Terralaboris asbl

Pouvoir du juge de moduler dans la durée la mesure de suspension ou d’exclusion ou de l’assortir d’un avertissement ou d’un sursis

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mai 2010, R.G. 2008/AB/51.471

Mis en ligne le mercredi 17 novembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 20 mai 2010, R.G. n° 2008/AB/51.471

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mai 2010, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’absence d’inconstitutionnalité des sanctions prévues dans le cadre du plan d’activation par l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Les faits

Par décision du 12 octobre 2006, M. M.A a été exclu pour quatre mois du bénéfice des allocations d’attente pour non-respect du contrat souscrit au cours du premier entretien d’évaluation (application de l’article 59quinquies de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage [A.R. O.]).

Par un premier jugement du 9 novembre 2007, le tribunal du travail de Bruxelles décide que le contrat n’a pas été respecté et que la décision du directeur est donc conforme à la réglementation. Il ordonne toutefois la réouverture des débats pour « permettre aux parties de mettre la cause en état sur la question d’une éventuelle discrimination contenue dans l’article 59quinquies, §§ 6 à 8 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 en ce qu’il ne prévoit pas, comme le fait l’article 53bis du même arrêté royal, la possibilité d’assortir la mesure d’exclusion prévue dans le cadre du plan d’activation du comportement des demandeurs d’emploi d’un sursis partiel ou total ou de la commuer en un simple avertissement ». Ce jugement est définitif.

Le jugement a quo

Par jugement du 26 septembre 2008, la dix-septième chambre du tribunal du travail relève une différence de traitement selon que certaines mesures d’exclusion, à tout le moins celles énoncées par l’article 51 de l’arrêté royal, peuvent être assorties d’un sursis alors que d’autres, par exemple celle prévue par l’article 59quinquies, § 6, ne le peuvent pas et qu’il s’agit d’une différence de traitement constitutive d’une discrimination contraire à l’article 10 de la Constitution. Il écarte dès lors cette disposition, estime que la réduction à un simple avertissement ne se justifie pas mais qu’il y a lieu d’assortir l’exclusion d’un sursis partiel.

La position des parties devant la Cour du travail

L’O.N.Em. soutient que les situations visées par les articles 51, 52 et 52bis de l’A.R.O., d’une part et les articles 59 et suivants du même arrêté d’autre part, ne sont pas comparables : les premières visent le chômage volontaire, tandis que les secondes se rattachent à la condition d’inscription comme demandeur d’emploi prévue par l’article 58 de l’arrêté royal et cette obligation de recherche active d’un emploi est une condition distincte d’octroi des allocations. S’agissant de conditions d’octroi différentes, qui sanctionnent des obligations distinctes, les mesures d’exclusion ne peuvent pas être comparées. En outre, à supposer même que les situations soient comparables, la différence de traitement repose sur un critère objectif et raisonnable. Dans le cadre de la procédure d’activation en effet, l’appréciation porte sur l’ensemble du comportement de recherche d’emploi et non des comportements isolés.

M. M., après avoir indiqué que le troisième entretien a débouché sur une évaluation positive, soutient que la réglementation vise l’objectif d’habiliter l’O.N.Em. à contrôler le caractère involontaire du chômage en lui permettant de sanctionner les comportements qui font obstacle à sa réinsertion sur le marché de l’emploi. Les nouvelles dispositions s’inscrivent donc dans la politique de protection des travailleurs contre le risque de chômage involontaire qui seul donne droit à des indemnités. Le droit aux allocations a été assorti d’une nouvelle obligation. Les situations visées aux articles 51 à 52bis, et notamment le plan d’accompagnement et le parcours d’insertion, sont comparables au processus d’activation et concernent toutes deux un processus au cours duquel l’attitude générale du chômeur face à l’emploi a été évaluée. La différence de traitement consistant dans l’absence d’application de l’article 53bis dans le cadre de la procédure d’activation n’a pas de caractère raisonnable et l’exclusion ne fait qu’aggraver la précarité.

Position de l’auditorat général

L’auditorat est d’avis que l’interprétation contractuelle de la procédure d’activation exclut la modulation de la sanction.

L’appel

La Cour du travail rappelle tout d’abord le contexte de la modification de la réglementation, et plus particulièrement l’accord de coopération signé le 30 avril 2004 entre l’Etat fédéral, les Régions et les Communautés, relatif à l’accompagnement et au suivi actif des chômeurs, approuvé par la loi du 17 septembre 2005.

Elle relève que le système des articles 59bis et suivants est conçu par étapes et que le processus est individualisé tant quant aux actions à mener que dans sa durée. L’individualisation intervient donc en amont au niveau de la définition des obligations ayant pour objectif de vérifier la condition d’octroi.

Par contre, la décision d’exclusion prise pour un des comportements visés par l’article 51 de l’arrêt royal porte sur un comportement isolé auquel l’O.N.Em. peut donner suite. L’individualisation par l’O.N.Em. de ce comportement en fonction des circonstances propres à la cause n’intervient donc qu’au moment de la décision, sous la forme d’une modulation de la durée de la privation du droit aux allocations de chômage ou de l’octroi d’un sursis ou d’un avertissement.

La Cour du travail conclut dès lors que « même si les deux mesures (art. 51 et suivants/59bis et suivants) sont similaires en ce qu’elles concernent dans l’un et l’autre cas des conditions d’octroi des allocations liées à l’obligation d’être privé involontairement de travail et de rémunération, les modalités d’application ne sont pas comparables. Au vu de l’objectif de la mesure et de ses modalités d’application, l’auteur de la norme incriminée a pu légitimement considérer que la mesure d’exclusion ne devait pas être modulée dans la durée, ni pouvoir être assortie d’un sursis, sur la base des caractéristiques personnelles du chômeur, ces caractéristiques ayant été par hypothèse prises en considération lors de l’évaluation du comportement de recherche et lors de la négociation du contrat ».

La cour réforme en conséquence le jugement dont appel et dit le recours originaire non fondé.

Intérêt de la décision

Ainsi, après avoir ordonné la réouverture des débats, un arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 mai 2010 (R.G. n° 21.109, commenté également) adopte la même analyse
d’inconstitutionnalité des sanctions prévues dans le cadre du plan d’activation par l’arrêté royal du 25 novembre 1991 que celle du jugement réformé par l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 mai 2010 ici commenté. Elle se réfère abondamment à ce jugement a quo qui avait notamment souligné que l’introduction de la possibilité d’un sursis ne serait pas de nature à déforcer l’effectivité des mesures adoptées par l’arrêté royal du 4 juillet 2004 en rendant aléatoire la réalisation du double objectif poursuivi par ces mesures : d’une part, le contrôle renforcé du caractère involontaire du chômage, mais aussi l’accroissement des chances de l’intéressé de retrouver un emploi.

La Cour du travail de Liège (section de Namur) a également ordonné la réouverture des débats sur la même question (arrêt du 17/11/2009 RG8825/09) puis, sur cette réouverture, conclu que celle-ci était devenue sans intérêt, dans la mesure où la mesure d’exclusion avait une nature pénale, ce qui lui permettait de moduler la sanction (arrêt du 22/06/2010). Ces arrêts sont également commentés.


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