Terralaboris asbl

Silence du travailleur suite à une modification du contrat : acceptation de celle-ci ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. 2008/AB/51.436

Mis en ligne le lundi 20 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. n° 2008/AB/51.436

TERRA LABORIS ASBL - Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 21 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le silence du travailleur à lui seul ne suffit pas pour constituer un aveu extrajudiciaire de l’acceptation d’une modification du contrat de travail.

Les faits

Un ouvrier bénéficie d’allocations familiales extra-légales, en sus de sa rémunération normale. Cet avantage lui est accordé depuis le début du contrat, en septembre 2002. Il est cependant supprimé au 1er janvier 2003. Le travailleur est licencié le 28 septembre 2005.

Son organisation syndicale réclame les allocations familiales supprimées et cette demande est rejetée par la société au motif que le travailleur aurait marqué accord, comme les autres membres du personnel, sur cette suppression.

Position du tribunal

Le tribunal du travail de Nivelles (section de Wavre) est saisi de la demande correspondant à la valeur des allocations familiales extra-légales pour la période litigieuse. Le montant réclamé est de l’ordre de 15.000€.

Le tribunal déboute l’intéressé, par jugement du 29 juillet 2008, au motif qu’il aurait marqué accord sur la modification du contrat de travail. Cet accord résulterait de son exécution par les parties, exécution qui devrait être assimilée à un aveu extrajudiciaire.

Pour le tribunal, ceci résulte de l’absence de protestation contre la suppression de l’avantage, pendant plus de deux ans et demi.

Position de la Cour

Après avoir rappelé la conclusion du tribunal du travail, la Cour reprend l’argumentation de l’intéressé : il conteste avoir marqué accord sur la suppression des allocations familiales extra-légales, ayant contesté verbalement. Il précise que, de peur de perdre son emploi, il a attendu la fin du contrat avant de réclamer.

Il précise également avoir été engagé par la société suite à des sollicitations de celle-ci, avoir quitté un emploi précédent qui était bien rémunéré et avoir, de ce fait, exigé de bénéficier d’une rémunération équivalente.

En ce qui concerne la position de la société, qui fait valoir l’argument économique, ainsi que l’accord donné par deux autres travailleurs sur cette suppression dans des avenants à leur propre contrat de travail, la Cour retient que, en ce qui concerne l’intéressé, cette preuve n’est pas apportée par un écrit et qu’elle ne peut être déduite des avenants qui ne le concernent pas.

En outre, la Cour relativise la portée de ces avenants, signés bien plus tard, et qui ne font que confirmer la suppression des allocations familiales extra-légales, pour tous les ouvriers de l’entreprise.

La Cour rappelle que la preuve de la modification d’une convention peut certes être déduite de l’exécution qui en est faite par les parties et que ceci peut constituer un aveu extrajudiciaire au sens de l’article 1354 du Code civil. Il s’agit d’un principe constant. Un aveu est en règle la déclaration par laquelle une partie confirme l’existence d’un fait ou d’un acte juridique invoqué à son égard. Son silence sur un fait allégué en justice peut constituer un aveu extrajudiciaire mais uniquement s’il est accompagné de circonstances lui conférant ce caractère. En l’espèce, la société entend déduire l’aveu extrajudiciaire du silence du travailleur, et particulièrement de son absence de réaction.

Pour la Cour, la société doit établir l’existence de l’aveu extrajudiciaire et de l’exécution (de la modification) du contrat dont elle se prévaut. Il n’est pas établi, selon elle, que, au moment de la modification, le travailleur ait accepté celle-ci du seul fait de son silence. Une telle acceptation paraît d’ailleurs invraisemblable, vu qu’elle porte sur un montant de plus de 500€ par mois, soit plus du tiers du salaire net, et ce quelques mois à peine après l’engagement.

Un silence, pour la Cour, n’est pas assimilable à un silence accompagné de circonstances qui lui confèrent le caractère d’un aveu extrajudiciaire. En l’espèce, cette conclusion est confortée du fait que le silence peut s’expliquer par la crainte de perdre l’emploi (le travailleur n’ayant pas de perspective d’une autre embauche) et de se retrouver dans une situation d’insécurité financière.

Il n’y a pas davantage renonciation à un droit, puisque une telle renonciation ne pourrait se déduire que de faits non susceptibles d’une autre interprétation. Si la renonciation peut être tacite, la Cour rappelle qu’elle doit être certaine et non équivoque et qu’elle ne présume pas.

Dans la mesure où le travailleur agit dans le délai de prescription, il bénéficie des effets de la prescription extinctive, que le Code civil a établi afin de permettre implicitement à une partie de ne pas exercer immédiatement le droit qui lui est conféré par le contrat.

Enfin, ce n’est pas parce que le travailleur n’invoque pas la rupture du contrat de travail à la suite d’une modification unilatérale de ses conditions de travail qu’il se voit privé du droit de demander ultérieurement cette exécution du contrat tel qu’il a été conclu.

Regrettant, enfin, quand-même que le travailleur ait tardé si longtemps pour réclamer expressément son droit en laissant s’accumuler la dette, la Cour fait grief à la société - si elle estimait pour sa part qu’un accord s’était dégagé sur la suppression de l’avantage contractuel -, de ne pas avoir pris la précaution élémentaire de faire signer un avenant au contrat de travail.

En conséquence, elle fait droit à la demande du travailleur.

Intérêt de la décision

Le cas d’espèce est l’occasion de rappeler les difficultés que peuvent présenter des modifications unilatérales du contrat du travail, modifications n’entraînant, d’une part, pas de dénonciation d’un acte équipollent à rupture et, d’autre part, pas de contestation expresse dans le chef du travailleur. L’on se rappellera, en l’espèce, qu’un avantage contractuel, supprimé quatre mois après l’entrée en fonction, ne sera contesté officiellement qu’après la rupture du contrat intervenue elle-même deux ans et demi plus tard. La Cour - appréciant souverainement les éléments de fait du litige – conclut que le seul silence du travailleur ne peut constituer une acceptation de la modification intervenue, la Cour de cassation exigeant que soit établi, pour constituer un aveu extrajudiciaire, un « silence » accompagné de circonstances qui lui confèrent ce caractère.


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