de cause cette décision n’aurait pu produire ses effets qu’à partir du 1er janvier 2007, époque à laquelle plus aucun problème ne se posait à cet égard.

Intérêt de la décision

La Cour rappelle, à propos de l’application des articles 69bis, alinéa 3 et 70bis, alinéa 1er des lois coordonnées sur les allocations familiales, qu’une demande judiciaire de changement d’allocataire ne peut valoir que pour l’avenir, vu que ses effets ne peuvent sortir qu’à partir du mois qui suit la décision judiciaire. Il n’est, en conséquence, pas possible au tribunal de statuer pour une période passée, vu le caractère d’ordre public et de stricte interprétation de l’article 70bis, alinéa 1er.


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