Terralaboris asbl

En cas de vol de chèque circulaire, l’institution de sécurité sociale, en l’occurrence le CPAS, est tenue de payer deux fois la prestation sociale

Commentaire de C. trav. Mons, 13 juillet 2006, R.G. 15.710

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Mons – 13 juillet 2006 - R.G. n° 15.710

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 juillet 2006, la cour du travail de Mons a considéré que le chèque circulaire volé et encaissé par celui qui n’est pas le véritable possesseur de la créance ne vaut pas paiement libératoire dans le chef du CPAS, qui reste redevable du montant de la prestation à l’égard du bénéficiaire.

Les faits de la cause

Un bénéficiaire ne reçoit pas le chèque circulaire destiné au paiement mensuel du « minimex ».

Il en informe le CPAS et dépose plainte pour vol de chèque.

L’information pénale révèle que ce chèque circulaire établi au nom du bénéficiaire a été encaissé par une personne qui a fait usage d’une fausse pièce d’identité et d’une fausse signature apposée au verso du chèque.

Le dossier répressif est toutefois classé sans suite, l’auteur du délit restant inconnu.

Privé du montant du « minimex » vu le vol du chèque circulaire, le bénéficiaire introduit un recours pour obtenir la condamnation du CPAS au paiement.

La décision du tribunal

Appliquant le principe « qui paie mal, paie deux fois », le tribunal du travail a considéré que lorsqu’un paiement a lieu par chèque, le débiteur ne s’en trouve pas libéré par la remise du chèque mais au moment de son encaissement par le véritable créancier.

Le tribunal a également relevé, se référant à l’article 35 bis de la loi du 1er mars 1961 sur le chèque, que c’est en principe seul le titulaire des formules de chèque qui supporte les risques inhérents à son usage abusif et notamment les conséquences résultant de la perte, du vol ou de l’emploi abusif de ces formules, à moins d’établir soit que le tiré a usé de fraude ou commis une faute lourde, soit que le chèque n’a été perdu, volé ou altéré qu’après sa réception par son destinataire légitime.

Ainsi, après avoir rappelé l’article 1315, alinéa 2 du Code civil, le débiteur qui se prétend libéré devant justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation, le tribunal a condamné le CPAS à payer une second fois le montant du « minimex ».

Moyens d’appel du CPAS

Le CPAS reproche au premier juge de retenir que l’utilisation du mode peu sûr du chèque circulaire entraînerait le risque de payer à de faux créanciers et ainsi de devoir payer deux fois.

Pour le CPAS, la législation a été respectée et il a rempli ses obligations, ayant mis tout en œuvre pour que les sommes arrivent à qui de droit, alors que le tribunal n’aurait pas suffisamment examiné la responsabilité de la banque qui a payé le chèque à une personne qui n’est pas le bon bénéficiaire vu qu’un document d’identité doit être produit avant tout encaissement.

Décision de la cour

Confirmant le jugement dans toutes ses dispositions, la cour a relevé que :

1. Le CPAS ne peut solliciter à son profit l’application de l’article 1240 du Code civil et considérer que le paiement intervenu a un caractère libératoire, dès lors que celui qui se présente avec le titre d’une créance revêtu d’une fausse signature et d’une fausse identité ne peut être considéré comme le véritable possesseur de cette créance.

Pour être libératoire et valable à l’égard du créancier réel, il faut que le créancier apparent possède le véritable titre de créance, ce qui n’est pas le cas du faussaire car « il n’y pas de créance du tout ».

On retombe donc sur le principe de l’article 1239 du Code civil qui prévoit que le paiement doit être fait entre les mains du créancier, ou d’un mandataire conventionnel, judiciaire ou légal, la preuve d’un tel mandat étant à charge du solvens qui a l’obligation de déterminer et d’identifier l’accipiens qui a la qualité pour recevoir le paiement.

2. Le dossier pénal ne révèle pas une responsabilité du bénéficiaire, destinataire du chèque circulaire ou une éventuelle négligence de sa part en relation causale avec le vol du chèque.

Le vol du chèque a en effet pu intervenir préalablement à son dépôt dans la boîte aux lettres. Il n’est d’ailleurs pas établi que le chèque a été confié à la poste pour distribution. Enfin, à supposer que le chèque ait pu se trouver sur le sol ou dans une boîte aux lettres qui ne ferme pas, cette hypothèse n’est qu’une possibilité et non une certitude absolue vu le dossier pénal.

3. On ne pourrait pas non plus mettre en cause la responsabilité de la banque si celle-ci avait été appelée en intervention.

Le chèque circulaire est un chèque nominatif non susceptible de transmission par endossement.

Il est signé par la banque auprès de laquelle il pourra être encaissé et, à cette occasion, comme tout autre « tiré », la banque devra vérifier si le chèque est régulier en la forme.

Quand il s’agit d’un chèque nominatif, le « tiré » est également tenu de s’assurer que le paiement lui est bien demandé par le bénéficiaire indiqué dans le titre, ou par un cessionnaire régulièrement désigné.

Il est exceptionnel qu’une faute soit reprochée au « tiré » en raison du paiement d’un chèque régulier en la forme. Le problème réside en effet dans l’identité du bénéficiaire désigné par le « tireur », en l’occurrence le CPAS. Or, en présence d’une carte d’identité volée présentant l’apparence de la réalité et après qu’il ait vérifié le chèque - dont les mentions sont concordantes avec la fausse carte d’identité - l’agent payeur est abusé par la situation, de sorte qu’aucun grief ne peut lui est adressé.

Le paiement est opposable au « tireur » qui n’aura ainsi de recours que contre l’auteur du délit qui dans le cas d’espèce est inconnu.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cette décision dépasse la matière de l’intervention du CPAS. Dans d’autres domaines de la sécurité sociale, il est en effet fait usage du chèque circulaire pour procéder au paiement de prestations sociales. Le contentieux (de vol de chèques) en matière de vacances annuelles des ouvriers est abondant. La cour confirme ici que l’envoi d’un chèque circulaire ne constitue pas un paiement libératoire. En cas de vol et d’encaissement frauduleux par un tiers au détriment du bénéficiaire, l’institution de sécurité sociale se retrouve ainsi à devoir payer une deuxième fois sur base des principes du Code civil.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be