Terralaboris asbl

Quel cumul avec la pension anticipée ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. 2007/AB/50.040

Mis en ligne le mardi 21 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. n° 2007/AB/50.040

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles complexes concernant l’enseignement subventionné et l’identification des débiteurs.

Les faits

Une enseignante d’un établissement de l’enseignement officiel subventionné est victime d’un accident du travail en 1998, suite auquel elle est mise en pension pour inaptitude physique le 1er novembre 2001. Les séquelles de l’accident du travail proposées par le SSA (MEDEX) sont une incapacité permanente de 7% à partir du 19 mars 2003.

L’intéressée conteste ces conclusions.

La procédure

La procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles en 2003, contre l’Etat Belge et le Communauté française.

Suite au dépôt du rapport de l’expert judiciaire désigné et suite également à la reprise d’instance par le Service des Pensions du Secteur Public (instance dirigée contre l’Etat Belge), le tribunal du travail rend son jugement le 27 avril 2007, entérinant les conclusions de l’expert judiciaire. L’incapacité temporaire totale est fixée jusqu’au 18 mars 2003, la consolidation étant arrêté au 19 mars 2003 et l’incapacité permanente étant de 150%.

Le tribunal condamne la Communauté française à calculer les indemnités correspondant aux périodes d’incapacité temporaire totale, à procéder au calcul de la rente et à rédiger l’arrêté ministériel de l’octroi de celle-ci. Il condamne le SdPSP à payer les indemnités pour l’incapacité temporaire totale, ainsi que les intérêts et la rente à partir de la date de consolidation, celle-ci également à majorer des intérêts.

Enfin, il rouvre les débats sur le calcul des intérêts, frais et dépens et rejette une demande reconventionnelle du SdPSP portant sur l’obligation pour l’enseignante de rembourser les sommes payées à titre de pension pendant la période de 2001 à 2002 et éventuellement (en fonction de la hauteur des rémunérations perçues) pour l’année 2003.

L’appel

SdPSP interjette appel contestant sa condamnation au paiement des indemnités pendant l’incapacité temporaire. Il maintient sa demande de remboursement des sommes payées à l’intéressée pendant la période ci-dessus.

Celle-ci, outre la confirmation du jugement, demande que les montants dus au titre d’aide de tiers soient des montants nets et effectue à titre subsidiaire des calculs correspondant à l’aide ménagère.

Quant à la Communauté française, elle demande la confirmation du jugement sauf en ce qu’il a autorisé le cumul entre l’indemnisation de l’incapacité temporaire et la pension. Elle estime n’être concernée que pour la période allant de la date de l’accident à la veille de la mise à la pension et demande qu’il soit dit pour droit que les frais médicaux, la rente et les intérêts soient respectivement à charge du Trésor public et de l’Administration des pensions.

La Cour est dès lors saisie de diverses questions complexes.

Position de la Cour

Sur les indemnités d’incapacité temporaire, la Cour rappelle que les travailleurs du secteur public, qui se voient garantir une indemnisation de leur incapacité temporaire au moins équivalente à celle des travailleurs du secteur privé (art. 3bis de la loi du 3 juillet 1967) bénéficient d’un régime plus favorable puisqu’ils conservent pendant l’incapacité temporaire la rémunération due en raison de leur contrat de travail ou de leur statut (art. 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969). Ce droit au bénéfice de la rémunération est acquis durant la période d’incapacité temporaire totale même sans travail presté (voir Cass., 9 février 2009, S.07.0096.F – et conclusions de Monsieur le Procureur général Leclercq citées par l’arrêt). En vertu de cet arrêt de la Cour suprême, pendant les périodes d’incapacité temporaire, les membres du personnel ont doit au maintien de leur traitement à charge du pouvoir subventionnant, soit à charge de la Communauté française. La Cour accueille dès lors l’appel du SdPSP, en ce qu’il vise que les indemnités ne soient pas à sa charge. C’est donc la Communauté française qui est concernée.

En ce qui concerne le cumul des indemnités d’incapacité temporaire et de la pension anticipée, la Cour relève que le SdPSP fait valoir qu’il s’agirait d’une « double rémunération », puisque d’une part l’indemnité d’incapacité temporaire correspond au traitement et que d’autre part la pension est considérée comme un traitement différé. Pour le SdPSP, le cumul revient donc à payer deux fois la rémunération pour le même service pendant la période de l’incapacité temporaire.

Pour la Cour du travail, ceci n’est pas le raisonnement de la Cour de cassation. La Cour suprême a en effet constaté que les articles 6 et 7 de la loi du 3 juillet 1967 ne concernent que le cumul de la rente due en raison d’une incapacité permanente et une pension et elles n’interdisent pas le cumul des indemnités dues pendant la période d’incapacité de travail temporaire et une pension de retraite anticipée (Cass., 8 octobre 2001, S.990187.F). Pour la Cour du travail, il n’y a interdiction de cumul que pour autant qu’un texte le prévoie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il est dès lors sans intérêt que la pension puisse également être considérée comme constitutive d’un traitement différé.

La Communauté française faisant cependant valoir qu’en application de l’application 59 du décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel de l’enseignement officiel subventionné, la mise à la pension pour inaptitude physique entraîne la cessation définitive des fonctions, il n’y a plus, dès la prise de cours de la pension anticipée, de rémunération due en raison du statut.

Pour la Cour, la Communauté française semble ainsi considérer que l’article 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 serait inapplicable dès le début de la pension anticipée. Elle juge cette interprétation incompatible avec l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, qui dispose que pendant la période d’incapacité temporaire et ce jusqu’à la date de reprise complète du travail, le travailleur bénéficie des dispositions prévues en cas d’incapacité temporaire totale par la législation sur les accidents du travail. Or, la loi du 10 avril 1971 ne prévoit pas l’interruption de l’indemnisation de l’incapacité temporaire totale en cas de rupture de la relation de travail.

Par ailleurs, le texte de l’article 32 serait incompréhensible s’il n’était pas interprété comme assurant le maintien de la rémunération même sans travail presté (voir conclusions de Monsieur le Procureur général Leclercq ci-dessus). Il y a dès lors obligation de verser la rémunération jusqu’à la date de la consolidation, celle-ci n’étant pas affectée par l’éventuelle cessation des fonctions.

Le SdPSP se fondant, par ailleurs, dans sa demande de remboursement de la pension versée, sur la loi du 5 avril 1994 régissant le cumul des pensions du secteur public avec des revenus provenant de l’exercice d’une activité professionnelle ou avec un revenu de remplacement, la Cour rejette cet argument, le texte visant l’exercice d’une activité professionnelle et non pas le maintien du traitement dû à la période d’incapacité temporaire. En cas de maintien de celui-ci, il ne s’agit pas de revenus provenant de l’exercice d’une activité. En ce qui concerne l’interdiction de cumul faite par cette loi avec certains revenus de remplacement, la Cour relève encore que l’article 13 ne vise pas le cumul des pensions de retraite avec des indemnités d’incapacité temporaire dues en suite d’un accident du travail mais (dans le texte applicable à l’époque) uniquement le cumul avec des indemnités d’interruption de carrière.

La Cour relève encore quoique la mouture actuelle du texte ne soit pas applicable – d’une part que l’article 13, § 1er actuel n’interdit le cumul de la pension de retraite qu’avec certains revenus de remplacement (indemnité d’interruption de carrière, indemnité complémentaire de prépension) et d’autre part que l’interdiction de cumul avec une indemnité d’incapacité primaire et une indemnité d’invalidité ne concerne que la pension de survie (l’indemnité d’incapacité temporaire résultant d’un accident du travail n’étant pas par ailleurs une indemnité d’incapacité primaire et n’étant pas davantage une indemnité d’invalidité - ces deux dernières relevant du secteur assurance - soins de santé de indemnités). Le SdPSP est dès lors débouté de sa demande.

En ce qui concerne, ensuite, l’incapacité permanente, le premier juge a retenu le besoin d’une aide de tiers pour tâches ménagères et a fixé l’indemnisation à 150% du salaire de base, montant auquel le SdPSP est condamné. Ici encore le SdPSP conteste le cumul et ici, entre l’indemnité pour aide de tiers et la pension de retraite. Sur cette question, la Cour rappelle que la rente en cas d’incapacité permanente peut en principe être cumulée avec la rémunération et avec la pension de retraite (secteur public – article 5). La loi du 3 juillet 1967 prévoit cependant dans son article 7 (§1er) que, lorsque la victime cesse ses fonctions et obtient une pension de retraite (ci-dessus), la rente ne peut être cumulée avec la pension qu’à concurrence de 100% de la dernière rémunération ou 150% en cas d’aide de tiers. Il y a dès lors lieu de réduire la rente en fonction du montant de la pension (ce n’est dès lors pas la pension qui doit être réduite mais la rente).

Enfin, sur l’allocation pour l’aide de tiers, la Cour rappelle qu’il lui appartient d’évaluer la nécessité de l’aide et qu’existent plusieurs méthodes pour ce faire. Aucune justification précise de la demande ne figurant dans le dossier, la Cour rouvre les débats sur cette question.

Il restera encore à régler la prise de cours des intérêts légaux sur la rente qui, en vertu de l’article 20bis de la loi portent intérêt de plein droit à partir du premier jour du troisième mois qui suit celui au cours duquel ils deviennent exigibles. La Cour rappelle que cette disposition s’applique aux sommes dues en cas d’incapacité de travail permanente (voir C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2007, RG 27.254) et qu’en l’occurrence il faut retenir comme date le 1er juin 2003, étant le premier jour du troisième mois qui suit celui de la consolidation (elle-même intervenue le 19 mars 2003). Il y a ici une différence de traitement avec le secteur privé à propos du délai (maximum trois mois) entre la date d’exigibilité et la date de prise de cours des intérêts mais la Cour rappelle, avec le SdPSP, que la Cour Constitutionnelle, dans son arrêt n° 82/2002 du 8 mai 2002 n’a pas été saisie de celle-ci. Elle s’est référée par contre à la justification qui avait été donnée dans les travaux préparatoires à ce délai de « franchise », ainsi que le qualifie la Cour (Doc. Parl. Ch. 1972-1973, n° 468/1, p. 6).

Intérêt de la décision

Cet arrêt particulièrement fouillé, dans une affaire complexe, a le mérite de refaire le point sur les règles de paiement des indemnités, allocations et rentes pour les membres du personnel enseignant d’établissement du réseau de l’enseignement officiel subventionné. Il reprend également les règles de cumul avec une pension.


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