Terralaboris asbl

Secteur des soins de santé et indemnités : comment vérifier la capacité de travail initiale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 31 mars 2010, R.G. 2008/AB/51.596 et 2008/AB/51.621

Mis en ligne le mardi 20 juillet 2010


Cour du travail de Bruxelles, 31 mars 2010, R.G. n° 2008/AB/51.596 et 2008/AB/51.621

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 31 mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle quelques règles permettant de vérifier l’existence d’une capacité de travail initiale d’un demandeur de prestations dans le secteur des soins de santé et indemnités.

Les faits

Un travailleur manuel, occupé par le CPAS de Bruxelles à des travaux d’entretien pendant environ dix-huit mois, connaît plusieurs périodes d’incapacité de travail et bénéficie de l’assurance indemnités. Plus de trois ans après son licenciement, il est exclu de l’assurance indemnités par le médecin-conseil de sa mutuelle. Celui-ci considère en effet que la cessation des activités n’est pas la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels. Selon lui, il y aurait un état antérieur, soit une absence réelle de capacité de gain.

Position du tribunal

L’intéressé introduit un recours contre cette décision et, par jugement du 3 novembre 2008, il est débouté au motif qu’il ne démontrerait pas avoir travaillé dans le passé. Le tribunal s’appuie également sur son statut de personne reconnue handicapée par le SPF sécurité sociale, ainsi que sur le bénéfice d’une allocation de remplacement de revenus.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 et reprend les trois conditions posées pour bénéficier de l’assurance indemnités, étant que le travailleur doit avoir cessé toute activité, que cette cessation doit être la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels et que ceux-ci doivent entraîner une réduction de deux tiers de la capacité de gain.

La Cour rappelle que la seconde condition a été introduite en 1982. Est ainsi exigé un lien de causalité entre l’aggravation des lésions et la cessation de l’activité, l’objectif du législateur étant d’exclure les titulaires dont la capacité de gain était déjà diminuée de manière importante au début de leur mise au travail et dont, en conséquence, l’interruption de travail n’était pas due à l’aggravation de l’état de santé. La Cour rappelle une jurisprudence ancienne (C. trav. Liège, 15 juin 1990, Bull., I.N.A.M.I., 1990, 449 et C. trav. Gand, 19 mai 1994, Bull., I.N.A.M.I., 1994, 318), selon laquelle l’aggravation d’un état de santé qui supprime totalement une capacité de gain déjà inexistante selon les critères de l’article 100 n’ouvre pas le droit aux indemnités AMI.

Cependant, si l’on examine la notion de capacité initiale de gain, au sens de cette disposition, l’on constate qu’elle ne doit pas être celle d’une personne apte à 100% sur le marché normal du travail, la Cour renvoyant ici à un arrêt récent (C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. n° 43978). Ce qui est exigé est que la capacité initiale ne soit pas inexistante et qu’elle puisse être affectée par une aggravation des troubles et lésions fonctionnels déjà présents.

Pour vérifier la chose, l’on recherche si l’intéressé a travaillé et, dans l’affirmative, l’on examine la durée ainsi que les conditions de l’occupation. Cette méthode s’impose vu que la recherche de l’existence de la capacité de travail n’intervient bien souvent qu’après plusieurs années d’indemnisation lorsque le lien de causalité est remis en cause par l’organisme assureur ou l’INAMI.

La Cour rappelle que, dans l’arrêt du 21 décembre 2006 cité ci-dessus, elle s’était interrogée sur le caractère fautif d’une telle remise en cause. En effet, le caractère d’ordre public de l’article 100, §1er ne fait pas obstacle à la possibilité pour l’assuré social d’invoquer une faute de l’administration, qui consisterait à remettre en cause les conséquences d’une décision d’admissibilité dans un délai tel que la charge de la preuve des conditions d’octroi s’en verrait ainsi alourdie de manière inconsidérée, et ce alors que l’assuré social n’a commis aucune faute, qu’il n’y a dans son chef ni refus, omission ou réticence quelconques à fournir toutes les informations nécessaires, ou encore que l’on soit en présence d’un fait nouveau quelconque – tous éléments qui auraient pu justifier un manque de diligence dans le chef de l’administration.

La Cour rappelle par ailleurs d’autres décisions de jurisprudence selon lesquelles il n’y a pas de capacité de travail initiale si l’intéressé n’a travaillé (comme étudiant) que, pendant quinze jours sur une période de trois années, s’il y a eu reprise d’activités occasionnelles (environ huit heures par semaine) ou encore s’il n’y a eu qu’un contrat d’apprentissage ou de courte période (travailleur intérimaire).

Cependant, il a été admis qu’une occupation pendant quinze mois peut établir une capacité initiale, ce qui rejoint le cas d’espèce puisque le demandeur originaire a été préposé à l’entretien dans un CPAS pendant dix-huit mois. Une telle situation professionnelle permet bien sûr de considérer qu’il y avait une capacité de travail initiale.

L’organisme assureur conteste cette référence à une période de dix-huit mois vu les interruptions précisément pour maladie, de telle sorte que, d’après ses calculs, l’on ne devrait se fonder que sur la moitié environ. La Cour ne suit cependant pas l’organisme assureur aux motifs que (i) il y a eu une clause d’essai, le contrat étant maintenu à l’issue de celle-ci, (ii) certaines absences ne sont pas liées à l’état de santé et seraient même non justifiées et (iii) certaines incapacités sont par ailleurs liées à un accident du travail.

La Cour va également s’attacher à repréciser la situation professionnelle de l’intéressée, qui avait presté dans le cadre de l’article 60 § 7 de la loi du 8 juillet 1976, l’organisme assureur mettant en cause la pertinence de l’occupation, et ce pour ce motif. Elle rétorque que l’occupation dans le cadre d’un tel contrat n’est pas indicative d’une absence de capacité de travail, la pratique révélant au contraire que de tels contrats sont rompus avant l’échéance du terme (absence de volonté suffisante de réinsertion sur le marché du travail, absence d’aptitudes nécessaires à l’emploi). Au contraire, pour la Cour, l’insertion du demandeur sur le marché de l’emploi était possible, et en tout cas admise par le CPAS. Celui-ci l’a en effet maintenu au travail pendant une période suffisante pour qu’il soit admissible aux allocations de chômage, eu égard à l’exigence de stage, l’occupation n’ayant par ailleurs pas été limitée à la durée (plus courte) qui eut permis l’admissibilité à l’assurance indemnités.

Enfin, sur la circonstance que l’intéressé bénéficie d’une allocation de remplacement de revenus dans le cadre de la législation relative aux personnes handicapées, la Cour retient que l’article 2 § 1er de la loi du 27 février 1987 contient une condition assez proche de la dernière de celles posées par l’article 100 de la loi coordonnée le 14juillet 1994. Cependant, sur le plan médical, la loi du 27 février 1987 n’exige pas une cessation d’activités non plus que la preuve d’un lien entre cette cessation et une aggravation des lésions (elle n’exclut cependant pas non plus l’existence d’un tel lien). Il en découle que l’octroi ultérieur d’une allocation de remplacement de revenus est sans incidence sur la discussion.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles a le mérite d’apporter certaines précisions importantes, en ce qui concerne l’existence d’une capacité de gain au sens de la matière considérée, puisqu’il examine les conditions dans lesquelles cette capacité de gain peut ou non exister lorsque l’intéressé a eu une période de travail. Il s’attache, en effet, à apprécier l’existence de celle-ci face à une situation d’occupation professionnelle (travail intérimaire, travail d’étudiant, contrat d’apprentissage, contrat « article 60 », …). Le critère qui semble se dégager, tant de la jurisprudence citée par l’arrêt que par l’arrêt lui-même, est l’existence d’une certaine durée dans l’occupation et la présence d’aptitudes professionnelles dans le chef de l’intéressé.


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