Terralaboris asbl

Calcul de la pension lorsque le conjoint est bénéficiaire d’une telle prestation dans un autre Etat de l’Union Européenne

Commentaire de C. trav. Mons, 25 mars 2010, R.G. 2007/AM/20.707

Mis en ligne le vendredi 8 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 25 mars 2010, R.G. 2007/AM/20.707

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 25 mars 2010, la Cour du travail de Mons rappelle que l’article 48 du Traité s’oppose à la réduction de la pension de retraite lorsque celle-ci et susceptible d’entraîner un préjudice qui peut dissuader le travailleur migrant d’exercer son droit à la libre circulation.

Les faits

L’épouse du demandeur originaire bénéficie d’une pension néerlandaise depuis le 1er novembre 2004. Le demandeur lui-même a entamé une carrière professionnelle aux Pays-Bas et l’a poursuivie en Belgique.

Une pension de retraite hollandaise lui est accordée d’un montant annuel de l’ordre de 3.000€ à dater de mai 2005. Il introduit par ailleurs une demande de pension de retraite en Belgique et l’ONP lui accorde à titre provisionnel celle-ci, calculée au taux isolé, à concurrence d’un montant annuel de l’ordre de 15.000€. La décision de l’ONP précise que la demande de pension est en cours d’examen dans le cadre des règlements C.E.E., la pension étant attribuée au taux isolé vu que l’épouse bénéficie d’une pension de retraite ou d’un avantage équivalent.

La décision définitive est prise quelques semaines plus tard, la pension étant d’un montant annuel brut de l’ordre de 18.000€. Il s’agit du montant de la pension calculé au taux ménage sous déduction de la pension dont bénéficie l’épouse.

L’intéressé va contester la décision.

La position du tribunal

Le tribunal du travail le déboute et confirme la décision administrative.

La position de la Cour

Suite à l’appel de l’assuré social, la Cour rend un premier arrêt en date du 23 avril 2009, ordonnant d’office une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de s’expliquer sur une question qui n’avait pas été soumise à la contradiction des débats et, le cas échéant, d’attendre un arrêt que devait rendre la Cour de cassation dans une espèce voisine. La Cour du travail se demandait en effet si l’on pouvait transposer purement et simplement l’enseignement d’un arrêt de la Cour suprême du 6 octobre 2003 au litige en cours, dans la mesure où en l’espèce il n’y avait pas de réduction du taux de la pension accordée au demandeur mais déduction d’une partie vu la pension étrangère de son épouse. Or, comme la Cour du travail l’avait rappelé dans cet arrêt, la Cour de cassation avait rendu son arrêt le 6 octobre 2003 en s’inspirant de deux décisions de la Cour de justice (arrêts Van Munster et Engelbrecht), à savoir que la problématique soumise visait l’hypothèse où le taux de la pension revenant au travailleur migrant était réduit : taux isolé au lieu de taux ménage. Au moment où ce premier arrêt de la Cour du travail fut rendu, la Cour de cassation était par ailleurs saisie d’un recours introduit par l’ONP à l’encontre d’un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 22 novembre 2007.

La Cour avait également ordonné la réouverture des débats sur des questions de fait (augmentation des ressources globales du ménage), vu que dans les arrêts de la Cour de justice, cette appréciation avait été faite au regard de la loi néerlandaise en comparant la situation du couple dont un seul avait atteint l’âge de la pension légale et celle du même couple dans l’hypothèse où les deux conjoints auraient atteint cet âge. Or, au moment où elle avait statué, la Cour du travail ignorait le montant de la pension néerlandaise de l’épouse ainsi que le montant perçu par chacun des époux, toujours dans ce régime, lorsque le demandeur avait atteint l’âge de 65 ans.

La Cour est dès lors saisie dans cet arrêt après réouverture des débats, rendue le 25 mars 2010, du fond du recours. Elle reprend la disposition légale, étant l’article 5 de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juin 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions. Celui-ci fixe le droit à la pension de retraite, tenant particulièrement compte, en son § 8, de l’existence dans le chef d’un des conjoints d’une ou de plusieurs pensions de retraite ou de survie ou de prestations en tenant lieu accordées en vertu d’un ou de plusieurs régimes belges ou étrangers. Selon la disposition légale, le bénéfice d’une telle pension ne fait pas obstacle à l’octroi à l’autre conjoint de la pension de retraite calculée en application des règles générales contenues dans le § 1er du même article pour autant que le montant global des pensions (et des avantages en tenant lieu) du premier conjoint soient plus petits que la différence entre le montant de la pension de retraite de l’autre conjoint calculé respectivement en application des règles générales. Dans cette hypothèse le montant global des pensions est déduit du montant de la pension de retraite de l’autre conjoint.

La Cour constate qu’en l’espèce l’ONP a alloué au demandeur une pension au taux ménage sous déduction de la pension néerlandaise de l’épouse.

La Cour en vient, ensuite, à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2009 (Cass., 19 octobre 2009, S.08.0055.N), où elle a considéré que le travailleur salarié communautaire subit un préjudice lorsqu’une pension d’isolé moins avantageuse lui est octroyée (et non une pension de ménage) au seul motif qu’il a été tenu compte de la pension octroyée à son conjoint en application de la législation d’un autre Etat de l’Union Européenne alors que cette pension a été réduite à concurrence du montant de la pension octroyée personnellement à ce travailleur en application de la législation de ce même Etat. Ce préjudice est susceptible de le dissuader d’exercer son droit de libre circulation. L’arrêt de la Cour de cassation se fonde notamment sur l’arrêt Engelbrecht de la Cour de justice (C.J.C.E. 26 septembre 2000, C-262/97), affaire dans laquelle en application de la loi du 20 juillet 1990 (art. 3, § 8) la pension de l’intéressé, calculée au taux ménage, avait été diminuée du montant de la pension de son épouse dans le cadre de la législation néerlandaise.

La Cour de justice avait dans cette hypothèse conclu que l’article 48 du Traité s’oppose à ce que les autorités nationales réduisent le montant de la pension accordée à un travailleur migrant en fonction d’une pension accordée à son conjoint en vertu du régime d’un autre Etat membre lorsque l’octroi de cette dernière pension n’entraine aucune augmentation des ressources globales du ménage.

La Cour du travail retient qu’il s’agit s’une situation similaire à celle qui lui est soumise.

La Cour de justice avait également précisé dans cet arrêt que les dispositions anti-cumul nationales avaient été conçues précisément en raison de l’augmentation éventuelle des ressources globales du ménage qui résulterait de l’octroi d’une pension de retraite ou de survie par le conjoint de l’assuré social et que l’article 48 du Traité s’oppose à ce que les autorités nationales se bornent à réduire la pension du travailleur sans vérifier si celle accordée à son conjoint a pour effet d’augmenter les ressources globales du ménage.

En l’espèce, la Cour du travail constate que, lorsque l’intéressé a fait valoir ses droits à la pension belge, la pension accordée à son conjoint n’a pas eu pour effet d’augmenter les ressources du ménage vu que la pension néerlandaise de l’épouse est restée inchangée.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice et aux arrêts de la Cour de cassation, la Cour du travail écarte en conséquence l’application de l’article 5, § 8, alinéa 2 de l’arrêté royal du 23 décembre 1996. Eu égard à la primauté du droit communautaire sur les législations nationales, cette disposition ne peut être appliquée car elle viole le droit communautaire européen et plus particulièrement les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs.

La solution donnée par la Cour est dès lors que l’intéressé avait droit à une pension calculée au taux ménage sans déduction de la pension néerlandaise de son épouse.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Mons est important, sur la question du calcul de pension dans l’hypothèse où le conjoint bénéficie également d’une prestation de sécurité sociale à ce titre dans un autre Etat. La Cour du travail rappelle que la Cour de cassation s’est prononcée récemment sur cette question et que la Cour de justice a dû intervenir dans plusieurs arrêts.


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