Terralaboris asbl

Droit à une pension de survie dans le régime des travailleurs salariés : notion de « accident postérieur à la date du mariage »

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2010, R.G. 2008/AB/51.428

Mis en ligne le vendredi 4 juin 2010


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2010, R.G. N° 2008/AB/51.428

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la notion d’accident, tel que visé à l’article 17 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967.

Les faits

Un couple contracte mariage le 15 avril 2000. Le mari décède le 30 octobre 2000, soit moins d’un an après.

Le défunt ayant été militaire de carrière, une pension de survie est accordée à titre temporaire par l’administration des pensions du secteur public, du chef des services prestés à l’armée. L’ONP accorde également de manière provisoire une pension de survie dans le régime salarié, et ce dans l’attente de l’information en ce qui concerne les causes du décès.

Quatre ans plus tard, la Commission des pensions de réparation décide que les conditions de la pension de réparation demandée par ailleurs par la veuve sont partiellement remplies. Se basant sur les conclusions de l’expert de l’Office médico-légal, la décision en cause fait état d’un effort effectué par l’intéressé au cours de son travail. Selon le texte, s’il n’est pas établi que l’effort a été trop important, il a cependant causé « un tort » à l’intéressé, car il a été le déclencheur d’un état (pâleur, sudation) dont il ne s’est pas remis. Pour la Commission, le travail effectué est à l’origine du décès à concurrence de 25%. Les autres 75% sont attribués à des prédispositions pathologiques. Cette décision permet à l’intéressée d’obtenir une pension, qui sera liquidée par le Service des pensions de guerre.

Tout en ayant dans un premier temps, confirmé le droit à une pension de survie vu les services prestés par le défunt à l’armée, le service des pensions du secteur public revient ultérieurement sur cette décision et adresse un courrier à l’ONP, par lequel il considère que la pension qu’il doit servir reste une pension temporaire d’un an. Il motive sa décision par le fait que le décès est dû à un malaise qui ne trouve pas sa cause dans un « élément soudain extérieur à la personne mais étant dû à de sérieux antécédents pathologiques ».

L’ONP, qui entre-temps avait confirmé l’octroi d’une pension de survie dans le régime des travailleurs salariés, s’aligne sur la décision du service des pensions du secteur public et revient également sur sa position. Il notifie à l’intéressée une décision par laquelle la pension dans le régime des travailleurs salariés est supprimée. Un réexamen du dossier est effectué par l’ONP et la décision prise confirme le refus de l’octroi de la pension de survie, au motif que la durée du mariage était inférieure à un an, qu’aucun enfant n’était né de celui-ci ou n’était à charge (perception d’allocations familiales), ou que le décès n’était pas dû à un accident postérieur au mariage.

L’intéressée introduisit un recours devant le tribunal du travail.

La position du Tribunal du travail

Le tribunal du travail de Bruxelles débouta la demanderesse, considérant notamment que la non reconnaissance de l’accident du travail par le service des pensions du secteur public déterminait la position de l’ONP, le tribunal ne pouvant quant à lui reconnaître un accident qui aurait été refusé par le SdPSP.

La position de la Cour du travail

Sur le fond du litige, la Cour rappelle l’article 17 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, qui reprend les conditions d’octroi d’une pension de survie dans l’hypothèse où la durée du mariage est inférieure à un an.

Cette condition de durée n’est en effet pas exigée, en vue de l’octroi de la pension de survie, si un enfant est né du mariage ou si au moment du décès il est à charge (étant que l’époux ou l’épouse devait percevoir pour celui-ci des allocations familiales) ou encore si le décès est dû à un accident postérieur à la date du mariage (hypothèse complétée par celle du décès causé par une maladie professionnelle contractée dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la profession).

La Cour constate que seule la troisième hypothèse doit être examinée ici, étant de savoir si en l’occurrence le décès est dû à un accident postérieur à la date du mariage. Il faut en conséquence voir si les événements survenus le jour du décès peuvent être considérés comme un accident.

La Cour rappelle qu’il n’y a pas de définition de la notion d’accident dans l’arrêté royal n° 50. Elle reprend un ancien arrêt de sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 26 octobre 1971, RG n°14.568), selon lequel le décès inopiné ne peut être assimilé à un accident s’il est dû à une défaillance organique – même médicalement imprévisible : l’accident est un événement anormal et fâcheux survenu par force majeure ou par imprudence, qui suppose l’action soudaine d’une force extérieure dont la cause doit être nécessairement étrangère à l’organisme de la victime. Cette définition, contenue dans l’arrêt de la Cour du travail du 26 octobre 1971 ci-dessus, renvoie, pour la Cour qui l’analyse dans la présente espèce, à la notion d’accident telle qu’elle était entendue à l’époque en matière d’accident du travail. La Cour reprend, cependant, l’évolution qui est intervenue en la matière et cite la doctrine (M. Jourdan, « L’accident (sur le chemin) du travail : notion et preuve », Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2006, p. 13).

La Cour n’applique pas les règles de la loi du 10 avril 1971, en tant qu’elles contiennent la présomption légale de causalité (article 9), s’agissant d’une législation différente à laquelle l’arrêté royal n° 50 ne fait pas référence. Cependant, elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation, bien connue, qui a abandonné l’exigence de la causalité extérieure et, notamment, retient que l’exécution d’un effort, fût-ce dans le cadre de l’exécution normale des fonctions, est un événement soudain. Dans les faits, les déclarations des témoins et les autres éléments du dossier permettent de retenir que l’intéressé avait déménagé une armoire métallique double et qu’à cette occasion il avait manifesté une forte sudation et ressenti des difficultés à respirer normalement. Il y a donc effort et pour la Cour le lien entre l’effort et le malaise ressenti le jour du décès est clairement établi.

Enfin, la Cour écarte la circonstance de la pluri-causalité, le décès – même s’il n’est pas dû exclusivement au malaise et à l’effort – doit être pris en compte, l’article 17 de l’arrêté royal n° 50 n’exigeant pas une causalité directe et exclusive.

Intérêt de la décision

La question tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 17 février 2010 est très rarement abordée, à telle enseigne que la Cour se réfère à un arrêt intervenu sur la question, il y a près de quarante ans. Elle est cependant du plus grand intérêt.

Très normalement, partant du constat que l’arrêté royal n° 50 ne donne aucune définition de la notion d’accident, la Cour renvoie par analogie à la notion telle qu’elle est admise en accident du travail, les termes de l’article 17 de l’arrêté royal n° 50 se trouvant dès lors mieux cernés.

Relevons encore, sur la question de l’exigence d’une durée de mariage d’un an comme condition d’octroi pour la pension de survie, que la Cour constitutionnelle a été saisie de la question, non sur la notion d’accident mais dans une hypothèse où les époux avaient, avant le mariage, antérieurement fait une déclaration de cohabitation légale. Dans un arrêt du 25 mars 2009 (arrêt n° 60/2009), la Cour constitutionnelle a déclaré que, dans une telle hypothèse, qui permet d’aboutir à une durée cumulée (cohabitation légale et mariage) d’un an au moins, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble de la période et non exclusivement de celle couverte par le mariage. Pour la Cour constitutionnelle, l’article 17 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il prive d’une pension de survie le conjoint survivant marié (moins d’un an avec le travailleur décédé) et ayant antérieurement fait une déclaration de cohabitation légale avec lui lorsque la durée cumulée atteint au moins un an.


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