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Altercation entre un chauffeur de bus et un voyageur : accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 10 mars 2010, R.G. 2008/AM/21.173

Mis en ligne le vendredi 8 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 10 mars 2010, R.G. n° 2008/AM/21.173

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 mars 2010, la Cour du travail de Mons rappelle que le comportement agressif d’un usager d’un service public peut être à l’origine d’un accident du travail, même s’il a engendré une réaction de violence de la part du travailleur (chauffeur de bus).

Les faits

Un conducteur de bus est confronté, à l’occasion d’un trajet, à un abonné qui ne possédait pas son abonnement sur lui. Voulant le faire sortir du bus, alors que le passager s’énervait et l’injuriait, il lui donne un coup de poing au visage et est lui-même mis en incapacité.

L’assureur loi refuse la prise en charge, au motif que l’accident aurait été provoqué intentionnellement par la victime.

La position du tribunal

Citation est lancée devant le tribunal du travail de Mons, qui, par jugement du 19 décembre 2007, admet qu’il y a eu accident du travail et ordonne une mesure d’expertise.

L’entreprise d’assurances interjette appel.

La position des parties en appel

L’entreprise d’assurances demande à la Cour de conclure au débouté, introduisant également une demande de remboursement des frais d’expertise déjà avancés. Elle considère qu’il ressort de l’information pénale que c’est l’intéressé lui-même qui a provoqué les faits : même si le passager s’est montré « tumultueux », il n’a pas été violent et son comportement n’a pas justifié le coup de poing. C’est au contraire le conducteur qui a eu un comportement inadéquat, à l’origine de l’accident. Pour l’assureur il y a accident intentionnel. Considérant qu’il était difficile de savoir exactement ce qui s’était passé, le premier juge ne pouvait, selon l’assureur, conclure à la reconnaissance d’un accident du travail, celui-ci devant être établi avec certitude. Par ailleurs, l’assureur fait également valoir que le stress professionnel (repris dans la déclaration d’accident), s’il est lié à la fonction exercée ou à des conditions de travail inhérentes à celle-ci, ne peut constituer un événement soudain.

Quant au travailleur, il soutient que ce serait le comportement du passager qui constituerait l’événement soudain déclencheur de la lésion et non le coup qu’il aurait lui-même porté à celui-ci, d’autant que l’information pénale permettait de comprendre que l’élément perturbateur était le voyageur et non lui-même.

La position de la Cour

La Cour va, dans ce contexte, rappeler les principes applicables, sur les questions ci-dessus.

Après avoir repris les conditions légales pour qu’il y ait accident du travail, ainsi que le régime probatoire des articles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971, la Cour précise que, dans la mesure où la charge de la preuve est réduite du fait des présomptions légales, elle doit se montrer rigoureuse dans l’appréciation des éléments de preuve rapportés par la victime et notamment quant à l’événement soudain. Celui-ci doit être certain et cette certitude peut résulter d’une suite logique de circonstances. Il y a lieu de démontrer l’existence d’un fait précis distinct de la lésion, soudain et survenu à un moment qui peut être situé dans le temps et dans l’espace.

La Cour précise que le stress, c’est-à-dire les circonstances particulièrement énervantes ou éreintantes dans laquelle la victime a été placée, peut constituer cet événement soudain et, lorsqu’il est reconnu, ce sont en réalité les circonstances stressantes constituant celui-ci qui sont épinglées (la Cour renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation, étant son arrêt du 5 octobre 1979, Bull. Ass., 1981, p. 79).

En outre, la Cour rappelle que les faits de violence au travail peuvent correspondre à un événement soudain, étant des comportements instantanés, tels qu’injures, insultes, brimades ou agressions physiques. Il s’agit d’un risque professionnel.

La Cour doit dès lors cibler ce qui constitue l’accident et non un cadre vague, ainsi qu’elle le rappelle, de circonstances de fait. Elle doit ensuite, vérifier si la victime a intentionnellement causé l’événement soudain, ainsi que jugé dans l’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2002 (Chron. Dr. Soc., 2003, p.320 et conclusions du Ministère Public précédant cet arrêt). En l’espèce, pour le travailleur, qui décrit les circonstances de fait dans lesquelles l’événement s’est produit, c’est le stress engendré par le comportement agressif du passager. La Cour considère que la circonstance que par la suite les choses aient dégénéré et aient amené l’intimé à porter un coup au passager est sans incidence. Dès lors, ce qui s’est passé « en phase finale », c’est-à-dire le coup porté, est étranger à l’accident du travail.

S’attachant enfin aux éléments de fait tels que repris dans des témoignages, la Cour constate que le comportement agressif originaire du passager est établi. Ces éléments étant précis et concordants, la Cour fait droit, comme le tribunal, à la thèse du conducteur, pointant l’événement soudain comme le comportement agressif du voyageur (tumulte, esclandre, menaces). Elle précise encore qu’un tel événement n’est pas inhérent aux conditions de travail d’un chauffeur de bus. La lésion étant par ailleurs établie, la Cour envoie l’affaire au premier juge.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Mons s’emploie à identifier un événement soudain tel qu’exigé par la loi, à l’occasion d’une bagarre et, la victime ayant choisi de présenter celui-ci comme le comportement agressif du passager, c’est autour de cette circonstance que le débat se greffe. C’est donc un événement précis survenu dans un contexte plus général de stress qui est à l’origine de l’accident. Que, dans l’enchainement des événements survenus lors de cette altercation, le chauffeur de bus ait porté un coup de poing au voyageur est indifférent. Il est en effet évident que si le conducteur a été en incapacité, suite aux effets de cette altercation survenant dans une situation de stress plus général, la cause de la lésion n’est pas le coup que lui-même a porté au passager…


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