Terralaboris asbl

Reconnaissance du droit à l’allocation d’interruption de carrière et détermination du domicile

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 4 décembre 2009, R.G. 36.221/09

Mis en ligne le vendredi 28 mai 2010


Cour du travail de Liège, sect. Liège, 4 décembre 2009, R.G. 36.221/09

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 4 décembre 2009, la Cour du travail de Liège donne l’interprétation qu’elle admet de l’article 6, § 3 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 pris en exécution du chapitre IV de la loi du 10 août 2001 relative à la conciliation entre l’emploi et la qualité de vie concernant le système du crédit-temps, la diminution de carrière et la réduction des prestations de travail à mi-temps.

Les faits

Une dame B. introduit une demande de crédit-temps, en avril 2007, vu la réduction de ses prestations (1/5e temps). Elle sollicite le bénéfice des allocations d’interruption de carrière. Elle vit seule dans un appartement à Bruxelles, dont elle est propriétaire et prend le coût en charge. Cette adresse constitue dès lors sa résidence habituelle. Elle est par ailleurs copropriétaire d’un immeuble familial à Huy où elle a maintenu son domicile. Son frère est copropriétaire de cet immeuble.

Examinant son droit à l’allocation de carrière, l’ONEm fixe celui-ci au taux cohabitant, vu l’inscription au registre de la population à Huy.

Recours est introduit par l’intéressée, qui demande que l’on tienne compte de sa situation effective et que l’on ne se base pas sur les mentions du registre national. Lui serait, par conséquent applicable, le taux isolé.

Jugement du Tribunal du travail de Huy

Le Tribunal du travail retient que l’article 10, alinéa 1er de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 fait référence à la notion de domicile comme condition d’octroi mais non comme critère permettant de déterminer le taux de l’allocation d’interruption. Celui-ci est examiné à l’article 6, § 3, alinéa 2 de l’arrêté royal.

Selon ce texte, le travailleur isolé est celui qui habite seul ou celui qui cohabite exclusivement avec un ou plusieurs enfants à charge.

L’Auditeur du travail, pour sa part, ne partageait pas la solution du Tribunal du travail de Huy, au motif qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer par analogie la notion de résidence effective au sens de la réglementation de chômage, ceci ne figurant pas dans les textes.

La position des parties en appel

L’ONEm interjette appel, considérant que l’article 10 de l’arrêté royal en cause fait du domicile une condition d’octroi et qu’il est logique, en conséquence, de fixer le montant de l’allocation par rapport à la situation familiale de l’intéressée, telle qu’elle apparaît des données officielles (dont la composition de ménage). Pour l’ONEm il y a lieu d’appliquer la même définition tant pour l’octroi de l’allocation d’interruption que pour le taux de celle-ci. Ceci constitue une nécessité de contrôle, l’ONEm ne pouvant effectuer sa mission à cet égard qu’en consultant les registres. Il précise ne pas avoir le pouvoir, comme dans le cadre de la réglementation du chômage, de contrôler la résidence effective.

Pour l’ONEm, la loi du 19 juillet 1991 (relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour) énonce en son article 1 que le lieu où est établie la résidence principale est inscrit dans les registres de la population – et ce, que les personnes y soient présentes ou en soient temporairement absentes. Son article 3 définit la résidence principale comme étant le lieu où vivent habituellement les membres d’un ménage… ou une personne isolée. En conséquence, pour l’ONEm, les notions de domicile et de résidence coà¯ncident, au sens de cette législation. Par ailleurs, reprenant l’avis de l’Auditeur du travail devant le premier juge, l’ONEm précise que la notion de résidence n’est pas définie dans l’arrêté royal du 12 décembre 2001. En conséquence, dans le cas d’espèce, l’intéressée ayant introduit sa demande d’allocation au lieu de son domicile, elle ne peut prétendre que sa résidence à Bruxelles est sa résidence principale mais au contraire sa seconde résidence, d’autant qu’elle y paie la taxe correspondante.

La demanderesse originaire sollicite, quant à elle, la confirmation du jugement.

L’avis de l’Auditorat général

L’Auditeur général du travail donne un avis allant dans le sens de la confirmation du jugement dont appel, et ce en renvoyant par analogie un arrêt du 22 novembre 1999 de la Cour de cassation (Cass., 22 novembre 1999, J.T.T., 2000, p. 98), en matière d’octroi d’allocation d’interruption aux membres du personnel de l’enseignement, qui a considéré que, si le domicile constitue une condition d’octroi, le taux sera fixé par le lieu de résidence effective.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail doit dès lors statuer sur les articles 10, alinéas 1er et 6, § 3, alinéa 2 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001.

Pour elle, la condition d’octroi que constitue le domicile (dans l’un des pays de l’Union européenne ou en Suisse) vise à permettre l’octroi de l’allocation à la fois aux travailleurs sédentaires et aux travailleurs qui se déplacent au sein de l’Union européenne. Il s’agit d’établir un lien de rattachement par le fait que le demandeur a maintenu son domicile dans l’un des pays visés.

La Cour renvoie alors à l’arrêt du 22 novembre 1999 de la Cour de cassation ci-dessus, y voyant une confirmation indirecte du fait que s’il n’est pas satisfait à cette condition d’octroi, en cas de radiation d’office de l’inscription du domicile, il y a obstacle à la reconnaissance du droit à la prestation sociale.

Par ailleurs, l’article 6, § 3, alinéa 2 fixe un critère relatif au taux de cette prestation et, pour la Cour, celui-ci est indiscutablement lié à la situation effective du bénéficiaire, étant qu’il dépend de la question de savoir s’il habite seul ou exclusivement avec un ou plusieurs enfants à charge. Cet article n’impose nullement que, pour qu’une personne isolée puisse prétendre à la majoration du montant de l’allocation, la résidence effective (soit le lieu où elle habite) coà¯ncide ave le domicile, qui est le lieu d’inscription au registre national.

Pour la Cour, l’ONEm ajoute au texte une condition qu’il ne contient pas.

La Cour voit encore dans le texte de l’article 6, § 3 de l’arrêté royal une confirmation de cette conclusion, vu que la disposition fait prévaloir la réalité sur les données découlant de l’inscription domiciliaire, lorsque celles-ci ne reflètent pas la situation effective du demandeur.

Il n’y a dès lors pas lieu, pour la Cour, d’adopter la notion de domicile consacrée par le Code civil, le Code judiciaire ou encore la loi du 19 juillet 1991 ci-dessus.

Enfin, la Cour rejette également l’argument de l’ONEm relatif aux possibilités de contrôle, dans la mesure où le texte permet l’exercice d’un pouvoir de contrôle accru, qui autorise même d’écarter les données résultant de l’inscription au domicile, lorsqu’elles ne reflètent pas la réalité de la situation du demandeur.
La Cour va dès lors confirmer le jugement du Tribunal.

Intérêt de la décision

La décision commentée est importante sur la question tranchée, puisqu’elle rappelle qu’il y a lieu de distinguer, dans la matière de l’allocation d’interruption de carrière, la condition d’octroi que constitue le domicile et le taux de l’allocation, qui est lui déterminé par la résidence effective du demandeur.


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