Terralaboris asbl

Capitalisation des intérêts dus sur des arriérés d’allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2010, R.G. 1997/AB/36.116

Mis en ligne le mardi 20 juillet 2010


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2010, R.G. n° 1997/AB/36.116

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 1er avril 2010, la Cour du travail de Bruxelles considère que la volonté du législateur a été, en ces matières, de déroger au régime de droit commun des intérêts moratoires de l’article 1154 du Code civil : celui-ci n’est pas applicable aux prestations de sécurité sociale visées par la Charte de l’assuré social.

Dans cet arrêt du 1er avril 2010, la Cour du travail de Bruxelles, ayant jugé dans un premier arrêt du 19 mars 2009 du droit aux allocations de chômage dans le chef d’un assuré social, statue dans le cadre d’une réouverture des débats sur une question limitée à la demande de capitalisation des intérêts.

La position des parties devant la Cour

L’assuré social invoque en substance l’article 1154 du Code civil, dont il plaide qu’il ne s’applique pas uniquement en matière contractuelle. La Charte de l’assuré social n’ayant pas réglé de manière précise la question de la capitalisation des intérêts, il en conclut qu’il y a lieu d’appliquer le droit commun de l’article 1154 du Code civil aux matières de sécurité sociale.

L’ONEm considère pour sa part qu’il y a interprétation extensive de ladite disposition. Il plaide qu’elle ne s’applique pas aux allocations de chômage, ne s’agissant ni d’un capital ni d’une obligation résultant d’une convention. Il renvoie également au texte de la Charte de l’assuré social.

Avis du ministère public

Le représentant du ministère public remonte, dans son avis écrit, jusqu’au droit romain. Il ressort de cette recherche que le problème se pose actuellement pratiquement dans les mêmes termes qu’à l’époque. Il estime que l’anatocisme ne peut être demandé en ce qui concerne les prestations de sécurité sociale visées par la Charte et se réfère à la jurisprudence récente en ce sens de la Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, 11 juin 2009, R.G. 2008-0156 ; C. trav. Anvers, 17 novembre 2008, R.G. 2004-0606).

La position de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle le texte de l’article 1154 du Code civil selon lequel les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une sommation judiciaire, ou par une convention spéciale pourvu que, soit dans la sommation, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière.

La disposition visée se situe dans le titre III du Code civil consacré aux contrats et aux obligations conventionnelles en général, dans la section relative aux dommages et intérêts résultant de l’inexécution d’une obligation.

Pour la Cour, les articles 1153 et 1154 règlent l’étendue de la réparation du dommage subi par un créancier en cas de retard de paiement d’une dette de somme, l’article 1153 venant préciser que les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution donne lieu au paiement d’intérêts, l’article 1154 vient majorer le taux d’intérêt prévu. Il s’agit d’une pénalité si le débiteur tarde à payer les intérêts moratoires. La Cour du travail rappelle le contexte dans lequel ces dispositions ont été arrêtées, étant de tenir en échec les effets de l’usure, ainsi que ceux liés à un accroissement trop rapide des intérêts.

Avec le Code civil, le prêt à intérêt a été réglementé, l’usure est devenue un délit. La capitalisation des intérêts non échus et dus pour moins d’une année a par ailleurs été interdite. L’article 1154 du Code civil est venu lever l’ancienne prohibition de l’anatocisme, mais dans une mesure restreinte. Il en résulte que la capitalisation des intérêts moratoires est une exception à la règle selon laquelle les dommages et intérêts découlant du retard de paiement consistent dans les intérêts légaux.

La Cour rappelle, par ailleurs, avec le ministère public, la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 6 janvier 2006, J.T. 2007, p. 462), selon laquelle l’article 1154 du Code civil ne s’applique pas seulement en matière contractuelle.

Avant l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social, une mise en demeure était exigée pour entraîner le paiement d’intérêts en cas de retard dans l’exécution et des demandes de capitalisation des intérêts ont abouti.

La Cour constate cependant qu’en l’espèce, il s’agit de statuer pour une date postérieure à l’entrée en vigueur de la Charte. Il faut dès lors tenir compte des dispositions de celle-ci et particulièrement de ses articles 20 (prestations de sécurité sociale), 21 (indu) et 21bis (calcul de l’intérêt).

S’il n’y a pas dans la Charte exclusion expresse de la possibilité de capitaliser les intérêts, le choix du législateur peut cependant résulter des travaux préparatoires, ainsi que du but poursuivi. La Cour relève que la Charte rencontre des préoccupations propres aux prestations de sécurité sociale et qu’il y a ici une loi particulière qui règle de manière spécifique la question des intérêts moratoires en cas de retard de paiement de prestations sociales, régime qui est dérogatoire du droit commun.

La Cour renvoie aux travaux préparatoires (Exposé des motifs, doc. Ch. 907/1 – 1996/97 – p. 18), selon lesquels le paiement d’intérêts d’office représente un coût supplémentaire pour la sécurité sociale et qu’il faut avoir égard à l’équilibre budgétaire des différentes branches de la sécurité sociale, dans l’application de l’intérêt légal. Pour la Cour, l’intérêt qui court de plein droit garantit une égalité d’application entre les assurés sociaux, et ce quels que soient leur niveau d’information et /ou la qualité de leur défense en justice. Les critères retenus sont les délais de bonne administration normalement attendus dans le chef des institutions de sécurité sociale. Il en résulte que la volonté du législateur a été de déroger aux règles de droit commun.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Bruxelles diverge des autres arrêts commentés précédemment (voir notamment C. trav. Mons, 28 avril 2009, R.G. 19.123 et C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2006, R.G. 48.659).

L’on relèvera encore le commentaire de J.F. NEVEN sous l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 16 février 2006 (Chr. Dr. Soc., 2006, p. 552-555) selon lequel il n’a jamais été dans les intentions des auteurs de la Charte de l’assuré social de régler toutes les questions posées par l’octroi de prestations de sécurité sociale, de sorte que, pour les questions qu’elle ne règle pas, la Charte n’exclut pas qu’il soit fait application du droit commun.


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