Terralaboris asbl

Principe de bonne administration, délai raisonnable et prescription de l’action en récupération

Commentaire de C. trav. Mons, 9 avril 2009, R.G. 20.931

Mis en ligne le mercredi 14 avril 2010


Cour du travail de Mons, 9 avril 2009, R.G. 20.931

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 9 avril 2009, la Cour du travail de Mons a été appelée à donner certaines précisions quant aux principes généraux de bonne administration, au délai raisonnable ainsi qu’à la prescription de l’action de l’ONEm en récupération d’allocations de chômage indues, et ce dans le cas d’un chômeur qui, tout en apportant une aide effective à son épouse indépendante, avait déclaré le contraire au moment de sa demande d’allocations de chômage.

Les faits

Monsieur C. bénéficie, en qualité de prépensionné, d’allocations de chômage, et ce depuis le 11 février 1998. Au moment de sa demande, il indique, sur le formulaire C1, cohabiter avec son épouse, travailleuse indépendante qui exploite un commerce. Sur le formulaire, il mentionne ne pas avoir l’intention de lui apporter une quelconque aide.

Dès mars 1998, l’ONEm procède à une enquête quant à la réalité des déclarations de l’intéressé. 12 missions de surveillance ont ainsi lieu au magasin tenu par l’épouse de Monsieur C.

Lors du dernier contrôle, Monsieur C. est surpris en train de manipuler la caisse enregistreuse du commerce. Il est entendu le jour même et signale qu’il a toujours aidé, depuis 25 ans, son épouse dans l’exploitation de son commerce, de sorte que, une fois mis en prépension, il a continué son activité, qu’il présente comme régulière quoique ne s’étendant pas sur des journées complètes de travail. Il signale par ailleurs savoir qu’il ne pouvait aider son épouse dans le cadre du régime de prépension et s’en justifie eu égard à l’habitude qu’il avait prise depuis de nombreuses années. Il précise encore ne pas avoir biffé sa carte de contrôle, dès lors que ses prestations étaient inférieures à une journée. Il signale encore s’occuper de la comptabilité du commerce.

Il est ensuite entendu après convocation, audition au cours de laquelle il confirme ses déclarations.

A la suite de celle-ci, deux décisions sont prises par le Bureau de chômage. La première l’exclut du bénéfice des allocations de chômage à dater du 11 février 1998, ordonne la récupération des allocations de chômage perçues indûment et frauduleusement depuis la même date et l’exclut également du droit aux allocations de chômage pendant 8 semaines à partir du 24 avril 2000. La seconde l’exclut également rétroactivement ainsi que pour une période de 15 semaines à partir du 19 juin 2000 et ordonne la récupération des allocations perçues indûment. Les décisions sont fondées sur des dispositions distinctes, à savoir la première sur l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (aide apportée à un conjoint indépendant) et la seconde sur l’article 45 de l’arrêté royal (avoir effectué une activité non cumulable avec les allocations de chômage).

Monsieur C. contesta les décisions devant le Tribunal du travail. Dans le cadre de cette procédure, l’ONEm introduisit une demande reconventionnelle, portant sur le remboursement des allocations de chômage indûment perçues par l’intéressé, par voie de conclusions déposées le 1er février 2002.

La position du Tribunal

Le Tribunal du travail confirma les décisions administratives et fit droit à la demande reconventionnelle de l’ONEm, condamnant en conséquence Monsieur C. au remboursement des allocations de chômage perçues.

La position des parties en appel

Monsieur C. interjeta appel de jugement, mais non sur le fond en lui-même (à savoir les décisions d’exclusion de droit aux allocations de chômage et les sanctions infligées). Il axa, en effet, son argumentation sur le principe général de bonne administration, le droit à un procès équitable et la prescription de l’action en récupération de l’indu.

Sur le premier point, il faisait grief à l’ONEm d’avoir tardé, de manière anormale, à prendre une décision, se référant au nombre de contrôles et à la période pendant laquelle ils ont été effectués. La longueur de la procédure administrative était également mise en cause, au regard de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Enfin, sur la prescription, Monsieur C. entendait faire appliquer par la Cour l’article 2277 du Code civil, qui prévoit une prescription de 5 ans pour ce qui concerne les obligations périodiques (rente perpétuelle et viagère, pension alimentaire, loyer des maisons, …).

La position de la Cour

Concernant les principes généraux de bonne administration, la Cour du travail rappelle d’une part qu’ils s’appliquent à l’ONEm et, d’autre part, qu’ils comportent le droit à la sécurité juridique, de sorte que lorsque l’attitude de l’administration donne à penser à l’existence d’une règle fixe de conduite, les services publics sont tenus de respecter les prévisions justifiées qui ont pu naitre dans le chef des citoyens. La Cour rappelle par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour cassation, que les principes de bonne administration ne peuvent conduire à contourner la loi.

En conséquence, ils ne peuvent être soulevés dès lors qu’il s’agit de maintenir une situation qui viole manifestement le dispositif règlementaire.

Or, en l’espèce la Cour constate que tel est bien le cas puisque Monsieur C. savait qu’il ne pouvait prétendre aux allocations de chômage s’il travaillait. L’attitude de l’ONEm n’a donc pas pu créer, dans son chef, une légitime confiance de ce que son comportement était admis dès lors qu’il avait conscience du caractère infractionnel de celui-ci

Par ailleurs, concernant l’article 6 de la C.E.D.H., consacrant le droit au procès équitable (comportant le droit pour le citoyen à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable), la Cour du travail rappelle que, en matière civile, l’appréciation du caractère raisonnable du délai dépend de la date d’introduction de l’affaire auprès des juridictions et, lorsqu’il y a une procédure administrative préalable, au moment où cette procédure démarre.

La Cour rappelle cependant que la sanction du dépassement du délai raisonnable ne peut consister en une annulation des décisions prises par l’ONEm mais uniquement en l’octroi de dommages et intérêts, dès lors que les conditions de la responsabilité civile sont réunies (faute, dommage et lien causal). En l’espèce, la Cour observe que Monsieur C. n’a pas introduit une demande de dommages et intérêts et que, en tout état de cause, il ne prouve pas son dommage (l’ONEm ayant renoncé aux intérêts sur la somme indue) ni l’existence d’un lien causal. Sur ce point, la Cour voit, dans la faute commise par Monsieur C, une cause d’interruption du lien causal.

Enfin, sur la question de la prescription, la Cour rappelle que la règlementation (article 7, §13, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944), prévoit un délai dans lequel l’administration doit prendre une décision quant à la récupération d’indu.

L’action en vue d’obtenir judiciairement la récupération est quant à elle soumise au droit commun de la prescription, soit 10 ans (la Cour du travail cite ici Cass., 27 mars 2006, Chr. D.S., 2007, 71). Elle rejette ainsi l’application de l’article 2277 du Code civil demandée par Monsieur C. dès lors qu’en cas de répétition d’un indu, il ne s’agit pas d’obligation périodique mais bien d’une obligation découlant de la décision administrative prise. Il y a donc dette unique et non une dette résultant de différents paiements indus.

En l’espèce, vu la date des décisions (20 avril 2000) et de la demande judiciaire de récupération d’indu (1er février 2002), la Cour estime que l’action en récupération n’est pas prescrite. Elle précise encore que, en cas de conclusions de synthèse annulant et remplaçant les conclusions antérieures, qui renferment une demande reconventionnelle (contenant la demande de remboursement), il n’y a pas de renonciation à la demande reconventionnelle introduite dans les premières conclusions annulées.

Intérêt de la décision

Cette décision contient quelques rappels importants quant au principe de bonne administration ainsi qu’au droit au procès équitable et à la prescription en matière de récupération d’indu.


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