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Accident survenu avant la loi du 12 janvier 2005, demande de réparation sur un autre fondement que LAT et compétence matérielle des juridictions du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2010, R.G. 2008/AB/50.560

Mis en ligne le mercredi 5 janvier 2011


Cour du travail de Bruxelles, 11 janvier 2010, R.G. 2008/AB/50.560

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 11 janvier 2010, la Cour du travail de Bruxelles conclut à la compétence des juridictions du travail pour les accidents du travail survenus à des détenus. Elle ordonne une réouverture des débats en ce qui concerne l’indemnisation de ce type d’accident, eu égard, notamment à l’interdiction de discrimination édictée dans différents textes.

Les faits

Monsieur X travaille à la buanderie de la prison où il purge sa peine. A deux reprises, étant deux jours successifs, alors qu’il effectue son travail et retire du linge d’une grande machine, il se fait mal au bas du dos.

Il introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles qui, par jugement du 29 juin 2007, se déclare matériellement compétent pour connaître du litige, reconnaît l’existence de deux accidents du travail et dit pour droit que leur réparation doit intervenir par analogie avec les principes contenus dans les lois du 3 juillet 1967 sur les accidents du travail dans le secteur public et du 10 avril 1971 sur les accidents du travail dans le secteur privé. Il ordonne une expertise.

Position des parties en appel

L’Etat belge interjette appel et dans son argumentation devant la Cour du travail, il demande de renvoyer la cause à la Cour d’appel de Bruxelles qui est, pour lui, le juge d’appel matériellement compétent. Il demande à titre subsidiaire le débouté du demandeur originaire et sa condamnation à 2.500 € pour procédure téméraire et vexatoire.

L’intéressé, dans un appel incident, demande réparation des conséquences des deux accidents du travail, sur la base des articles 1382 et suivants du code civil et des principes de droit commun de la responsabilité civile. A titre subsidiaire, il demande confirmation du jugement.

Position de la Cour du Travail

La Cour commence par rappeler les principes réglementant les accidents du travail en prison.

L’accident en cause datant de 1999, la Cour souligne que ne lui est pas applicable la loi du 12 janvier 2005 (loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus – M.B. 1er février 2005) qui dispose dans son article 83, § 1er que la mise au travail du détenu dans la prison a lieu dans des conditions qui, pour autant que la nature de la détention ne s’y oppose pas, se rapproche autant que possible de celles qui caractérisent des activités identiques dans la société libre. Les règles relatives à l’octroi d’une indemnité doivent être arrêtées par le Roi, en vertu de l’article 86, § 3.

La Cour relève qu’à l’époque existait en tout cas l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant le règlement général des établissements pénitentiaires, qui, en son article 62, dispose que la mise au travail des détenus a lieu dans des conditions se rapprochant autant que possible de celles qui caractérisent, à l’extérieur, des activités identiques s’exerçant dans des bonnes conditions et répondant notamment aux exigences actuelles de la technique et de l’hygiène (la Cour rappelle d’ailleurs qu’une retenue de 4/10e est opérée par l’Etat au titre de frais de gestion sur le produit du travail pénitentiaire presté, les 6/10e restant étant versés à un fonds de réserve).

La Cour aborde par ailleurs une circulaire prise sous le régime de l’article 30ter du Code pénal (aujourd’hui abrogé), circulaire élaborant un système de réparation des accidents du travail selon des principes inspirés des dispositions de la loi sur la réparation des accidents du travail : pour l’incapacité temporaire, paiement de 90% des gratifications que le détenu percevait au moment de l’accident et, pour l’incapacité permanente, paiement d’une indemnité trimestrielle calculée de manière directement proportionnelle au taux d’invalidité et à un revenu annuel fictif lié à l’indice des prix à la consommation, cette indemnité étant payable exclusivement pour les périodes de liberté.

La Cour relève également l’existence à l’époque des faits de la Recommandation R (87) 3 du 12 février 1987 du Conseil de l’Europe, selon laquelle le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du traitement, de la formation et de la gestion de l’établissement (point 71.1) et qui impose de prendre des dispositions en vue d’indemniser les détenus victimes d’accident du travail dans des conditions égales à celles prévues par la loi pour les travailleurs libres (article 74.1).

Partant de ces principes, la Cour va rouvrir les débats (tout en désignant dans le même temps un expert judiciaire) aux fins de permettre aux parties de rechercher le fondement d’une indemnisation, étant les articles 10 et 11 de la Constitution et l’interdiction de discrimination figurant dans l’arrêté royal du 21 mai 1965 ainsi que dans la Recommandation du Conseil de l’Europe. La Cour relève à cet égard que, si la demande a été fondée sur l’article 1382 du Code civil, la norme juridique applicable n’est pas un élément de la demande, étant qu’elle ne définit pas celle-ci. La Cour rappelle que le choix et l’application de la norme juridique relèvent de l’office du juge et sont extérieures à la demande. En conséquence, la compétence d’attribution ne dépend pas de la norme juridique applicable mais uniquement de l’objet de la demande, des faits de la cause qui la fondent, ainsi que des parties en litige.

La Cour examine, ensuite, sa compétence et, relevant un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 29 juin 2007 (Trib. trav. Brux., 29 juin 2007, Chron. Dr. Soc., 2007, p. 650) ainsi qu’une décision du Tribunal d’arrondissement de Liège du 22 avril 2004 (Arr. Liège, 22 avril 2004, Chron. Dr. Soc., 2006, p. 50), la Cour retient que l’article 579, 1° du Code judiciaire vise tout accident lié au travail, sans référence à une législation réparatrice et sans faire de distinction quant au secteur d’activité, non plus encore qu’au statut juridique du travailleur et notamment au caractère volontaire ou non du travail qu’il effectuait. La Cour renvoie à la question du contrat A.L.E. (tranché par le jugement du Tribunal d’arrondissement de Liège du 22 avril 2004 en référence), selon lequel la compétence matérielle doit s’interpréter à l’aune du principe du regroupement cohérent et logique des conflits et qu’il n’y a pas lieu d’ajouter une distinction là ou l’article 579 du Code judiciaire n’en prévoit pas.

La Cour renvoie également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2009 (C. const. 4 juin 2009, n° 94/2009) - insistant sur le fait que cet arrêt a été rendu sur question préjudicielle de la Cour de cassation (Cass., 26 mai 2008, S.04.01341.N) - relatif au stagiaire en formation professionnelle (Arrêté du gouvernement de la Communauté française du 12 mai 1987 relatif à la formation professionnelle). La motivation de la Cour est que les juridictions du travail offrent des garanties importantes et que la distinction existant entre des accidents couverts par une assurance accident du travail ou par une assurance de droit commun ne peut justifier la compétence de tribunaux différents.

La Cour conclut que cette interprétation, qu’elle étend à la demande de réparation d’un accident du travail en prison, n’est pas interdite par les termes généraux de l’article 579, 1° du Code judiciaire.

Intérêt de la décision

Important arrêt, en la matière, même s’il ne statue que sur la compétence des juridictions du travail pour connaître de la question. La suite sera attendue avec grand intérêt, puisque, partant du constat que l’Etat Belge a organisé la réparation d’accidents du travail en prison par la voie de circulaires s’inspirant des principes des lois du 3 juillet 1967 et du 10 avril 1971, la Cour pose la question de la discrimination dans la réparation.

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